Les années se suivent et ne ressemblent pas. Et s’il a la qualité comme point d’orgue, le Prix Raymond Leblanc aime découvrir et faire découvrir des univers d’auteurs très différents. De la grande aventure par-delà les mers à l’aventure au quotidien, à la première personne, sans oublier l’humour. Avec De la nécessité d’avoir un ours chez soi, Debuhme livre une histoire décalée et hybride, finalement très touchante. Rangez le miel et n’ayez pas peur du désordre, l’ours frappe à votre porte. Interview avec Debuhme pour son premier album.

Bonjour Debuhme. Tout d’abord, c’est un drôle de titre que vous avez choisi là. Vous seriez philosophe sur les bords ? Cet album aurait-il pu s’intituler autrement, a-t-il eu d’autres titres durant son élaboration ?
C’est un titre issu d’une longue liste de noms potentiels qu’on a choisi avec l’éditeur… à la base le projet s’appelait tout simplement « l’Ours »… pas assez original et déjà pris dans plusieurs domaines.
Alors, forcément, la question que tout le monde se pose : avez-vous un ours chez vous ? Ou en vous, peut-être ?
L’Ours, c’est un peu moi, parfois. Je dois avoir un peu de Jules et un peu d’Ernest en moi.

Votre ours, il s’appelle Ernest. Comme celui de Célestine ?
Un petit clin d’œil, en effet.
En même temps, l’ours est une créature fétiche en matière de dessin animé (Baloo, Frères des ours, Winnie…) mais aussi de BD. Vous n’êtes pas le premier à l’utiliser et à l’ancrer dans le quotidien des humains, il y a Feroumont mais aussi Télé Mac. Pour vous, pourquoi l’ours est-il si populaire ? C’est facile de se projeter en lui ?
Un ours, c’est à la fois rassurant, c’est l’enfance, c’est rond et doux … et sauvage, une bête féroce, immense. Il y a peu d’animaux qui cultivent autant le paradoxe dans l’imaginaire populaire. Entre l’attaque de l’ours de « The revenant » et Winnie l’ourson, il y a un monde !


Avant de dessiner Ernest, vous avez fait un court… Petzi ! Un autre ours.
Ah oui, c’était pour une exposition au château de Saint-Maurice, en Valais. Un détournement satirique de ce pauvre Petzi scénarisé par Stéphane Babey !

Il était évident que ce soit un ours ou cela aurait-il pu être un autre animal ?
Non, l’histoire est née avec un ours.
Et est-ce facile de l’animer ? D’en faire un anthropomorphe tout en gardant sa part animale et sauvage, il est vrai bien enfouie.
Comme chaque personnage, ça demande du temps et beaucoup de recherches en amont avant de tenir son ours. J’ai dû me documenter aussi.

Ernest, c’est un ange gardien, en fait, non ? Mais également un grand enfant, pas vraiment indépendant et encombrant ?
Oui, je n’aime pas trop le terme d’ange gardien mais c’est un être bénéfique. Le fait de devoir s’occuper à temps plein de cet animal permet aussi à Jules de prendre du recul sur sa propre vie.
Mais l’interprétation est assez libre, malgré les pistes données.

Ernest, comme dans le conte de Noël de Dickens, n’est-il pas le fantôme de la sauvagerie passé, enfouie. Celui qui permet de faire revenir le naturel au galop, de partir à l’aventure loin du brouhaha de nos sociétés folles et hyperconnectées, en mode « métro-boulot-dodo » ?
Oui, et paradoxalement, lui se plaît assez dans les marges de cette société civilisée même si il l’exploite à sa manière, sans trop se soucier des codes.
Le personnage humain, Jules, auquel arrive cette drôle d’aventure, il vous ressemble ? Peut-on dire qu’il est le « maître »/ « propriétaire » d’Ernest ?
Il a autant voire plus besoin d’Ernest durant la majeure partie du récit que l’inverse. Ernest a besoin de quelqu’un, pas forcément de Jules même si une véritable amitié s’est noué entre eux.

Finalement, qui des deux est le plus « ours » ?
Bonne question! Jules je pense
Quelles sont vos inspirations ?
Dans la littérature, « Le pingouin » de Kourkov ou le Pnine de Nabokov. J’aime bien les personnages et les histoires décalées. En bande dessinée, j’adore l’univers de Fred ou l’humour de Goossens.

Il y a un peu de surréalisme derrière tout ça, non ? Du surréalisme belge… ou Suisse ? Ça existe ?
– Oui, du surréalisme et de l’absurde dont je suis très fan. C’est effectivement des traits d’humour qui se retrouvent plutôt en Angleterre ou en Belgique mais pas que !
Il y a aussi un peu de Noël Godin avec un attentat pâtissier avorté.
Haha oui ! j’avais suivi une conférence de Noël Godin à Liège et j’ai assisté quelques années plus tard à l’entartage d’un politicien. J’aime bien ce genre de révolution douce.

Quelle est la genèse de cette histoire ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de la réaliser ?
Un dessin d’un ours portant un plateau repas. Puis c’est devenu une histoire courte réalisé durant mes études. Je l’ai beaucoup retravaillée.
Votre album a reçu le Prix Raymond Leblanc, vous vous y attendiez ?
Absolument pas. Y participer me permettait d’avoir une échéance pour créer un dossier. Je pensais plutôt continuer à démarcher les éditeurs avec ce même dossier.

Qu’est-ce qui a fait pencher le jury en votre faveur, pensez-vous ?
Je ne sais pas. Les autres finalistes avaient de supers projets aussi !
Un prix remis par un autre créateur d’ours : Derib. Que représente-t-il pour vous ? Avez-vous grandi avec Yakari ? Ou Buddy Longway ?
J’ai beaucoup aimé les deux. Mais Buddy Longway m’a plus marqué !

Vous êtes-vous intéressé au gagnant qui vous ont précédé ?
Oui, je me suis intéressé à ce prix par le biais de deux amis qui l’avaient remportés deux ans plus tôt avec « Edwin, le voyage aux origines » (eux, on vous en parle dans quelques jours! )
Finalement, j’ai l’impression que votre album et ce qu’il raconte est à part parmi les albums primés par la Fondation Raymond Leblanc, non ?
Je trouve que c’est ce qui fait la force de ce prix, chaque album est assez unique et pas forcément typé « Lombard » ou « Futuropolis »

De la nécessité… était-il déjà bien avancé au moment où vous avez présenté ce projet ?
C’était vraiment sous forme de projet. J’avais un pitch un scénario en une page ou le début et la fin n’ont pas bougé mais j’ai quand même retravaillé le tout durant 3 mois sous les conseils bienveillants de Thierry Tinlot.
On a beaucoup parlé de l’ours mais qui êtes-vous Debuhme ? Comment êtes-vous arrivé à la BD ? Pourquoi ce surnom ?
Mon surnom vient du suisse allemand De Bume ça veut dire Le Baumann (mon nom de famille). J’ai toujours aimé dessiner et raconter des histoires. Et j’ai renforcé cette passion en allant étudier en Belgique.

Vous êtes Suisse mais c’est en Belgique (à Liège) que vous avez fait vos études de BD, pourquoi ?
J’avais envie de voir du pays. De plus, il n’existait pas à l’époque de formations équivalentes en suisse. C’était plus des écoles d’arts et je ne correspondais pas vraiment à ça.
Y’a-t-il une BD suisse ? La culture du Neuvième Art est-elle la même qu’en Belgique ou en France ? Quels sont les auteurs du pays que vous aimez ?
Bien sûr ! ça commence avec le Genevois Töpfer, l’un des pères de la bande dessinée. Il y en a beaucoup que j’admire Derib, Cosey, Zep, Frédéric Peeters, Tirabosco, Wazem ou Thomas Ott.. et j’en passe !
C’est certainement moins dense que la bd belge ou française mais finalement dans ce petit monde francophone globalisé, je pense qu’il y a des auteurs et autrices suisses majeurs.

Ça ne fait pas un doute ! Quel est votre regard sur le monde actuel de la BD. Difficile d’émerger ? Un coup de pouce comme celui de la Fondation Raymond Leblanc était donc bienvenu ?
Je suis bien sûr les déboires du milieu de la bande dessinée. Précarisation, surabondance de l’offre et j’en passe… mais je ne suis pas désabusé. Je me rends bien compte que pour un premier album, j’ai eu une chance inouïe d’arriver directement au Lombard sans devoir démarcher pendant des mois (voir des années) les autres éditeurs. À moi de confirmer maintenant !

Vous faites aussi du dessin de presse, non ? Cela aide-t-il à remplir au mieux les cases, à raconter le plus possible en un espace limité ?
Ça m’a en tout cas aidé à lâcher mon trait. Mais c’est presque des modes d’approche complémentaires pour moi. Le dessin de presse est réalisé rapidement, vite publié et vite oublié. Tout le contraire d’un processus de création d’une bande dessinée qui s’étale sur plus d’une année !
Quelle méthode utilisez-vous pour dessiner ? Numérique ou papier ? Comment élaborez-vous votre album ? Le scénario et les dialogues étaient-ils très écrits ou vous êtes-vous laissé porter par la bonhomie de l’ours ?
J’aime gratter le papier. Je crayonne, je repasse au crayon noir à la table lumineuse. Je scanne et fait les couleurs à l’ordinateur. Les dialogues ont été retravaillés jusqu’à la fin. Le scénario était assez fixé une fois le storyboard validé.

À la fin de cet album, il y a une galerie, des croquis, des recherches de couverture. C’est difficile de trouver LA bonne couverture ?
J’ai fait quatre propositions et on est tombé d’accords sur celle-là.
Quelle est la suite pour vous ? Y’aura-t-il d’autres ours ?
Je ne pense pas. Mais je travaille au scénario d’une autre bande dessinée, c’est encore un peu vague. Une histoire d’amitié et de mafieux raté. Je n’en suis qu’au début et ça va encore évoluer.
Une offre que vous ne pouviez pas refuser ! Merci beaucoup Debuhme et bonjour à l’ours !
Titre : De la nécessité d’avoir un ours chez soi
Récit complet
Scénario, dessin et couleurs : Debuhme (Page Fb)
Genre: Chronique sociale, Fantastique, Humour,
Éditeur: Le Lombard
Nbre de pages: 64
Prix: 14,99€
Date de sortie: le 31/08/2018
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