Fun mais pas que… Le western en a vu des vertes et des pas mûres, depuis qu’il existe, capable de s’adapter et de toujours reconquérir le coeur des lecteurs/spectateurs quand ceux-ci le remisaient. Ah le western les grandes épopées à dos de canassons, à coups de flingues, fort en gouaille et en gueule plutôt hirsute et masculine en dépit de quelques figures féminines plutôt rares. Mais si cet univers de testostérone, de sueur et de sang d’homme se retournait sur lui-même et que les femmes prenaient le pouvoir et inversaient les rôles, que se passerait-il ? Bien sûr, vous pouvez vous poser la question mais vous pouvez aussi désormais vivre la réponse en compagnie d’Arnaud Le Gouëfflec et Dominique Bertail et de leur Mondo Reverso qui déjouent le genre le plus sexué qui soit…
Résumé de l’éditeur : Dans l’Ouest sauvage, Cornelia, desperadette au cuir bien tanné, fait la rencontre d’un joli petit lot, Lindbergh, homme au foyer en cavale. Tous les deux poursuivis par leur passé, quelques psychopathes et un paquet d’indiennes, ils se lancent dans une quête à travers les plaines de l’Arizona… et aux frontières du genre.
Après son incursion de science-fiction sur l’Infinity 8, la transition était toute trouvée pour Dominique Bertail. Quoique… Si dans Infinity 8, le dessinateur mettait une femme dans un monde d’hommes, Mondo Reverso pousse le vice, et même le salut, à proposer les aventure d’héroïnes féminines dans un monde de très peu d’hommes. La revanche des chromosomes XY s’opère en monochrome tirant vers le brun (et le lecteur s’invente le technicolor !) et dans un délire aussi assumé qu’il est guidé par un vrai propos.
Tous les ingrédients du western (sans doute le genre le plus sexué et le plus propice à la figure des héros mais aussi des méchants virils qu’ils soient Clint, Kévin ou John) sont là dans ce premier tome en épisodes alternant le suspense. Tantôt ce sont les aventures de Cornélia, la despéradette, qui sont contées, tantôt celles de Lindbergh, pris au piège, frêle petit homme à jupons qu’il est, de son imposture.
Mais n’allez pas croire que ces deux âmes sont perdues dans un désert dangereux. Tout se perd, mon p’tit damoiseau, et les environs de Yuma sont devenus irrespirables. Il y a plein de monde, dans tous les sens et de tous les genres : des drag kings, des « mon frère » en veux-tu en voilà qui prient « doux Jésuse », des femmes devenues hommes et des hommes qui deviennent des femmes… comme les autres. C’est même là que réside l’enjeu. Les déterminismes sont contrecarrés et vous n’êtes pas au bout de nos surprises.
Tu vois, le monde se divise en deux catégories, ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi tu creuses. Tu vois, le Mondo Reverso se divise en deux catégories, celles qui ont un pistolet et ceux qui font la vaisselle. Et toi, homme, tu fais la vaisselle. Excepté ce rusé de Lindbergh, donc. Les premières vont donc se retrouver dans une quête improbable, entre église désacralisée et satanisée, indiens et palais du freak show. Respectant les codes du western et détournant ceux de l'(in)égalité des sexes, Arnaud Le Gouëfflec et Dominique Bertail taillent, l’air de rien, un costard à notre société pour mieux en vêtir leurs héroïnes hautes en couleur. Tout en s’amusant de références à leurs illustres prédécesseurs.
Cela se joue autant dans le graphisme, d’un Dominique Bertail qui prend son pied et partage son éclate en nous en mettant plein la vue, que dans le choix méticuleux des mots et la manière de revisiter expressions et vocabulaire trop souvent à l’avantage du sexe prétendu fort. Mondo Reverso, c’est un festival appliqué et survolté, une mine de détails travaillés.
Non contents d’avoir des couilles, dans cet album à visages de femmes, Le Gouëfflec et Bertail mettent leurs ovaires sur la table. Avec la délicatesse de laisser les hommes avoir voix au chapitre (et même d’attirer, c’est sûr et certains, les obsédés qui ne voient la BD que comme une usine à nanas dénudées et généreuses, ceux-là en auront pour leur argent tandis que les auteurs leur rendront la grosse monnaie et le plomb avec), là où ça n’aurait pas été forcément le cas en sens inverse. Mieux encore, au-delà de la guerre des sexes, du « toi t’en as, toi t’en as pas », il y a de la place pour tout le monde et pour les transfuges. C’est sans équivoque, sans possible reproche.
Et ça, à l’heure où, sur la thématique des sexes, les Twittos et tous les autres ont vite fait de déverser leur haine – dans les deux sens -, ça compte. D’autant plus que, j’en suis convaincu, peut-être plus que des crocodiles (ceux de Thomas Mathieu ont bien fait le job, hein) ou d’autres charognes, il n’y a pas de procédé plus convaincant et sensibilisateur que d’inverser les rôles, de provoquer le prédateur, de le choquer (car il y a plus que de l’humour dans certaines saynètes, quand une femme pogne le cul d’un mec, par exemple). Rien que pour ça, on souhaite que cet album tombe à la fois dans les bonnes mais aussi les mauvaises mains. Et ça rajoute au petit chef-d’oeuvre que réussissent ces deux auteurs.
Série : Mondo Reverso
Tome : Cornelia et Lindbergh
Scénario : Arnaud Le Gouëfflec
Dessin et couleurs : Dominique Bertail
Genre : Western, Aventure, Humour, Fantastique
Éditeur : Fluide Glacial
Nbre de pages : 70
Prix : 16,90€
Date de sortie : le 10/01/2018
Extraits :
Oui, vraiment très agréablement surpris par cet album dont je n’attendais que de l’humour lourd à la Fluide. PArfaitement d’accord avec votre critique. la mienne est ici pour info https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/02/07/mondo-verso/
J’ai rajouté un lien vers ton billet.
Hey mais c’est chouette ça 🙂 Merci beaucoup 🙂
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Je vais y penser également pour les prochaines 😉