Pour leur troisième collaboration, Zidrou et Benoît Springer font petit format pour grand frisson macabre et s’emparent d’une mélopée, d’une scie oubliée : La petite souriante. Si Delpech chantait qu’il y avait trente manières de quitter une fille, il n’y en a pas trente-six pour tuer sa femme. Quoique, vous répondront les autruches qui si elles ne pensent à rien, savent se souvenir du drame humain et inhumain qui se joua sous leur bec.
Résumé de l’éditeur : Josep Pla, dit Pep, est éleveur d’autruches. Le type gentil, pas très futé, dévoué jusqu’à se salir les mains pour les autres. Et justement, les siennes sont poisseuses du sang de son épouse, dont il s’est débarrassé durant la nuit afin de pouvoir vivre tranquille. La besogne accomplie et les traces effacées, il rentre chez lui. Pour y être accueilli par sa femme, laide et bien vivante. À en mourir d’horreur.

Il n’y a pas que des Jumanji ou des grimoires centenaires qu’on retrouve dans le grenier de la grand-mère, La petite souriante pourrait très bien faire partie de vos découvertes. Avec son teint vieilli et ses bords de couverture semblant usagés, ce pourtant nouvel album a tout de ces livres maudits auxquels il ne faut pas toucher à moins d’être inconscient et d’être prêt à en assumer les horreurs.

D’autant que l’histoire que nous content Zidrou et Benoît Springer ne remonte pas aux temps anciens et, géographiquement, n’est pas aussi lointaine qu’on aurait pu le croire : les autruches semblant libres de leurs propres ailes dans ce qu’on pensait être une savane, sur la couverture, sont en fait prisonnières d’un élevage, dans un coin de la France que d’aucuns disent profonde.

Pep en est d’ailleurs un sacré représentant. Et s’il a trouvé son business, il ne vit certainement pas la vie de ses rêves. Pep, il est taiseux et ça tranche (c’est le cas de le dire) avec sa femme volubile et agaçante au possible. Un vieux couple après seulement treize ans de vie commune. Inutile de dire que ces deux-là ne vieilliront pas ensemble.

Vous ne croyez pas si bien dire puisque Pep vient de précipiter les choses : dans une furie meurtrière, à grands coups de masse, il vient de tuer sa femme et de jeter son corps inerte et désormais muet – profitez du silence, ces choses-là sont précieuses – tout en bas du puits. Là où personne ne le trouvera. Le plan parfait va vite tourner au cauchemar car la femme qu’il vient de battre en steak l’attend comme si de rien était à la maison, au Ostrich Paradise qui n’en finira pas de mal porter son nom. Encore plus quand la belle-fille complètement indocile va rendre la vie de Pep un peu plus compliquée.


La petite souriante, c’est une bande dessinée qui pourrait être conçue comme une pièce de théâtre, sans queue ni tête, et ce n’est pas si grave car la chute est bonne. Zidrou et Springer continuent de sonder les relations (in)humaines en les poussant à l’extrême et à l’horreur. S’affranchissant de la mélopée créée il y a 110 ans par Edmond « Dufleuve » Bouchaud et Raoul Georges, le duo livre une sorte de huis-clos spacieux désespéré, un jour sans fin qui devient une vie sans fin.

C’est jouissif, tout en espérant de tout coeur que pareille mésaventure ne nous arrive pas, si un jour nous devions tuer notre femme. Voilà un récit maîtrisé et galvanisé par un ressort comico-tragique rudement efficace et sanglant. Haletant. À moins que telle une autruche, vous préféreriez enfouir votre tête dans le sable ? Dieu ou diable qu’on vous comprendrait.

Titre : La petite souriante
Libre adaptation de la chanson « Elle était souriante » d’Edmond « Dufleuve » Bouchaud et Raoul Georges
Récit complet
Scénario : Zidrou
Dessin : Benoit Springer (Page Fb)
Couleurs : Benoit Springer et Séverine Lambour
Genre : Conte Macabre, Fantastique
Éditeur : Dupuis
Nbre de pages : 56 (+ cahier graphique de 15 pages)
Prix : 14,50€
Date de sortie : le 02/02/2018
Extraits :