Qui dit été, dit aussi saga de l’été. Alors que la télé est en disette, on vous a peut-être dégoté du lourd. Ça s’appelle L’Héritage du Diable, une oeuvre que Jérôme Félix et Paul Gastine ont mis dix ans à conclure. Quatre tomes dans lesquels s’entremêlent des thèmes bien aimés d’Indiana Jones, de l’ésotérisme et de la grande aventure, tout en restant un produit local qui n’a pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour séduire.

Ainsi, entre complot, fin du monde et mythe persistants, nous voilà entraînés à percer le mystère de Rennes-le-Château et du célèbre Abbé Saunière, déjà exploités dans pas mal d’oeuvres (et notamment le Da Vinci Code). Pourtant, ici, le propos est différent et; dans les pas du naïf Constant, qui n’a rien d’un héros, de son ami Maurice (voix du lecteur et sorte de Capitaine Haddock érudit) et de la jolie voleuse Diane; nous voilà aux prises avec la mystérieuse Juliette, semblant ne pas vieillir de siècle en siècle, et avec Emma Calvé, cantatrice et espionne nazie totalement mégalomane, pour empêcher un funeste sort pour la deuxième Guerre Mondiale. Une quadrilogie passionnante, érudite mais sachant aussi prendre le contre-pied des chasseurs de trésors pour donner une autre lumière sur ce mystère toujours aussi entier. Nous avons rencontré Jérôme Félix et Paul Gastine pour une très longue, mais tout aussi enrichissante, interview.
Résumé: Paris, 1938. L’amour existe, Constant l’a rencontré. Elle s’appelle Juliette. Après une nuit passée en sa compagnie, la belle s’est envolée. Cinq ans plus tard, il retrouve la jeune fille figurant sur une reproduction d’un tableau du XVIIe siècle, «Les Bergers d’Arcadie», qu’il achète à prix d’or. Pour des raisons plus sournoises, l’oeuvre fascine également les proches du Führer, persuadés qu’elle cache un secret qui donnerait un pouvoir hérité du diable lui-même. Et ces gens-là sont prêts à tout pour parvenir à leurs fins…
Bonjour Jérôme, bonjour Paul. Comment est née cette série? Son énigmatisme, dans l’air depuis un moment.
Jérôme: C’est vrai qu’elle est née il y a dix ans, dans une période où l’ésotérisme revenait en puissance, entre le Da Vinci Code et le Troisième Testament. C’est parti de la volonté de faire une BD ensemble. Et c’est sur la route du festival de St Malo que Paul m’a dit: j’ai lu un super bouquin. Le Da Vinci Code.
Paul: Je ne sais même pas s’il y avait déjà le buzz à l’époque.
Jérôme: En effet. D’ailleurs, je n’avais pas la télé à l’époque et je pensais que tu me parlais d’un auteur qui s’appelait David Sicode. Et Paul m’a raconté l’intrigue. Je ne connaissais pas le bouquin mais ça ‘a tout de suite fait penser à l’énigme de Rennes-le-Château, une énigme très connue dans le monde de l’ésotérisme. Moi, ça faisait deux ou trois ans que j’archivais des choses sur ce sujet. Je lui ai raconté à mon tour ce mystère entourant Rennes-le-Château et pour lequel je voulais faire une bd. Mais je voulais en faire quelque chose d’érudit alors que Paul voulait faire de l’aventure. Ce qu’on a fait.
Mais on n’était pas dupes, on savait qu’on arrivait en bout de course de la bd d’ésotérisme – bon, on ne savait pas qu’on allait mettre dix ans à faire cette quadrilogie – donc on ne voulait pas révéler un nouveau secret du Vatican. À l’époque, un soi-disant mystère était révélé toutes les semaines. Jésus avait un caniche etc. Le « on va vous révéler un nouveau secret du Vatican », ce n’était plus possible. Du coup, on a cherché un final surprise. On ne voulait pas refaire ce qui avait déjà été bien fait. Comme la collection Loge noire de Glénat.
Petit rappel des premières pages de l’aventure:
Une collaboration qui s’est goupillée de quelle manière?
Paul: Nous nous sommes rencontrés parce qu’un ami à moi, quand j’étais au lycée, William, habitait à Blainville où Jérôme animait des ateliers. J’y suis allé sans savoir que Jérôme était scénariste, et il m’a appris les ficelles.
Jérôme: J’ai vu que Paul avait vachement de talent et je l’ai fait rencontrer de vrais dessinateurs. L’envie était là et on s’est lié d’amitié malgré la différence d’âge. J’avais le pied à l’étrier et notre projet a été accepté.
Le pied à l’étrier sans pour autant avoir tâté de ce genre-là.
Jérôme: En effet. Je n’ai jamais fait deux séries dans le même genre, je suis toujours passé du coq à l’âne, je ne voulais pas me répéter. Ici, c’était un sujet qui m’intéressait. Le mystère de Rennes-le-Château est intrigant, c’est amusant. Ça titille.

Paul: On a très vite fait de tomber dedans. Avec tellement de versions. Tous les mecs qui ont écrit des livres en arrivent toujours à leurs propres conclusions. Nous, on s’en est servis comme base à un récit d’aventure.
Jérôme: Et on ne tenait surtout pas à emprunter – ni cautionner – une théorie à quelqu’un. Évidemment, on était moins cultivé que les gens qui ont passé trente ou quarante ans sur le mythe. Mais on s’est servi de la littérature, de la mythologie pour piocher des idées. Mais, à tout prix, on voulait inventer une solution. Qui ne soit pas magique.
Vous vous êtes aussi immiscés dans le monde des chercheurs de trésors, non?
Jérôme: Oui, j’ai été à Rennes-le-Château, fait des repas de chercheurs de trésors. J’ai rencontré la faune locale. J’ai parfois voulu faire le kéket. La première fois que j’ai été invité, je me suis retrouvé à côté d’un mec. On parle ensemble. Je joue le jeu à fond et lui dit avoir lu une trentaine de bouquins. Moment suspendu, il me regarde et me dit « C’est tout?! ». Eux, ils en ont lu 150. Et ils ne rigolent pas. Il y a des familles: ceux qui cherchent une solution ésotérique, les autres qui cherchent dans la rationalité, les OVNIS…
Paul: Les bourrins qui font tout péter en espérant trouver quelques choses.
Jérôme: Et ceux qui sont juste là pour boire un coup!
Paul: Moi, je ne voulais pas entrer dans ce débat-là avec ces fous.
Jérôme: Il y en a qui deviennent fous! C’est exactement le même mystère que Jack l’éventreur en fait. Comme il n’y a pas de version officielle, c’est envahissant et obsessionnel, un mystère ésotérique. Et plus tu passes du temps, moins t’es capable de revenir en arrière. Sinon ça remet en cause ce que tu as fait. Il y a des gens qui passent leurs vacances depuis trente ans à Rennes-le-Château.

Ils vont être déçu en lisant votre bd.
Jérôme: Non, pas du tout. J’ai reçu des mails: « oh c’est bien, tu t’amuses même si ce n’est pas du tout ça ». Moi qui pensais qu’ils allaient me rentrer dedans. Ils ont compris qu’on ne marchait pas sur leurs plates-bandes.
Paul: D’ailleurs, on a changé l’époque de cette fiction. On voulait entrer dans une distanciation.
Jérôme: Le mystère débute en 1885 et nous on le situe en 1938. On a une lectrice, une des plus jolies, qui est venue en dédicace et qui s’est plainte. On n’a pas de bol, on a déjà peu de lectrices!
Paul: Et l’autre lectrice, c’était une charmante petite Asiatique qui m’a demandé de dessiner un gros… SS. Vraiment pas de bol.

Jérôme: Enfin, on se met à côté des auteurs qui ont un public féminin, ça compense.
Paul: Mais on a l’air encore plus misérables du coup!
Jérôme: Cela dit, je me souviens de mes premières dédicaces. Avec mon premier album, 9 vies pour un six-coup, réalisé avec Florent Heitz. Un homme s’approche et nous demande de dessiner un des personnages de la série dans le plus simple appareil. Une scène de sexe, quoi. Sauf que tous les personnages de cette bd étaient des… animaux. Bref, Florent s’exécute. Mais dans ce festival où nous étions tables contre tables avec d’autres auteurs, notre voisin regarde. L’air de dire: « Oh mais c’est bien ce que tu fais là. » Et l’album a circulé de table en table, chaque auteur y est allé d’un dessin dans la même veine pour assouvir la passion de ce chasseur de dédicaces démasqué. Il s’est retrouvé avec une oeuvre incroyable, avec plein d’animaux nus, une orgie. Pas sûr, par contre, qu’il la montre souvent à ses amis.
Ici, vous avez mis dix ans à sortir ces quatre albums.
Paul: Oui, mais c’est de ma faute. Jérôme n’a pas mis dix ans à l’écrire.
Jérôme: Quand même, ce n’était pas une histoire facile à écrire, c’est riche.
Paul: Mais j’étais en apprentissage sur les premiers. J’ai mis presque trois ans sur le premier. J’ai accéléré à chaque album.

Jérôme: D’ailleurs, l’éditeur nous a un peu sermonnés là-dessus, ce sont des délais qui ne sont plus tenables à l’époque actuelle. Paul ne voulait rien sacrifier à la qualité. Et pour la première fois cette année, l’éditeur m’a tenu un discours différent: « les bouquins faits vite, on n’en veut plus. Prenez votre temps. » Alors qu’ils nous en ont voulu.
Paul: Pendant tout ce temps, je me suis ramassé des coups de pied au cul, cordiaux mais bon.
Paul: Il y a eu l’influence des séries télé habituant le spectateur à avoir quelque chose de très régulier et rapide. Et le manga, pareil. Même si nous sommes plus sur un lectorat de quadras habitués à la bd franco-belge.
Jérôme: Mais, c’est vrai, on n’a pas su s’adapter à un marché qui évoluait.
Paul: On a voulu bien faire les choses.
Jérôme: Et on ne nous a pas lâchés, les chiffres de vente étaient corrects. Mais je pense que la série aura quatre ou cinq années de vie. Alors que certaines disparaissent très vite des mémoires. Le niveau de dessin est élevé. Même si le premier est un peu daté, on peut le dire. Mais le tome 2 tient encore la route. J’avais déjà observé ça avec L’Arche. J’ai continué à toucher des droits d’auteur corrects sur quatre ou cinq ans.

C’était quand même prévu sur trois tomes, non?
Jérôme: Oui. On était ambitieux. Mais on a senti que c’était court. Bamboo a été le premier à annoncer le nombre de tomes des séries. Mais c’est compliqué! Faut en mettre combien? Ben, je sais pas, mets en trois! Tu dis vaguement trois, à l’arrache. Au 2, on l’a senti. Et comme la série marchait pas mal, c’est passé. C’est Paul qui a le plus souffert sur le quatrième.
Paul: La fatigue de cet univers depuis si longtemps, le syndrome de l’album de trop… Mais ça a été compensé par le fait que j’ai fait mes propres couleurs. Alors que sur les trois premiers, c’était Scarlett. Elle m’a gentiment passé la main, donc j’ai pu compenser la lassitude.
Jérôme: Ce n’était pas une lassitude par rapport à l’histoire mais par rapport à l’évolution du dessin de Paul. Il avait tellement évolué qu’il devait se freiner. Il ne pouvait pas montrer son évolution dans ses pages pour garder une cohérence. Paul avait envie de passer à autre chose.
Il a fallu canaliser?
Paul: Ça a été l’énorme souci. J’en étais au quart du tome 4 que je dessinais déjà totalement différemment.
Jérôme: Il a dû dessiner avec le frein à main bloqué. Une vraie souffrance. D’autant plus qu’on était obligé de revenir dans des endroits visités lors des premiers tomes. Je le savais, je me disais « Oh non, je ramène Paul là! ». Il faut sentir le moment où il faut arrêter de se faire plaisir.
Paul: On peut se permettre des fantaisies, mais à un moment, il faut régler la note! Heureusement, il n’y a pas eu trop de scène dans la grotte avec l’incantation magique.
Jérôme: On l’a raconté de manières tellement différentes, en fonction des infos supplémentaires qu’avaient les personnages. Paul a passé au moins 25 planches dans la grotte. Et comme je suis pote avec Joël Parnotte, il m’avait dit à quel point il avait détesté dessiné la grotte du Sang des Porphyre. Je le savais et pourtant, j’ai fait pareil. Et Paul m’appelait: « J’en ai ras-le-bol de ces scènes. » Après, avec des « si j’avais su ».

Paul: Il faut assumer.
Jérôme: Il y avait la carotte à la fin, la scène du Débarquement. Après, il nous a manqué de place, donc ça n’a pas duré longtemps.
Paul: J’ai adoré dessiné Churchill. Alors qu’au début, je ne voulais pas. Ce ne devait pas être le Musée de la guerre, quoi!
Jérôme: Je ne suis pas fan de toutes ces bds et films qui veulent coller au réel. L’imagination se tarit. Heureusement, je n’ai pas la télé. Mais sur internet, j’ai l’impression que tout le monde a désormais les mêmes sources.
Paul: Moi, en tant que dessinateur, j’évite comme la peste Google Image. Tout le monde y va. J’ai ouvert les westerns de certains auteurs, et j’ai retrouvé des détails de photos que j’avais moi-même reprise. « Ah ça c’est classe ». Et puis en fin de compte, si tout le monde l’a. Sans insulter le talent de ceux-là. J’essaie de créer de nouvelles images plutôt que faire rebouillir des images cent fois utilisées. C’est pour ça que j’étais tellement content qu’on ait nos propres photos prises au Mont-Saint-Michel. Je ne voulais pas la vue d’hélico que tu retrouves sur toutes les chiottes des hôtels de Normandie.

Mais je trouve que cette évolution s’accorde bien avec l’histoire. Dans le sens où votre personnage, Constant, n’est plus du tout le même que dans le premier tome. Le gentil naïf au coeur de guimauve a pris un sacré coup de virilité. Il s’est durci!
Jérôme: C’était rigolo. On avait choisi un personnage naïf pour se laisser une marge. Et le dessin de Constant a évolué en même temps que le scénario. Il y a une case du tome 3 où Paul a décidé que Constant devenait un homme. C’est marrant parce qu’on l’a constaté comme ça.
Paul: Ça s’est fait naturellement. On était synchrone, et chacun de nous deux a fait son chemin.
Jérôme: Mais cette série, ce n’était pas l’un dessinait et l’autre qui écrivait. Non. On était tout le temps ensemble, pour les ajustements, des changements. La trame était toujours remixées.

Quel luxe, quand on voit désormais beaucoup d’auteurs collaborer à distance par Skype…
Jérôme: Je pense que je ne saurais même pas comment allumer Skype! Mais on est voisins aussi, donc ça aide.
Des défis au niveau des dessins?
Paul: Oh oui, des défis que je lui ai demandés, d’autres qu’il m’a donné. Le zeppelin, par exemple. Lorsqu’on a commencé la série, je ne savais pas comment m’y prendre. Trouver de la documentation, c’était infernal. Alors que, maintenant, il y a des maquettes 3D un peu partout sur internet. C’est terrible d’ailleurs, quand je vois comment j’ai sué sur les deux premiers tomes, et qu’un copain, Tieko – le dessinateur d’Hindenburg – m’a filé l’adresse web de ce fameux zeppelin. Ça faisait 48 planches que j’en avais besoin!
Autre défi, les toits du Mont-Saint-Michel. On avait été en repérage.
Jérôme: On a demandé aux Monuments Historiques de France de nous ouvrir les toits du Mont, aujourd’hui inaccessibles au public sinon deux fois par an. On grimpe par un escalier incroyable dans une tour et on se retrouve en haut. D’ailleurs, on voyait les touristes japonais nous regarder d’en bas, dégoûtés de ne pas être à notre place. On est resté une heure et on s’est imaginé la scène de fuite de personnage. On ne savait pas comment il pourrait s’enfuir donc on a mimé, jusqu’à trouver la solution. On a des photos. Les perspectives sont incroyables.
Quand on peut aller en repérages, on adore ça. Tous les châteaux de la série, ce sont des châteaux qui sont à cinq bornes de chez nous. Même si on les situe à l’autre bout de la France.

Paul: On a été faire des photos. C’est sympa, ça apporte de faire évoluer les personnages dans des décors où on a été. C’est important en termes d’immersion et de motivation.
Vous avez quand même vu un peu l’Aude et Rennes-le-Château?
Jérôme: J’y ai été une semaine en vacances.
Paul: J’y ai été un peu moins longtemps, le temps de visiter le château, la maison de l’Abbé Saunière… Mais le village était en travaux à l’époque, c’était inexploitable.
Jérôme: Cela dit, on n’y passe pas non plus des plombes. Mais c’était important de montrer l’Aude. Rennes, c’est un bled, trente maisons à tout casser. C’est plus joli de le voir de loin, il est bien perché.
Mais, il n’y a qu’en Écosse que nous ne sommes pas allés. Mais le Mont-Saint-Michel, c’était un chouette moment, on avait l’impression d’en avoir les clés. C’est un lieu magique.

Paul: C’est chargé d’histoire. Ça se passe dans de la vieille pierre, des châteaux, des abbayes, des cimetières.
En quatre tomes, vous auriez pu voir du monde, et aller du Pérou au Taj Mahal. Mais non, vous êtes restés en France. Vous êtes arrivés à faire quelque chose d’haletant qui tourmente un peu l’esprit sans aller vraiment loin. C’est du produit local.
Paul: Oui, c’est vrai. Jérôme avait envisagé également une piste en Suède. Parce que le pentacle de Rennes-le-Château, on le retrouve sur une île en Suède. Il y avait un truc encore plus énorme, tu reliais plusieurs lieux en Europe et ça te faisait un pentacle gigantesque à l’échelle de l’Europe.
Jérôme: On a eu l’impression de voyager. Mais dans le contexte de l’époque aussi, nos héros ne pouvaient pas aller aux quatre coins du monde et prendre l’avion à tout bout de champ. Peut-être que ça nous suffisait de passer dans plein d’environnements différents. L’Écosse, par contre, c’était vraiment Paul qui en avait envie. Du coup, on y a mis un tableau qui pouvait être n’importe où.

Paul: En tout, on va à Paris, dans l’Aude, dans les Alpes, en Allemagne. Ça reste franco-français, mais l’énigme l’est elle-même à la base. C’est peut-être ce qui nous différencie d’Indiana Jones, avec ce côté exotique. Nous c’est l’exotisme à la française.
Il y a ce côté Indiana Jones, quand même. On ne peut pas ne pas en parler.
Jérôme: C’était la grande référence.
Paul: Pour moi, faire L’héritage du diable, c’était une manière de faire ma Dernière croisade à moi. C’est mon film culte de môme.
Jérôme: Paul est venu avec cette référence pour partir dans l’aventure. J’adore aussi mais je ne voulais pas que le héros soit trop bon. Il nous fallait un blaireau à la base pour le rendre plus accessible et lui donner une marge d’évolution pour qu’il devienne le héros à la fin.

Comme Shia LaBoeuf, quoi.
Paul: Puis, Indiana Jones, il a quand même ses failles et ses coups de bol. Il a peur des serpents.
Jérôme: C’est une belle référence, et étonnamment, il n’y a pas tant de bd d’aventure que ça. Puis pour revenir à Indiana Jones, nous avons un méchant médecin nazi, une grande méchante, Emma Calvé, qui pourrait typiquement être incarnée par Cate Blanchett. Elle est un peu comme ça. On assume.
Justement, pourquoi ce choix d’une femme en grande méchante?
Paul: J’avais cette envie de dessin. Jérôme a parfois galéré à l’intégrer dans le récit de manière crédible. Elle est complètement exubérante et prend toute la place. Pourtant, elle est censée être une espionne discrète.
Jérôme: C’était toujours limite, c’est un personnage qui ne joue pas la même partition que les autres. Plus cartoon et pas facile à manier. D’ailleurs, je ne donnais comme infos que le strict minimum à Paul pour qu’il puisse la dessiner comme il le sentait. Avec amusement, d’ailleurs. Moi, je me mettais en position de lecteur pour juger s’il allait trop loin ou pas.

Mais, il a réussi à faire des scènes superbes. J’adore ce passage dans l’Aude où elle est avec sa bande et se fait servir le champagne Dom Pérignon devant sa tente. C’est une trouvaille, de la récréation. En une case, le personnage est bien campé.
Paul: C’est un personnage à la fois complètement givré mais aussi glamour. C’est la note glamour du bouquin.
Jérôme: Il fallait assumer ce personnage. Mais le dessin l’a permis. Mal dessinée, mal animée, ça ne serait pas passé. Comme Paul la maîtrisait bien, je le laissais aller.

C’est d’ailleurs tout le jeu de cette histoire: bien doser. Ça tient à pas grand-chose!
Jérôme: Il y a des moments sur lesquels on est revenu. Il y avait initialement plus d’humour dans les premiers tomes. Puis l’ésotérisme a pris le pas.
Paul: Puis les événements s’aggravaient et passaient les personnages à la moulinette. Normal de ne plus arriver à placer une note d’humour.
Jérôme: Ça ne collait plus. Or, j’aime plutôt bien déconner. Il a fallu qu’on se calme.
Paul: On partait dans des trucs… À partir de la séquence du Mont-Saint-Michel, le récit et la partie graphique ont fait évoluer la série d’un cran. L’humour s’y retrouvait mal placé.

Jérôme: J’en ai souffert, je ne voulais pas dire aux lecteurs: « tout ça est très sérieux ».
Paul: C’est là que le contre-point d’Emma Calvé, la méchante, permettait de rester dans le cadre de fiction et de fun.
Jérôme: Il y a bien Maurice, le grand ami de Constant, qui incarne un peu la voix du lecteur. « Arrête tes conneries ». Mais dans les deux derniers tomes, il n’a plus vraiment envie de lâcher une vanne. D’ailleurs, si on lit bien le tome 2, Maurice donne la solution finale, de manière terre-à-terre. C’était rigolo. C’est un peu le Capitaine Haddock. Il a la mauvaise conscience.
Paul: Il est en opposition avec Constant, ce névrosé jusqu’à la moelle, perché et limite anorexique. Maurice, il boit, va au bordel.

Jérôme: C’est bien parce qu’on n’a pas oublié ce personnage en cours de route. Il est même central. Il sert dès le moment où il est séparé du groupe. Il aurait pu être faire-valoir mais, non, il va servir à faire connaître le programme des autres. C’est ma trouille, oublier les personnages. Comme les maquisards, il manque peut-être une scène entre eux.
Il y a une scène qui, par contre, est d’une tension ahurissante. Cette scène où des soldats sont exécutés. On ressent ce qu’il se passe dans leurs yeux, leurs corps en cet instant fatidique.
Paul: Et cette grande scène pour donner la dimension du drame, ces quarante mecs morts autour de Juliette.
Jérôme: L’éditeur m’a appelé: ça c’est du lourd. Les mecs vont jusqu’au bout. Et là encore, dans le tome 2, c’était annoncé. (rire).
Facile à dire quand on est le scénariste.
Jérôme: Cette scène, elle invite à se demander: est-ce qu’on l’aurait fait? Il y a aussi cette magnifique séquence où Juliette part pour se jeter de la falaise. Sans doute la plus belle scène des albums. Mais en plus, je n’aime pas trop tuer des gens.

Paul: Moi, j’adore. Les explosions de violence du bouquin, il fallait « marshmaloweter » le truc.
Jérôme: Il me disait: « Regarde, là, je le fais crever pendant quatre cases. On le voit bien. » Il adore être sadique.
Paul: Des nazis qui s’entrebouffent, il faut y aller. Tu peux leur donner des morts atroces, sans te retourner. Par contre, des morts dans les personnages principaux, j’ai plus de mal.
Jérôme: À un moment, je voulais tuer tout le monde.
Paul: Ça compromettait la suite. Qu’il ne m’a d’ailleurs toujours pas annoncée.

Jérôme: Il y a une piste. Une idée comme ça. Mais s’ils mourraient tous, le dernier retournement de situation ne pouvait pas avoir lieu. Paul, lui, ne voulait pas se séparer après dix ans avec ces personnages. Il a été fleur bleue, pour le coup.
Paul: Je lui envoyais des personnages trop mignons pour le faire plier.
Jérôme: Et je tiens à dire que le bisou final est de Paul.
Paul: Mais tu peux intégrer tout ça dans des récits comme ça. Un grand huit émotionnel.
À la fin, au camp, l’arrivée de Diane. Elle porte la veste d’Indiana Jones, non?
(Rires).
Paul: Ben, oui.
Jérôme: Démasqué!
Paul: De quoi? J’ai toujours assumé. C’est la séquence Indiana Jones.

On peut lancer le générique alors! Mais il y a aussi un Louis de Funès, non?
Paul: Oui, dans le tome 2, c’était encore la période où on pouvait s’amuser.
Jérôme: Je le trouvais bien en conservateur du Louvre, avec un Hercule derrière lui.
Paul: Il fallait un mec en opposition avec l’éphèbe derrière lui. Chouette scène avec le jeu d’acteur.
Quelle jeu de manipulation, finalement.
Jérôme: Il y a plein de pistes pour, au final, dire que…
Paul: Il y a sans doute plus d’indices que de résolutions. Comme le mystère de Rennes-Le-Château. Tout le monde marche à un truc complètement rocambolesque parce que c’est bien amené.
Jérôme: J’avais été marqué en rencontrant des chercheurs de trésors par cette capacité à, avec peu de choses, combler les vides. « Ça ne peut pas être le hasard. » Là où il y a du vide, le cerveau relie les éléments.
Paul: « Si je relie toutes les boulangeries de mon village, j’arrive à un croissant parfait. »

Jérôme: Les fameuses cinq montagnes qui forment un pentacle, elles existent, par contre. Mais il y a une explication très logique: lorsqu’une météorite tombe, l’impact pousse toute la terre autour pour former un cercle parfait. On peut l’imaginer dans l’Aude. Il y a des choses totalement surprenantes dans le monde. Mais c’est compliqué d’accepter un hasard parfait.
Paul: C’est la naissance des mythes, des religions…
Jérôme: Ainsi je me sers du bouquin de Chrétien de Troyes, Lancelot le chevalier à la charrette. Or l’ancien nom de Rennes-le-Château, c’est Rhedae qui veut dire « charrette » en Visigoth. Chevalier à la charrette, c’est naze comme nom. Pourtant, il y en a plein qui font le lien entre les deux. On m’a dit que Chrétien de Troyes, troubadour du Languedoc, a créé ça sur demande d’une reine. Et certains font des livres de 400 pages. Moi, je n’ai pas vérifié s’ils avaient raison. Mais c’est valorisant de faire avancer un mythe. De se dire: ah, j’ai trouvé quelque chose.

Moi-même, je m’y suis laissé piéger. Ainsi, j’ai tracé un trait sur une carte entre Rennes-le-Château et Rennes. Et dans le Triangle Secret, j’avais lu qu’il y avait un Brienne-le-Château, un Rennes-le-Château bis. J’ai regardé où c’était et j’ai tracé un trait. Un triangle. L’oeil vagabonde sur la carte et voilà qu’au milieu, je tombe sur Montrésor. « Oh j’ai trouvé un truc. » Je dis à ma femme qui est instit’: « Ramène une grande règle. » Bon, ça ne tombait pas exactement au milieu. Mais on est vite pris dans le truc. Et je suis passé pendant mes vacances à… Montrésor.
Paul: Ça rend fou.
Jérôme: Il y a des gens qui ont tout plaqué. Moi, je me suis arrêté à Montrésor.
On voulait lancer plein de pistes aux lecteurs pour qu’il fasse des rapports. Pour le prendre au jeu. Avec la crainte que les lecteurs soient déçus du final.
Paul: Mais c’est ce qui va différencier notre bouquin. On aurait en effet pu faire l’Apocalypse.

La suite alors?
Paul: On est partis sur un western, un one shot en 64 pages chez Grand Angle.
Jérôme: Paul a lâché le frein à main. On a eu les retours des collègues. Et là, c’est bon, voilà Paul dans la cour des grands. Alain Dodier a envoyé un message à l’éditeur en disant qu’il n’y avait qu’une explication au talent de Paul: c’était un extra-terrestre!
Un pitch pour ce western?
Jérôme: Ça raconte que l’époque des cowboys, ces gars qui emmenaient les troupeaux de vaches, n’a duré qu’une dizaine d’années. Et que, du jour au lendemain, ces types se sont retrouvés sans boulot, des inadaptés sociaux. Et on raconte l’histoire de ces types qui ne peuvent plus se réadapter. Ce qu’ils deviennent n’est pas brillant. C’est un western de fin du monde. Avec deux cowboys, un jeune et un vieux, qui doivent s’occuper d’un gamin d’une vingtaine d’années qui est un peu handicapé. Comment vont-ils quitter le monde des cowboys pour tenter de rentrer dans une vie normale. D’autant plus, que la fin des cowboys, apparaît le train qui symbolise la technologie et un monde qui veut faire table rase du passé. Et, par conséquent, des cowboys. Des types sans lois, vivant avec celles de la nature, et qui doivent se plier à de nouvelles lois un peu hypocrites. Tout cela se passe dans un village où ça va mal se passer!
D’autres projets?
Jérôme: À titre personnel, j’écris l’adaptation de L’aiguille creuse, roman de Maurice Leblanc avec Arsène Lupin. J’écris aussi un scénario pour une histoire plus touchante. L’histoire de deux enfants. J’écris deux projets par an, voilà mon programme pour l’année.
Avec une possibilité de suite pour L’héritage du diable?
Paul: Je vais finir par savoir, bon sang.
Jérôme: Oui, ce devait être bouclé. Mais, dernièrement, j’ai décanté, et ça m’a un peu manqué.
Paul: Pourtant, t’aurais dû voir à quel point on maudissait le bouquin, il y a quelques mois.
Jérôme: Reste à savoir le thème. On ne peut pas reproposer à nos lecteurs un autre mystère. Puis, nos personnages ont réglé leurs problèmes. Ils n’ont plus trop d’intérêt de continuer. Mais j’ai trouvé une piste. Un truc inexploité. En fait, j’ai vu une image qui m’a marqué et qui m’a donné une envie de continuer. Et surtout, comme dans la première histoire on termine sur un événement réel, j’ai aussi trouvé un autre événement auquel on pourrait raccrocher ça. Mais évidemment, Paul a d’autres projets, donc je ne pense pas qu’il dessinerait cette hypothétique suite. Pour être franc, j’en ai aussi parlé à l’éditeur qui n’a pas été emballé. On verra. Mais il ne faut pas se planter. Car une suite, beaucoup de lecteurs peuvent se dire: « Oh, ils font une suite pour faire une suite ». Je vais tester l’idée. Mais je n’ai pas envie d’une suite qui rabaisse la première histoire.

Paul: Je rêve, il ne va pas dire ce qu’il a en tête. Pourquoi pas un « Freddy n’est pas mort ».
Jérôme: En fait, c’est ça. Freddy n’est pas mort et s’est marié avec Jason depuis qu’on peut se pacser. Ils ont adopté Emma Calvé.
Paul: Le cadavre momifié d’Emma Calvé ramené à la vie.
Jérôme: Ça pourrait avoir avec… des soucoupes volantes!
Paul: Tu te fous de moi? Attends, pas comme le dernier Indiana Jones. Tu ne vas pas me faire faire ça.
Jérôme: Non, mais j’ai trouvé un truc de réutiliser les personnages.
On n’en saura pas plus. Dommage car on en a envie! Merci à tous les deux et à très vite!
Série: L’héritage du diable
Tome: 4/4 – L’apocalypse
Scénario: Jérôme Félix
Dessin et couleurs: Paul Gastine
Genre: Aventure, Ésotérisme, Mystère
Éditeur: Bamboo
Collection: Grand Angle
Nbre de pages: 56
Prix: 13,90€
Date de sortie: le 01/06/2016
Extraits:
Et aussi:
Série: L’héritage du diable
Intégrale
Scénario: Jérôme Félix
Dessin: Paul Gastine
Noir et blanc
Genre: Aventure, Ésotérisme, Mystère
Éditeur: Bamboo
Collection: Grand Angle
Nbre de pages: 196
Prix: 69€
Date de sortie: le 04/05/2016
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