Imaginez: vous partagez une maison quatre-façades avec votre pire ennemi. Puisqu’on ne choisit pas sa famille, double peine, ce pire ennemi est votre soeur. Les années n’y ont rien fait, Lise et Camille sont restées sur leurs positions, cultivant des loisirs et des passions diamétralement opposées. Elles sont dans leur jus, leurs habitudes, si compliquées à changer.
Résumé de Deux Soeurs par Grand Angle : “La seule chose qu’elles partagent, c’est une maison !” Lise et Camille sont deux sœurs. L’une, énergique et sportive, travaille dans la finance et adore le foot. L’autre, plutôt hippie, est enseignante et collectionne les instruments de musique. Curieusement, bien que tout les sépare, elles habitent la même maison, coupée en deux. Mais pour combien de temps encore ? Lorsque le propriétaire décide de vendre son bien, elles envisagent de le racheter ensemble. Mais sont-elles seulement capables de s’entendre ?
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Cette maison-là, elle n’a rien de particulier en tant que tel. Pas comme celle de Madeleine, dans Jamais, certes menacée par la falaise qui perd sans cesse plus de morceaux. C’est vrai qu’en se baladant dans la rue ou à la campagne, il y a de ces demeures où l’on voudrait rentrer, s’incruster, être un peu voyeur. C’est aussi un magnifique prétexte pour les auteurs créer de la tension, des intrigues, des relations humaines. En huis clos ou non.
Isabelle Sivan emmène Bruno Duhamel pour la deuxième fois dans les meubles d’une maison. Comme je l’écrivais, par rapport à la star de Jamais et sa suite, celle-ci est banale, dans un quartier résidentiel comme il y en a des milliers. Mais voilà, cette bicoque-là a deux visages. Elle est parfaitement symétrique dans le fond, mais dans la forme, les deux âmes rebelles qui y vivent en ont personnalisé chaque moitié. Tout se regarde et, pourtant, tout s’affronte, Lise et Camille ne peuvent plus se voir. Seul leur chat (enfin, c’est celui de Camille) joue les agents de liaison avec tout le dédain pour les problèmes que se créent les humains dont sont capables les félins. Pour le reste, le grand mur qui sépare le jardin (enfin, la partie de Camille est désertique, là où celle de Lise est une véritable oasis) témoigne du grand froid qui règne ici-bas. Jusque dans le grenier. Et quand les murs tremblent, ce n’est pas à cause d’une quelconque réconciliation, mais parce que Camille a sorti son instrument de malheur… Elle ferait concurrence au gaffophone. Et ça n’adoucit pas les moeurs de sa voisine frangine.
Mais la délivrance n’est pas loin. Leur maison va être mise en vente. Elles vont pouvoir acter définitivement leur séparation. Sauf que… elles se sont mis en tête de racheter la baraque! Ce dont elles causent avec leur entourage. Les petits vieux du kiosque qui boursicotent, pour Lise; un cercle altermondialiste et borderline, pour Camille.
Comme toujours chez Bruno Duhamel, il y a du beau monde et des caractères bien trempés. Néanmoins, je dois avouer être sorti de cette lecture avec un goût de trop peu, parce que si la fin est voulue inattendue pour les deux héroïnes, elle est en fait très attendue pour le lecteur que je suis et qui n’a pas pu s’empêcher de soupirer: « tout ça pour ça ». L’album dure 68 planches et je me dis que son intrigue et ses péripéties auraient pu tenir dans une histoire courte. Mais, il est vrai, cela n’aurait pas permis à Bruno Duhamel de faire de ses planches une vraie maison, qui vit et qui vibre (surtout quand Camille porte sa bouche à son didgeridoo-jesaispastropquoi) dans le sens de la longueur, d’étage en étage et de porte à porte. C’est aussi hilarant que didactique quant au pouvoir formidable du Neuvième Art. Bref, ça, ça vaut le coup d’oeil. De même que les voyages aériens du chat qui tente de réconcilier, sans succès, les deux soeurs et leurs deux logis. Pour le reste, ça ne déménage pas tellement.
À lire chez Grand Angle.