Dans L’ombre des lumières: Ayroles et Guérineau se lancent à la poursuite épistolaire du bien mal-nommé Chevalier de Saint-Sauveur, coupable de convoitise et de cynisme

Il a dupé son monde pendant le siècle des lumières. Se pourrait-il, enfin, que l’inconséquent Chevalier de Saint-Sauveur ait été démasqué? Dans sa nouvelle trilogie, Alain Ayroles entraîne Richard Guérineau entre les lettres d’une correspondance soutenue, tournée à l’avantage d’un homme mystère, chasseur de femmes, encore plus si elles paraissent inaccessibles. Il repartira aussi vite et n’est pas à un sale coup près. Cela promet d’être grandiose!

Résumé du tome 1 de L’ombre des lumières : Vice d’un homme, vice d’un ordre, vice d’une époque. Découverte dans les tiroirs secrets d’un secrétaire à cylindre, la correspondance du chevalier de Saint-Sauveur court sur tout le XVIIIe Siècle et dessine l’effarant portrait d’un malfaisant. En exposant les turpitudes de l’infâme libertin et la constance de ses infortunes, la publication de ces lettres participera, espérons-le, au triomphe de la Vertu.

© Ayroles/Guérineau chez Delcouert

Après Les Indes Fourbes et Le Baron, sur le terrain de la mythomanie aventurière, Alain Ayroles semble avoir trouvé son format. Son hors format. Cette fois, avec un troisième dessinateur – l’épatant Richard Guérineau, tellement bien dans le registre de cape et d’épée vaudevillesque -, le scénariste et homme de théâtre (les deux se mêlent dans son oeuvre) ne propose jusqu’ici pas de grand voyage d’aventure. Mais plutôt des aventures (au sens romantique puis cataclysmique de la chose) faits de petits voyages dans la France qui s’élève, et les bas instincts avec elle. Portés à notre connaissance de manière épistolaire, les agissements du chevalier de Saint-Sauveur, qui ne doute décidément de rien, mettent auteurs et lecteurs face un sacré exercice de style.

© Ayroles/Guérineau chez Delcouert

Après une double-introduction composée d’un avertissement de l’éditeur et d’une préface du rédacteur, pour directement nous mettre dans le bain (avant même que les images ne viennent) et brouiller les pistes quant à la véracité de ce qui va suivre, l’abattage de cartes peut commencer. Dès le départ, la personnalité du chevalier de Saint-Sauveur ne fait aucun doute: c’est un salaud! Mais jusqu’où peut-il aller et avec quelle étonnante facilité? Pris comme une fatalité pour les autres… car tout réussit à ce goujat.

C’est donc plutôt son identité qui reste en suspens, ce qui va agacer (mais aussi menacer) au plus haut point les pauvres victimes de cette histoire. Des femmes mais aussi des contemporains qui réussissent mieux que lui et qu’il peut court-circuiter à tout moment. Notre homme a des ressources. Si bien que dans les premières planches de cet album, Saint-Sauveur convoite déjà Mme de Clairefont. Il est charmeur, embusqué, mais la noble dame compte bien ne pas se laisser faire. Reste à voir si elle en aura la lucidité.

© Ayroles/Guérineau chez Delcouert

Après Les Indes Fourbes qui nous avait laissés dépendants, prisonniers, de la parole d’un seul homme, Alain Ayroles multiplie ici les sons de cloche et les interlocuteurs, qu’ils apparaissent ou non dans l’album, pour le moment. Il y a des correspondants mystères! Tout ça explose la narration, les sous-entendus et les démentis. Le rapport textes-images est idéal pour en raconter deux fois plus. Là où certains auteurs se donnent comme mot d’ordre d’utiliser le moins de cartouches possible dans leur album, Ayroles y trouve le rythme de son récit, en abusant et nous réjouissant des désaccords qu’il y a avec ce qui est montré par le dessin affûté et envolé de Richard Guérineau. Ça sautille aux yeux, tout y est, dans les ambiances, les couleurs, la frénésie comme les rounds d’observation. La reconstitution de cette époque est vivante.

© Ayroles/Guérineau chez Delcouert

Il y a tout de même un bémol, si je n’ai pas ressenti la confusion et la perdition que certains lecteurs disent avoir vécues en lisant ce premier acte, j’ai néanmoins très vite deviné l’identité de l’ignoble personnage à l’ego surdimensionné. Est-ce l’intuition, le fait d’avoir déjà vu pareille situation ailleurs ou des indices trop appuyés de la part des auteurs? Toujours est-il que j’ai démasqué Saint-Sauveur trop vite à mon goût, avant le moment propice prévu par les auteurs sans doute, et que ça m’a enlevé un peu le goût de la suite.

© Ayroles/Guérineau chez Delcouert

Puis, il y a le cachet, l’ampleur de cette BD, grand format avec une finition qui semble directement le faire jaillir du coffre aux archives d’un aïeul. La maquette est sublime mais fait, peut-être, dans l’imaginaire populaire des potentiels acheteurs, de cet album un immanquable… alors que jusqu’ici c’est un divertissement honnête mais pas excellentissime comme ont pu l’être De cape et de crocs, Le Baron ou Les Indes Fourbes. Oui, la présentation et la prestance prestigieuses joue sans doute aussi sur la petite déception que j’ai ressenti dans cet album.

© Ayroles/Guérineau chez Delcouert

À lire aux Éditions Delcourt.

Preview : 

© Ayroles/Guérineau chez Delcouert
© Ayroles/Guérineau chez Delcouert
© Ayroles/Guérineau chez Delcouert
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© Ayroles/Guérineau chez Delcouert
© Ayroles/Guérineau chez Delcouert
© Ayroles/Guérineau chez Delcouert
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© Ayroles/Guérineau chez Delcouert
© Ayroles/Guérineau chez Delcouert
© Ayroles/Guérineau chez Delcouert
© Ayroles/Guérineau chez Delcouert
© Ayroles/Guérineau chez Delcouert
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