
La montagne, ça vous gagne. Ça vous soude ou ça dessoude! Si on ne compte plus les récits survivalistes racontant le rapprochement improbable de deux inconnus et la réconciliation d’êtres brouillés, La neige en deuil (adapté du roman d’Henri Troyat par l’incroyable Dominique Monféry – la tuerie Mortel imprévu!), choisit un autre chemin. Une piste noire, glissante, abrupte, mal assurée mais qui vaut peut-être son pesant de trésor ou de damnation.


Résumé de La neige en deuil par Rue de Sèvres : Isaïe et Marcellin, deux frères, vivent depuis toujours dans leur bergerie familiale au sein de la montagne. Tout semble pourtant les opposer. Isaïe, marqué par un grave accident d’alpinisme lui ayant laissé des séquelles, vit pour s’occuper de ses moutons. À l’opposé, Marcellin rêve de quitter la monotonie de ce quotidien pour rejoindre la ville et ouvrir son magasin. Un jour, un avion s’écrase au sommet de la montagne. On raconte qu’il abrite de l’or. Prêt à tout pour arriver à ses fins, Marcellin propose à Isaïe une dangereuse expédition à la recherche de l’épave, quitte à mettre en péril leur relation fraternelle.

Sur base d’un véritable crash, celui du Malabar Princess dans le massif du Mont-Blanc en 1950, Henri Troyat a écrit, en 1952, ce roman, La neige en deuil. Une fiction comme une gueule de loup dans laquelle se jettent deux frères que tout oppose désormais. Rien ne peut encore plus les opposer, vous direz-vous, et pourtant… Adapté en film seulement quatre ans après la parution du roman, voilà seulement que le récit débarque en bande dessinée, sous une couverture qui fait fantasmer : deux hommes seuls au monde, qui tentent de se hisser sur un pic plus vertical-tu meurs! La définition même de l’abnégation, de la beauté de repousser ses limites dans un milieu aussi hostile et dantesque que magnifique de pureté glacée.
Pourtant, cette histoire n’est pas belle. C’est un traquenard tendu par Marcellin à Isaïe, son frère. Isaïe, son père, sa mère de substitution désormais mis au pied du mur, d’une montagne inabordable – il en sait quelque chose, il n’a rien oublié d’un précédent accident. S’il n’entraîne pas Marcellin à la conquête de la carcasse venue des Indes et arrivée en France en lambeaux, Isaïe perdra ses moutons, sa maison et tous les agendas dans lesquels, quotidiennement, il revit ses meilleurs et ses pires souvenirs. Pas le choix, à contrecoeur et à l’opposé de son mantra, Isaïe entreprend l’ascension de cette montagne nourricière autant que meurtrière (jamais les noms du Mont-Blanc et du Malabar Princess ne sont cités, les faits réels restent dans la brume) pour que son frère puisse détrousser les cadavres des malheureux passagers de ce vol.


En 80 pages d’un récit brûlant de froid, Dominique Monféry réussit à nouveau un album hors-format, habité et givré à la fois, pour questionner ce qui peut bien passer par la tête de l’Homme, dans ses plus basses besognes comme dans ses aspirations bienfaitrices, dans sa vie et dans sa mort. Animateur (La bande à Picsou: le film, Tarzan, Hercule, Le bossu de Notre-Dame ou encore Comme des bêtes) et réalisateur de films animés (Destino, Franklin et le trésor du lac, Kérity, Au fil de l’eau), l’artiste s’est fait auteur de BD, il y a quelques années, avec des albums qui roulaient des mécaniques et des belles cylindrées. Arrivé chez Rue de Sèvres, le scénariste, dessinateur et coloriste utilise des véhicules qui vont moins vite et se révèle au sommet de son art, dans le muscle comme l’émotion. Transcendant. Cette histoire fratricide à la montagne bénéficie d’un découpage monstrueux, d’une énergie dingue jusqu’à l’engourdissement dans l’hiver éternel. À couper le souffle et la corde.


À lire chez Rue de Sèvres.