Six ans après Journal d’un enfant de Lune, qu’ils avaient enchanté de belles émotions et qui avait permis de nous faire découvrir la patte si émotionnelle et sensitive d’Anne-Lise Nalin, la voilà qui revient, toujours avec Joris Chamblain. Ensemble, ils adaptent le roman de Pascal Ruter, déjà porté à l’écran par Michel Boujenah: Le coeur en braille. Déjà, la couverture est magnifique, pure et naïve.
Résumé du Coeur en braille par Dargaud : Jusque-là, pour Victor, une année scolaire, c’est du saut à l’élastique sans l’élastique. Ce qu’il préfère ? Écouter les Rolling Stones, se gaver de loukoums avec son copain Haïçam, parler mécanique avec son drôle de père… Mais lorsque Marie-José, génie absolue, déboule dans sa vie un beau jour de contrôle de maths, c’est tout son univers qui implose… Pourquoi, soudainement, cette intello et violoncelliste de talent, a-t-elle besoin de lui ? Une amitié étrange va naître entre ces deux ados que tout oppose. Vont-ils pouvoir cacher le secret de Marie-José jusqu’au bout ?
Sur les pages de garde, guidées par une partition, il y a Marie-José, en haut à gauche, et puis Victor, en bas à droite. Ils ne sont pas vraiment du même milieu, y compris musical: Victor aime le rock qui frappe dure, Marie-José, violoncelliste classique et hors pair. Pourtant la paire, les deux vont devoir la faire, un peu contre-nature mais avec l’audace des sentiments, d’un premier amour. Un pacte va les unir, un secret qui ne doit regarder qu’eux, même pas leurs parents, et qui va exiger de préserver les apparences alors qu’un monde s’écroule peut-être. Ce que le titre (très belle trouvaille de Pascal Ruter) laisse déjà imaginer.
Le titre est en relief, dans des couleurs minimalistes, Marie-José, avec ses cheveux ondulés et ses yeux fermés, se penche sur Victor en formant des espèces de lunettes autour de ses yeux. Sur la couverture, ces deux-là sont seuls au monde et pourtant ont tant d’attaches. Ils vont devoir sortir de leurs bulles, se libérer et se faire confiance, intérieurement et extérieurement. Cela ne se fera pas sans clash, sans claque.
« Tu peux compter sur moi », oui mais jusqu’où, jusque quand? Et comment? En filigrane, c’est un peu cette question, en lui donnant une réponse, qu’illustre cet album, avec un visage purement humain, c’est-à-dire incertain et changeant. En s’emparant du roman original, Joris Chamblain et Anne-Lise Nalin soignent leur partition et font exploser le langage BD. Alors, je n’ai pas vu le film, mais j’imagine à quel point le traitement cinéma peut se faire dégoulinant de bons sentiments, d’effets appuyés et clichés. Dans le pathos.
Plus loin que la sensiblerie bas de gamme, c’est leur sensibilité haut de gamme, leur grand coeur que Chamblain et Nalin mettent ici en oeuvre tout au long de ces 72 planches soignées, fortement ambiancées entre écoles et loisirs, avec des couleurs très vivantes. Le dessin d’Anne-Lise Nalin est malin, percutant, il a bien évolué depuis Journal d’un enfant de Lune, s’est libéré pour oser jouer avec les plans, les textures, les sensations. Par rapport à toutes les trouvailles graphiques – avec l’usage d’une craie qui rajoute des détails sur les dessins, de manière très ludique -, il m’a manqué un peu de musique pour faire vibrer encore un peu plus ces cases. Pour le reste, j’ai été agréablement surpris et apprécié ce voyage intime entre deux êtres proches et lointains à la fois qui proposent quelque chose de fort, de beau. Plus que de l’amour.
À lire chez Dargaud.