Avec l’escadron d’une Catherine de Médicis bien moins obscure qu’annoncée, Manon Textoris fait son entrée dans la cour des grandes

© Textoris chez Dargaud

Alors qu’on avait déjà pu se rendre compte de la finesse de sa plume, de la qualité de ses idées et de la précision de ses atmosphères dans les couleurs, au détour des albums de son compagnon Julien Lambert (Villevermine, Edwin), Manon Textoris vient de publier son premier album, La fille sage, tome 1 d’un diptyque intitulé L’escadron de Catherine de Médicis. L’occasion, par un personnage de fiction, mais toujours bien dans son époque richement documentée, d’aller au-delà de la légende de la « veuve noir » pour observer une Catherine de Médicis plus lumineuse. À l’heure de l’obscurantisme pas que religieux.

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Résumé du tome 1 de L’escadron de Catherine de Médicis par Dargaud : XVIème siècle, les tensions entre catholiques et protestants sont à leur comble et Catherine de Médicis tente de préserver l’union de la monarchie. Dans ce contexte électrique, une jeune noble de province, Gabrielle, est conviée par son influente marraine à rejoindre la cour comme demoiselle d’honneur, contre l’avis de sa mère. Excitée et insouciante au contact de ce nouveau monde, Gabrielle rêve d’intégrer les prestigieux « escadrons volants » de la Reine composés de courtisanes-espionnes…

Selon que vous serez catholique, réformé ou huguenot, tout en restant français pourtant, vous sentirez des coups de chaud ou de froid en ce XVIe siècle qui pourrait bien devenir explosif. Alors que la situation des pays voisins n’est pas jojo non plus et pourrait se répercuter sur l’hexagone (l’appelait-on déjà ainsi?), intérieurement, intestinement, ça bout, entre complots larvés, négociations en haut lieu et plaidoiries dans la rue.

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Cela, Gabrielle l’ignorait. Elle va découvrir ce monde petit à petit en intégrant la cour de la reine-mère. Ce n’était pas le plan de sa famille mais celui de sa marraine, bien introduite auprès de la souveraine. Voilà la naïve et émerveillée jeune fille qui gagne ainsi le cortège d’un Tour de France de Charles IX. Sacré programme pour en prendre plein les yeux, mais attention de ne pas se les brûler. Car le rêve éveillé va de pair avec un protocole sévère.

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Il ne s’agit pas que de faire bonne impression à l’entretien d’embauche puis de se planquer : demoiselle d’honneur, ça demande une concentration de tous les instants, un devoir de représentativité, d’exemplarité et de réserve. Il faut savoir tenir son rôle et ne pas en sortir, même quand la scène « +18 » qui se profile par le trou de la serrure est alléchante et que la tentation est grande d’en savoir plus sur cet obscur objet qu’est l’amour. Gabrielle est demoiselle, cela dit elle a l’âge de s’intéresser aux pouvoirs de l’attraction. Mais a-t-elle le galon et le bagout pour s’enticher de ce beau cavalier dont elle a croisé le regard? Ou devra-t-elle une nouvelle fois obéir et fréquenter celui qui lui est assigné? Peut-elle prendre son sort et sa vie privée en main quand elle est intrinsèquement liée à sa vie publique? Puis, en ces temps obscurs, se pourrait-il qu’il faille aussi se méfier de qui vous approche en tout bien tout honneur? Peut-on vivre ses sentiments comme si de rien n’était, comme si on n’était pas dans l’entourage proche de Catherine de Médicis? Dilemmes. D’autant que trottent dans la tête de Gabrielle les avertissements d’une amie chère.

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À l’heure où des dizaines d’albums sortent chaque semaine, dans tous les formats, voilà une couverture qui flashe, qui vous regarde droit dans les yeux, avec une composition simple et à la fois profonde : notre héroïne (oui, on l’a déjà adoptée) de profil mais tournant la tête et nous fixant de ses grands yeux insondables et un décor tissé dans la « tenture de David et Bethsabée ». Le cachet est royal et donne envie d’embarquer dans cette histoire chapitrée via des citations de Catherine de Médicis elle-même, d’Anne de France ou encore de Michel de L’Hospital.

© Textoris chez Dargaud
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Éclairée par le travail de l’historien Jérémie Foa mais aussi par le film de Bertrand Tavernier, La princesse de Montpensier, et un sacré travail documentaire, Manon Textoris se révèle curieuse et avide de savoirs, d’iconographies aussi. Et de les partager. Ça se sent énormément dans cette aventure intime et historique qui a l’amour des choses bien faites, des récits bien conduits.

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Ce premier tome de L’escadron de Catherine de Médicis se révèle accrocheur car Manon Textoris cultive un style bien à elle, proposant une variation de ce monde en costume – et pas trop de cape et d’épée (jusqu’ici) – rafraîchissante et captivante. Par la diversité, la liberté des cadrages et des plans mais aussi des ambiances colorées, par le souci du détail ou de la vue d’ensemble, d’un visage encore poupon à celui de ceux qui sont ridés de vécu (même si l’expérience n’aide pas à comprendre cette situation flirtant avec l’insurrection), l’autrice nous régale et tient le rythme de son gros volume de 106 planches. Le média BD est parfaitement maîtrisé, avec de la patine et un goût pour l’hybridation entre franco-belge traditionnel et tendances manga, mais l’histoire qui nous est contée là, à contre-clichés et en multipliant les intrigues, n’est pas en reste. Le tout propose un souffle nouveau avec quelques superbes séquences (une fête sur l’eau à Bayonne, la première « rencontre » avec le roi ou avec Catherine de Médicis, une lettre qui reste inachevée, la décomposition de mouvements d’amour ou d’assaut). Faisant de la curiosité de sa protagoniste une grande qualité pour percer les mystères et les zones d’ombre, Manon Textoris manie aussi à merveille sa naïveté, sans jamais tomber dans le panneau, pour faire mûrir et réfléchir Gabrielle. L’autrice trouve sa place dans la cour des grandes. Dargaud, après Charlotte impératrice de Matthieu Bonhomme, prouve aussi et ainsi qu’on peut faire du portrait d’une figure marquante et d’une époque tout en échappant aux formules convenues.

© Textoris chez Dargaud
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À lire chez Dargaud.

Je ne peux aussi que vous inviter à suivre la page Instagram de Manon Textoris, qui manie avec autant d’élégance l’art du carnet de croquis.

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