Publié en 1936 sous la plume de Margaret Mitchell et apparu pour la première fois sur les écrans seulement trois ans plus tard sous la caméra de Victor Fleming, dans un film de près de quatre heures avec Clark Gable et Vivien Leigh, rien que ça. Par contre, il a fallu 85 ans à Gone with the wind (vous aurez compris qu’il faut traduire ce titre par Autant en emporte le vent) pour arriver en BD, sous la plume toujours inspirante et inspirée de Pierre Alary. Dans l’oeil du cyclone d’une famille mais aussi d’une Amérique en proie aux changements, voilà de quoi nous souffler.

Résumé des Éditions Rue de Sèvres : Scarlett O’Hara, jeune fille d’une riche famille d’Atlanta au sud des Etats-Unis, connait une vie douce et confortable, menée au rythme de son caractère déterminé et audacieux. Lorsque la Guerre de Sécession débute en 1861, ses repères s’écroulent, et de lourdes responsabilités s’imposent à elle. Au milieu de la destruction et de la mort, Scarlett rêve pourtant d’amour : celui pour Ashley Wilkes, pourtant promis à une autre, et qu’elle porte secrètement depuis toujours. L’arrivée de Rhett Butler, homme sans foi ni loi, aussi immoral que séduisant, rebattra de nouveau les cartes dont la jeune fille dispose pour atteindre le bonheur.


Pour être franc, je n’ai ni lu le livre, ni vu le film, tout au plus ai-je le souvenir d’une comédie musicale, de Gérard Presgurvic avec Vincent Niclo, qui n’eut pas le succès de Roméo et Juliette et dut faire face à une levée de bouclier pour cause de soupçon de racisme. Voilà donc, à nouveau en terres francophones, qu’Autant en emporte le vent revient dans ce format jusque-là jamais exploré.

Il faut dire que les Éditions Rue de Sèvres (avec lesquelles Pierre Alary continue sa belle aventure, après les adaptations de Sorj Chalandon, du côté roman graphique plus que du format BD classique) ont mis les petits plats dans les grands et ça se voit d’emblée. Avec son dos toilé violet, c’est en lettres d’or et brillantes que Gone with the wind s’écrit sur une illustration éminemment dramatique, au cimetière en ombres et lumières, en douleurs. C’est sur cette image que s’ouvre la première partie (sur deux) de la version d’Alary, dont chacune des 137 planches (hé oui, le mot à suivre s’impose sur une page de droite) est toute une vie, avec une once de légèreté et de désinvolture pour des tonnes de larmes, d’incompréhension, de défaites mais aussi des contre-attaques. Cet écrin luxueux, ce n’est pas de l’esbroufe.

Pour bien faire les choses, Pierre Alary (qui, parmi ses autres adaptations fastes compte aussi Zorro, Sinbad le marin ou encore Conan) ne les a pas faites à moitié, perdant « souffle et force » parfois, au point de faire appel à un renfort de choix: Monsieur Denis Bodart, auteur de BD adulé par plusieurs générations de ses pairs, y compris à l’international, mais plutôt discret, malgré une productivité intacte en termes de crobards et d’interrogations sur le Neuvième Art. Entre hommes qui doutent et surtout qui cherchent, à être performants dans les imaginaires et les émotions qu’ils convoquent, dans la sincérité et l’humilité qui les conduisent à toujours remettre l’ouvrage sur le métier. Malgré les maîtres qu’ils sont. Avec une création d’ombres et de lumières particulièrement ciselée, notamment, et des planches, des cases qui marquent, à la hauteur de la fresque à laquelle Pierre Alary s’attaque.
» C’est un sacré travail pour Pierre Alary. Je lui fais des suggestions, des précisions à partir des roughs qu’il a réalisés. C’est plus de l’illustration, un regard extérieur. Dans ça, je suis libéré, c’est une vraie récréation, et c’est elle mon vrai métier. »
(Denis Bodart, dans une de mes interviews pour L’Avenir Namur)

D’une chevauchée forestière à une odeur de prestige brûlée et désertique sous l’impact d’une guerre terrible et sans forcément de gagnants, Pierre Alary nous convie à un grand voyage géorgien, entre les domaines et champs de cotons de grands propriétaires, qui se content fleurette sans forcément se soucier de ceux qui leur ont permis de s’enrichir, et la ville d’Atlanta, sans rien perdre de la rumeur plus lointaine, du monstre qui avale les hommes sur les champs de bataille. Période complexe, remous dantesques et, au milieu, cette femme au caractère bien trempé, presque anachronique tant la condition de la femme, là-bas, ne se prêtait pas à tenir tête aux hommes. Mais, il y a là aussi des hommes qui échappent aux règles et aux conventions, comme cet insaisissable Rhett Butler.

Voilà une première partie impressionnante, qui va crescendo dans une reconstitution puissante et vibrante et bénéficiant de couleurs soignées et qui n’en font pas des caisses tant elles sont parcimonieuses (avec vraiment une teinte choisie par séquence) et expressives (y compris dans les blancs). Comme les visages que portent ces destins malmenés, qui pensaient toujours arriver à leur fin mais n’en sont plus tout à fait convaincus. C’est costaud, bouillonnant, brillant et prenant. Vivement la suite même si elle amène déjà la fin.

À lire chez Rue de Sèvres.





