
Oh, qui revoilà. Alors que chaque tome de ses aventures pourrait être le dernier, Elijah Stern aime se faire attendre. Là où certains héros reviennent tous les ans, notre croque-mort, enfin surtout celui des frères Frédéric et Julien Maffre, a un agenda très particulier et inattendu. Mais quand un nouveau tome est annoncé, je l’attends avec impatience tant les histoires dans lesquelles notre improbable héros de western est impliqué ont toujours été jusqu’ici des chefs-d’oeuvre d’humanité. Parce que vivre ici-bas est bien plus compliqué que d’être mort. Dans Une simple formalité, Stern va encore plus être poussé dans ses retranchements, et agité entre ses intimes et intenses convictions et les actions simples qui pourraient lui sauver la vie. Douloureux soient les doux!
Résumé de l’éditeur : Alors que Stern continue d’oeuvrer comme croque-mort à La Nouvelle-Orléans, il se retrouve malgré lui soupçonné d’avoir braqué une banque. Écroué en compagnie d’immigrés italien et menotté à un jeune voyou, Guido, Stern, contre son gré, parvient à s’échapper. S’engage alors une immense chasse à l’homme dans toute la ville en compagnie de Guido.
À lire aussi | Stern, le croque-mort que vous allez adorer!
À lire aussi | La BD n’en finit plus avec le western et les shérifs n’ont qu’à bien se tenir, les croque-morts sont en forme
À lire aussi | Stern-minus tout le monde (se) descend
À lire aussi | Pas de traversée du désert pour les westerns de BD #2 Ghost Kid et Stern, entre les vivants et les fantômes

Une simple formalité, vraiment? Oui oui, il n’y a qu’à signer pour expédier à la potence les trois personnes (dont un ressemble à s’y méprendre à cette gueule de cinéma qu’est Afif Benbadra) qui pourraient être les responsables d’un hold-up et ont été arrêtées à la sauvette par les limiers. Le seul témoin et survivant, c’est notre fossoyeur qui a assisté bien malgré lui à ce braquage mortel pour le gérant de la banque. Si Stern, la faute à pas de chance et à un mauvais timing, pourrait s’en vouloir d’avoir peut-être permis à cette attaque de faire mouche, en retenant quelques minutes au-delà de la fermeture de son institution le banquier, le croque-mort entend bien ne pas céder aux pressions et plutôt se fier à son intuition. Les trois « coupables » sur lesquels on lui demande de statuer – en lui faisant bien comprendre qu’il n’y a qu’une option possible, sinon lui aussi va avoir des bricoles -, ne sont pas ceux qui ont fait couler le sang et emporter l’argent. Si son métier, c’est la mort, il ne sera pas dit que le cadavre d’un innocent aura le même poids que celui d’un criminel. Une simple formalité vs. une intime conviction.


Alors Stern, ne voulant rien céder à un shérif qui s’impatiente, rejoint les trois Italiens qu’on sert sur un plateau à la plèbe, qui n’avait déjà pas besoin de ça pour être méchamment xénophobe, sans attendre un quelconque procès. Tout cela est bien mal engagé, d’autant plus que Stern est menotté à Guido, le plus jeune du trio qui a de sacrés tempérament et coup de crayon. Et quand dans une déflagration de chair et d’os, l’occasion est offerte au duo de se faire la belle, qui s’avère plutôt laide dans cet univers hostile, ils ne se font pas prier. Se lançant dans une course-poursuite acharnée et décharnée, dans laquelle la culpabilité ou l’innocence reviennent au même: la corde leur est promise et pourrait même être un soulagement par rapport aux pires sévices que pourrait leur faire subir la foule en délire. Morbide.


Sous une couverture toujours très réussie, d’autant plus que la charte graphique est légère et ne s’encombre pas trop d’un numéro de tome, par exemple, les Maffre Brothers, Frédéric au scénario et Julien au dessin et aux couleurs (avec Thomas Lavaud, Bastien Bazar, Karamba Dramé et Samuel Lafitte) n’ont pas leur pareil pour nous faire frémir d’horreur. La plus simple et brutale horreur, celle qui fait partie de l’humain, encore plus quand il est en groupe et croit ce qu’il voit (ou plutôt que ce qu’on lui donne à voir) plutôt que de réfléchir plus loin que le bout de son nez. Instituant un duo qui ne se comprend pas la majorité du temps (Guido ne parle qu’en italien, et il n’y aura pas de sous-titre, pas de semblant de compréhension avec Stern qui n’en pipe mot) mais est tendu vers le même horizon, la survie dans un milieu sauvage mais néanmoins urbain, les Maffre réalisent un nouveau tour de force, qui nous prend à la gorge, au coeur aussi. Car il n’y aura pas de concession ni de morale altérée par les situations dans lesquelles le héros se trouve. Aussi maigrelet Stern soit-il, l’antithèse du sex-symbol, il surpasse par sa trempe bon nombre de héros bas de front, tout en muscle ou plutôt sexy.

Il est d’une sacrée trempe – le croque-mort donnerait peut-être sa vie – même si elle doit être ébranlée par un sacré coup du sort, prouvant que le monde de l’Ouest peut être absurde et sans pitié. Dans une mâchoire infernale, la Nouvelle-Orléans en émoi, les frangins se demandent si la fin justifie les moyens (quitte à faire pire que le fait divers initial) et composent un album viscéral et choquant, réflexif et dont on ne ressort pas indemne. Dans le western BD actuel, c’est les Maffre qu’on préfère. Même s’ils nous font triper, saigner, pleurer, s’ils nous laissent indignés et honteux. Plus mort que vif, Stern devrait pourtant revenir. D’autant qu’il y a encore pas mal de choses qu’on ne sait pas sur lui, avec des questions relancées au détour d’une case. En attendant, on peut relire ce nouvel opus pour tenter d’en épuiser le riche contenu malgré un rythme acéré.


À lire chez Dargaud.








