Dans le monde des arts, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir voler de leurs propres ailes, à créer les projets qui leur font envie alors que les maisons d’éditions, les labels musicaux, etc. sont aux abonnés absents. L’ère des nouvelles technologies (crowdfunding, arrivée des lecteurs au début de la chaîne de production et non plus uniquement à la fin…) et la démocratisation des outils (même si cela a un prix et que les crises sont passées par là) ont révolutionné et il n’est plus rare de voir des structures indépendantes se mettre en place pour proposer des récits personnels ou des histoires, pourquoi pas, encore plus barrées. Et niveau bargitude, après notamment Octofight, Un jour sans Jésus et Innocent (son premier album au sein de L’Aqueduc bleu, la structure qui nous intéresse ici), Chico Pacheco en connaît un rayon. En compagnie d’Éric Corbeyran, il pousse plus que jamais tous les curseurs dans le rouge. Alerte générale!


Résumé de L’Aqueduc Bleu : Californie. Une série de meurtres effroyables est perpétrée autour de la petite bourgade de Red Creek. Depuis quelques semaines, en effet, de nombreux cadavres sont retrouvés affreusement mutilés. Selon la police, il est clair que des animaux sauvages sont responsables de ces atrocités. Arrivé sur place pour enquêter, le détective Giuseppe Peccato… qui préfère qu’on l’appelle Johnny… a le sentiment que le shérif Thompson se soucie de ces crimes comme de ses premières chaussettes car les victimes appartiennent à des minorités ethniques. D’ailleurs, à part leur famille, le triste sort de ces malheureux Mexicains, noirs et indiens n’émeut pas vraiment l’opinion publique. C’est vrai, quoi, on ne va pas dépenser l’argent du contribuable pour une poignée de morts mal blanchis. Associé à la journaliste Jane Sinner, Johnny Peccato reprend l’affaire en main. De fausses pistes en découvertes hallucinantes, le duo mettra tout en oeuvre pour résoudre le mystère qui entoure Red Creek.


C’est donc au sein de la structure L’Aqueduc bleu, qui entend favoriser des BD d’auteurs, bénéficier d’un réseau de libraires étendus et rendre les auteurs libres, que Chico Pacheco dégaine son deuxième album. Avec de la testostérone, mais aussi de la flemme, et un supplément de féminité qui n’a peur de rien, comme en témoigne la couverture de ce Red Creek Shuffle. En avant-plan, accoudée sur sa bécane, Jane Sinner ne baisse pas le regard, elle est prête à tout (un peu trop à mon goût, une scène se révélant assez gratuite). Digne héritière de Jessica Blandy. À l’arrière, Giuseppe « Johnny » Peccato, clone avoué de Torpedo.


Hé oui dans ce grand chambardement de Red Creek, aux portes du désert de Sorora, Chico Pacheco fait une grande moisson de références. On y croise des personnages cultes de Lucky Luke, du X-Files, du Mars Attack, un Mickey, des adeptes de la Lucha Libre, l’esprit kawaii, un phénomène zombie, etc. À bien y réfléchir, on se demande même si ce n’est pas dans cette région-là qu’Indiana Jones a échappé à la mort et à une explosion radioactive en s’enfermant dans un frigo! Bref, du pur et réjouissant WTF, un joyeux mélange, du grand n’importe quoi qui ne plaira pas forcément à tout le monde mais qui, si on se prend au jeu, permet de faire feu de tout bois et de le mettre aux poudres.


Quitte à se faire plaisir et à naviguer à travers les genres (polar, thriller, espionnage, science-fiction, fantastique…, un peu comme ce que fait André Taymans sur Eden mais dans un tout autre univers) autant jouer utile. Corbeyran et Pacheco (avec les couleurs de Saint-Blancat par très légères touches pop et trash sur le sépia) réalisent un récit choral, avec les voix de personnages pas forcément héroïques, voire complètement cons, bons ou mauvais, ou le foutraque va justement permettre l’inattendu et les surprises. Dans les rapports humains et inhumains.

Par leur violence absurde, les auteurs fournissent une réponse par la fiction hard-boiled et fantastique-horrifique à une autre violence bien plus cruelle, puisqu’elle a vraiment existé (et existe toujours): celles des institutions, d’une loi, d’une justice aux mains de personnes ayant une conception de leur mission à géométrie variable. Surtout quand les victimes sont des minorités ethniques, dont la voix est rendue inaudible. Ces mêmes peuples parmi lesquels on trouvera des recrues idéales, de gré ou de force, pour servir de cobayes sur l’autel d’une science de savants fous. Et ce ne sont pas les seuls fous, parce que le casting de cet album au format souple est dément, bien campé et trempé. Quasi-cané.


Ça reste évidemment de la série B, vouée au divertissement total, illuminé et sans prise de tête (de boyaux peut-être), mais la férocité de cet OVNI en fait un récit honnête, malgré quelques fautes d’orthographe crasses. Ici, c’est plein pot.


À lire chez L’Aqueduc bleu.