
Les grands classiques de la littérature en bande dessinée, vous pensez le concept éculé ? Pas tout à fait, il y a toujours de bonnes surprises, intrigantes et inspirées. La dernière en date vient des frères jumeaux Paul et Gaëtan Brizzi. Si leur carrière dans l’animation n’est plus à prouver (leur pedigree? Astérix et Obélix et la surprise de César, Le bossu de Notre-Dame, La bande à Picsou, Fantasio 2000…), cela fait déjà quelques années que le duo génial et magnifique s’est aventuré dans le monde des livres, et notamment de la bande dessinée. Avec une magie et une cinégénie incroyables. Leur visite de L’Enfer de Dante est un sommet.
Résumé des Éditions Daniel Maghen : L’Enfer est la première partie de la Divine Comédie de Dante, un grand classique de la littérature italienne. Si le récit est complexe, l’idée centrale est simple. Guidé par le poète Virgile, Dante traverse les neuf cercles de l’Enfer pour retrouver sa bien-aimée Béatrice au Paradis. Paul et Gaëtan Brizzi ont réalisé un travail remarquable de réécriture pour rendre accessible cette oeuvre réputée difficile sans la dénaturer et trahir l’esprit du génie italien. Ils ont su la traduire en bande dessinée tout en veillant à préserver l’essentiel : un goût pour la démesure, la tension dramatique du récit et la noirceur inévitable du propos.


À vrai dire, les Brizzi ont l’habitude des adaptations. Avec le comédien Christophe Malavoy, ils avaient signé leur premier album de BD : La Cavale du Dr Destouches d’après Louis-Ferdinand Céline. Puis, ils avaient enchaîné plutôt deux fois qu’une avec Boris Vian, avec la BD L’automne à Pékin et le roman illustré L’écume des jours. Des univers de caractère avec des images fortes qui les ont donc menés vers L’enfer de Dante.


Entre le sud de la France où vit Gaëtan et Washington où réside Paul, les deux frères ont donc trouvé la bonne porte pour adapter cette oeuvre réputée inadaptable. Tant elle constitue un oeil du cyclone, qui ravage et crée tout sur son passage. Et les jumeaux ont dompté cette hydre de Lerne, tentaculaire. Pour bien commencer, ils ont trouvé la bonne porte d’entrée, donc, se refusant d’adapter l’histoire de Dante, une autofiction finalement, dans son intégralité mais en sélectionnant la visite du poète dans les abîmes, le bagne post-mortem. Et c’est bien joué.

Dans ce morceau de Divine Comédie, les auteurs ont aménagé un début et une fin qui se tient, et un chemin prodigieux. Ici, tout est en noir et blanc, en gris, et pourtant la lumière est intacte. Entre grandes images monumentales et dantesques (forcément!) et planches de BD plus conventionnelles, les Brizzi réalisent sur les mots de l’Italien une odyssée qui va de surprise en surprise, dans un décor complètement fou et qui se prête aux grand formats de cet album. Avec une richesse des textures, du crayonné à la gravure, presque.


Au pays des démons, des monstres et autres corps enchevêtrés (visez la couverture, avec des signes qui ne trompent pas dans le ciel, très sexuel, et on ne peut s’empêcher de penser à Tripp et ses Extases) ou en plein efforts damnés, Paul et Gaëtan sont des dieux tout puissants, capables de vie, de mort et d’immortalité dans les pas de Dante. Il y a là des Quatre saisons, des Walkyries, un bestiaire insensé et puissant, une symphonie déstabilisante et envoûtante, qui invite à l’émerveillement planant puis à la course à perte haleine pour ne pas laisser sa peau, son âme. Sidérant!


Et la suite promet d’être aussi terrible si les frères gardent leur qualité graphique et narrative, puisqu’ils reviendront avec une adaptation de Don Quichotte de Miguel de Cervantes. Ce qui devrait là aussi apporter de l’eau aux moulins de nos coeurs.
À lire aux Éditions Maghen.






