Horizons: dans ce désert post-apo, il n’y a plus de méchants ni de gentils, mais des humains qui ne seront jamais plus comme avant

« Quand t’es dans le désert depuis trop longtempsTu t’demandes à qui ça sertToutes les règles un peu truquées du jeu qu’on veut te faire jouerLes yeux bandés »

(Jean-Patrick Capdevielle)

Dans la chanson de Capdevielle, comme dans d’autres mythes, l’homme à la démarche traînante que notre exilé rencontre espère tenir jusqu’à quarante jours. Dans le désert. Record battu par les héros, forcément solitaires, que nous présentent Isabelle Bauthian et Anne-Catherine Ott (derrière Le cercle de Providence) dans Horizons (publiés originellement, il y a treize ans chez Ankama, sous le nom Havre). Un survival post-apo au format souple, paperback et glacé, composé de trois livres. Les deux premiers sont sortis, quasiment simultanément.

Résumé d’Omaké Books : Dans un monde post-apocalyptique, dans une ruine perdue au sein d’un désert, vit un nécromancien. Ses seuls compagnons sont son chien et les morts qu’il réanime, ses anciens concitoyens qu’il réanime afin de se complaire dans un semblant de vie sociale. . Sa vie prend un nouveau tournant lorsqu’il rencontre une sorcière qui va le convaincre d’entreprendre un long voyage, jonché de dangers et d’expériences étonnantes, afin de trouver d’autres survivants. Au cours de leur quête, ils sont bientôt rejoints par un certain « pistolero »… Et au bout, un horizon aussi fragile qu’incertain.

C’est vrai, on a toujours un peu peur quand on voit débarquer des albums d’affinités franco-belges paraître dans des formats plus petits que la moyenne. Parfois, le texte est réduit, le dessin est trop enserré dans les cases. Il n’en est rien pour le format proposé par les éditions Omaké Books (que je découvre en même temps que l’univers de Bauthian-Ott), qui se révèle bien choisi, fluide et capable de vraiment créer un espace de sensations. Sous des couvertures très jolies et graphiques, expressives tout en se servant bien du blanc en encadrement, il faut dire qu’on va être servi par les éléments et les comportements. Le vent, le sable, les sons de la colère ou de la maladie, des armes pour se défendre ou attaquer, mais aussi les effets des pouvoirs dont sont munis nos héros. Car ceux-ci sont rendus graphiques par Anne-Catherine Ott, un peu à la manière dont est représenté le spider-sens de Peter Parker, sans être grossiers mais plutôt subtils, sans s’empêcher d’être violents, cinglants.

© Bauthian/Ott chez Omaké Books

Mais ces pouvoirs ne rendent pas pour autant invulnérable. Tant le nécromancien que la sorcière empathe vont plus les subir que s’en servir dans ce monde de survivants qui compte quand même toujours des brutes et des déviants. Peut-être encore plus quand on a goûté à la solitude, au deuil exacerbé de l’humanité et à la vie entourée de créatures ayant muté.

© Bauthian/Ott chez Omaké Books
© Bauthian/Ott chez Omaké Books

Chacun a trouvé ses rituels (le nécromancien ressuscite les morts, sans les ramener à la lucidité et à la conscience des vivants) mais se pourrait-il que notre duo soit désormais inadapté à la société nouvelle qui s’est créée, avec d’autres rites et religions inspirés par la catastrophe qui a laissé la Terre plus morte que vive. Plus menaçante aussi. Sans pour autant que les humains deviennent des anges et apprennent de leurs erreurs, par rapport aux prédateurs qui ont fait du désert leur territoire sanglant mais aussi à leurs pairs humains.

© Bauthian/Ott chez Omaké Books

Avec Horizons, au pluriel, la promesse est là mais pourra-t-elle se concrétiser? Chacun des protagonistes rencontrés en cours de route rêve de quelque chose après la survie, mais il y a de gros nuages de poussière qui le bouche, cet horizon. Pourtant, si l’issue est très incertaine, le duo d’autrices ouvre plein de portes, certaines sur la lumière, d’autres sur l’obscurité. Et même les héros peuvent faire les mauvais choix, menant à la violence, à la mort même.

© Bauthian/Ott chez Omaké Books

Le monde a changé, et il serait dérisoire de croire que les survivants agissent comme quand ils étaient insouciants, avant la fin du monde. Méchants, gentils, tout ça n’existe plus, et on apprend à avoir de la compassion quelques dizaines de pages après avoir haï un personnage, et vice-versa. Chacun a son caractère, pas forcément compatible avec celui des autres et la densité de personnalités, borderlines, enrichit l’histoire, avec contrairement à ce qu’on pourrait penser, beaucoup de scènes de discussion et de dialogues. Mais Anne-Catherine Ott a les armes et crée les décors, agite la tension, pour que le lecteur ne s’embête jamais.

© Bauthian/Ott chez Omaké Books

Cette histoire, ces relations et aussi ses scènes d’action féroces, tient bien debout. Quelques planches sont un peu moins précises que les autres, flamboyantes et fondées sur une palette de couleurs réduites, désertiques mais appliquée avec conviction, avec chaleur et froideur en fonction des moments. Au bout de 180 planches, des 2/3 de ce récit, je suis vraiment séduit par le travail des deux autrices et leur manière d’amener le sujet post-apocalyptique éculé depuis longtemps, pas forcément originale dans le déroulé, mais avec des rapports sociaux, au monde intérieur et à celui extérieur, qui changent complètement la donne, déboussolant le lecteur. Je suis très impatient de connaître la suite et la fin, tant le suspense est bien relancé et la course folle enclenchée. C’est du solide… et fragile à la fois! Le tome 3 arrive le 25 mai.

© Bauthian/Ott chez Omaké Books

À lire chez Omaké Books.

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