
Trois au carré, ça fait neuf, et la connexion entre la peinture, 3e Art, et la BD, 9e Art, n’est plus à prouver. Car si le tableau doit se suffire à lui-même, dans son évocation, son imprégnation historique, esthétique, lumineuse ou obscure, dans le récit que s’en fait son spectateur; les coulisses valent leur pesant de sueur, d’émotions, d’allers-retours, de regrets, de soupçons, d’objectifs, etc. L’envers du décor et de la nudité de Vénus à son miroir, de Diego Velázquez, n’y déroge pas, en compagnie de Jean-Luc Cornette et Matteo.

Résumé de Futuropolis pour Vénus à son miroir: Madrid, février 1649. Diego Vélasquez est le plus fameux peintre du pays et au service du roi depuis plus de 25 ans. Il est grand huissier de la cour, valet de la garde-robe du roi et son valet de chambre. Grand amateur d’art, Philippe IV lui confie la mission de lui rapporter de nouvelles oeuvres en Italie. Il part avec son esclave, Juan de Pareja. Arrivé à Rome, il visite les galeries et les collections Borghese, Farnese, Mattei ou la Villa Médicis, accompagné du peintre Antonio Domenico Trivia, grâce à l’appui bienveillant du pape Innocent X qui lui demande en échange de peindre son portrait. Il profite aussi de l’ambiance italienne, très différente de celle qui règne en Espagne où sévit encore l’Inquisition. La vie semble plus légère, les peintres sont audacieux. Ainsi, il s’étonne qu’il y ait tant de toiles de nu. Et pour la première fois, lui qui s’est spécialisé toute sa vie dans le portrait, il songe à se consacrer à la peinture d’un nu. Ici, personne ne s’offusquerait de cette audace.

Le radeau de la Méduse, Klimt (une version déjà par Cornette et Marc-Renier), Van Gogh, Degas, Le Caravage, La Joconde dans les mains de Malraux… Ces dernières années et, en fait, depuis que la BD a acquis ses lettres de noblesse pour parler de l’Histoire, de l’Art aussi, par tableaux spécifiques, par période ou par vie/carrière, la peinture sous toutes ses formes a vite infiltré l’art séquentiel, révélant les petits secrets des grands maîtres, comment la société de leur temps a pu les influencer, leurs relations aussi.

Et c’est primordial, si le peintre tient le pinceau, il y a du monde autour de lui (même si un gars comme Velázquez n’acceptait pas de public, jusqu’à ce que…): ceux qui le conseillent, le commandent, lui préparent ses pigments… Il y a de quoi faire une toile, ou dix, des coulisses. Et si, judicieusement, Cornette et Matteo partent de l’exemple, incroyable, des Époux Arnolfini de Jan Van Eyck. Dans le miroir, on voit que les deux modèles ont la visite de deux autres personnes. Une manière de lever un coin du voile sur la vie réelle, qui continue au-delà du tableau.


Mais, dans cet album visitant la deuxième période italienne de Velàzquez (ou Velasquez), celle qui lui autorisa de s’aventurer dans une impudeur que ne lui autorisait pas son Espagne, c’est sur un schéma de vaudeville, façon Edmond d’Alexis Michalik que les auteurs nous entraînent. Avec quatre personnages qui vont fait trépider le récit et se transformer mutuellement: Diego Velàzquez, forcément; Juan de Pareja, esclave maure du premier et son homme-à-tout-faire et modèle; Antonio Triva, le signor qui accueille le duo et sa soeur Flaminia. Les amitiés se tissent entre les uns, excluant les autres, mais rien n’est définitif et les bouleversements peuvent s’opérer. Jusqu’à impacter le grand oeuvre du peintre qui s’inspirait jusque-là d’une statue de pierre mais aura peut-être besoin de chair?


Sur un ton guilleret, théâtral et enrichissant, faisant des choix pour combler les zones d’ombre de cette histoire vraie, Cornette tisse une histoire qui vaut la peine d’être racontée même si elle est peut-être un peu trop tirée en longueur. 82 planches, quand même, exécutée par un Matteo capable du meilleur et… du moins bon. Et quand on s’adonne à raconter les fins esthètes des siècles passés, ça ne pardonne pas. Les scènes d’ensemble, dans un plan plus large, sont en général précises, ont du souffle, mais c’est quand il faut se rapprocher et saisir les portraits que le bât blesse. Est-ce par manque de temps, de précision, toujours est-il que les visages des protagonistes sont inconstants, défigurés, louchant même. On voit vraiment le diable dans les détails, et certains héros, comme Diego et Antonio donnent l’impression d’avoir deux rendus graphiques différents, comme s’ils jouaient sur deux partitions différentes, deux BD. C’est dommage car, inévitablement, ça m’a fait décrocher de cette histoire pourtant dynamique.


À lire chez Futuropolis.