Des vies et des villes, devil aussi, avant l’ère Largo Winch: La fortune des Winczlav & Des villes et des femmes

© Van Hamme/Berthet/Versaevel chez Dupuis

Il y a une vie avant Largo Winch. Philippe Berthet et Philippe Francq peuvent en témoigner. Il y a une vie avant, dans l’histoire de la dynastie du personnage mais aussi dans celles qu’un auteur comme Francq a pu concevoir avant de connaître le plein succès avec le milliardaire aventurier.

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Les Winch, sur terre, à la ville ou à la campagne, et dans les airs

© Berthet

Résumé de l’éditeur pour La fortune des Winczlav, tome 2, par Jean Van Hamme et Philippe Francq: Oklahoma, 1910. La vie de Thomas Winczlav, fils de Milan, prend un tournant radical lorsqu’il se découvre héritier des richissimes Whiskies O’Casey, qu’il va devoir partager avec sa sœur jumelle, Lisa… Alors que la Première Guerre mondiale éclate, Thomas – parfois crédule et souvent volage – va tenter de faire fructifier son affaire, adoptant le nom de « Winch ». Pendant ce temps, Lisa, femme libre passionnée d’aviation, va se tailler sa place dans un ciel de guerre dominé par un certain Baron rouge…

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Comment enrichir une saga par un autre bout de la lorgnette, c’est une leçon que donnent Jean Van Hamme et Philippe Berthet, sans copier le style Largo Winch mais en y amenant un autre style, plus ligne claire, avec un autre découpage, de plus grandes cases et de l’amplitude pour parcourir le monde moins vite que le jet ou l’armada de Largo.

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Dans le milieu de cette trilogie relatant comment s’est construit l’empire milliardaire du groupe W, avec des actions plus ou moins avouables, on respire un peu plus que dans le tome qui initiait cette nouvelle histoire. C’était beau et palpitant mais ça allait beaucoup trop vite. On se pose un peu plus dans ce tome qui, il est vrai aussi, couvre une moins longue période que le précédent (23 ans plutôt que 60), en compagnie quasi-exclusive de Tom et Lisa. Nous sommes en 1910 et tout change vite, les héros parviendront-ils à prendre le train de l’histoire en marche. D’autant que le récit proposé ici fonctionne une nouvelle fois à spectre large, dans les territoires comme les événements qui n’ont a priori pas grand-chose en commun, si ce ne sont des truands et des héros parfois candides.

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Du western, avec ses filles de joie qui font le désarroi de leurs proies, surtout si elles ont de l’argent, à la prohibition en passant par la guerre mondiale, qui se gagnera peut-être dans les airs, pour peu que le baron rouge se calme. Car il en fait des ravages, cet inconnu. Ce ne sont rien de moins que quelques mythes du monde moderne que Van Hamme et Berthet (aidé par Dominique David pour la documentation et le crayonné des décors et Meephe Versaevel aux couleurs constamment ad hoc malgré toutes les ambiances qui se chevauchent) explorent par le prisme de leur famille à succès et à problèmes. Car, forcément, l’argent suscite des convoitises et des comportements pas toujours louables. Des héros aussi.

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Histoires de cow-boys, de gangsters, de traders, de guerre, de drame, de romance plus ou moins (im)possible, les deux auteurs marient tout ça avec beaucoup d’aura, de rebondissements et de réalisme. C’est romanesque mais certainement pas incompatible avec cette Histoire récente dont les tumultes recèlent des ombres noires que les bédéastes éclairent de leurs impressions, déductions. C’est comme ça que le Baron Rouge se dévoile sous un jour inédit.

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Berthet n’a pas son pareil pour prendre l’aventure à bras-le-corps, caractériser en une image l’une ou l’autre période de l’Histoire et teinter les planches suivantes (mais aussi la série-mère et pourtant filiale) de cette atmosphère, parfois étouffante. C’est bien vu et exécuté avec puissance et émotion. Même face à des personnages qui, bien plus que d’être attachants, ont aussi leurs facettes répulsives. Ni blanc ni noir. Comme ce monde en furie qui oblige à faire des choix déterminants et ne fait parfois la fête aux puissants, guère à l’abri des déconvenues.

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À lire chez Dupuis

Des villes et des femmes, des hommes vils

Résumé de Dargaud pour Des villes et des femmes de Bob De Groot et Philippe Francq: C’est l’histoire de six femmes. Elles s’appellent Helen, Agnès, Liz, Ginette, Gerda et Mireille. Six femmes, et autant de destins brisés. Six victimes des hommes, de leur égoïsme, de leur jalousie ou de leur appât du gain. De Key West à Bruxelles, de New York à Paris, d’Amsterdam à Marseille, Des villes et des femmes est une invitation au voyage immobile et à la découverte d’univers urbains. Avec, au programme, un soupçon de cruauté, un zeste d’humour noir et une pincée d’absurde. Sans oublier un peu d’amour, même s’il ne sort jamais vainqueur. Car, comme le dit la chanson, les histoires d’amour finissent mal, en général…

La campagne avait sa place dans l’album chroniqué ci-dessus, on bascule complètement dans la mâchoire de la ville avec ce recueil d’histoires courtes conçues par Bob De Groot (dont on connaît les Léonard, Robin Dubois, Rantanplan mais dont c’est quasiment la seule apparition dans une BD de crime et moins d’humour, si ce n’est noir) et le tout jeune Philippe Francq, dont la patte est déjà bien installée, peut-être encore un peu tremblante sous ce qu’on lui fait dessiner comme cauchemars. Pas sans évoquer un peu un Cosey qui aurait quitté ses Ardennes pour jouer au globe-trotter citadin.

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En 87 et 88, deux albums paraissent ainsi, un pour trois femmes. Elles s’appellent Helen, Agnès, Liz, Ginette, Gerda et Mireille. Toutes habitent une ville, pas la même. Il y en a pour tous les horizons: les Keys, Bruxelles, New York, Paris, Amsterdam et Marseille. Autant d’ambiances qui invitent au farniente, à la balade en bord de mer ou de cours d’eau, aux galipettes au fond du lit… Et pourtant. Sur la carte postale, De Groot et Francq (dont ce sont les premières histoires publiées en albums) dessinent des ombres bien moins chatoyantes, violentes, égoïstes, criminelles. Pas celle des femmes, non, des hommes. « Derrière chaque grand homme se cache une femme », attribue-t-on à Fabien Sullivan Grandfils. Mais derrière chaque grande femme, ce que la société patriarcale a souvent réprimé comme idée, il y a peut-être un homme qui se sent affaibli, déshonoré, sali, convoitant quelque chose (matériel ou spirituel) quitte à ce que mort s’ensuive. Quand tout ne se passe pas comme prévu.

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Pas loin de la frontière fantastique, où le monstre surgit et fait basculer l’idyllisme dans l’horreur, De Groot et Francq livrent des récits de quelques planches, ou quelques dizaines, qui sont implacables, font froid dans le dos tant ils convoquent l’imprévisibilité des comportements humains, masculins entraînés à être meilleurs que ceux du sexe qu’on leur avait présenté comme faible. Dans ces récits finalement intimistes, inavouables, Francq a déjà mis en place la force d’un dessin qui voyageait déjà et ne demandait qu’à maturer encore un peu pour permettre la création, bien sur ses guiboles et dans son costard, d’un certain Largo.

© De Groot/Francq/Denoulet chez Dargaud

À lire chez Dargaud.

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