
“Plus vieux est le bouc, plus dure est sa corne.”, dit apparemment un proverbe belge. Et le Boucq? Il ne faiblit pas. En ce début d’année, ce monstre sacré, gargantuesque, avec son style bien à lui et ses envies déraisonnables, emplies de folie, a sorti deux albums et réalisé une fresque incroyable à Angoulême. Maître irrévérencieux (mais, attention, aussi capable d’oeuvre dans la rigueur documentaire comme lorsqu’il est amené à couvrir des procès comme celui de DSK ou des attentats de Charlie), Boucq se paye cette fois la clique de généraux dans l’ombre de De Gaulle, avec Nicolas Juncker au scénario jubilatoire, et le pape. Mais le petit. Trésor burlesque.
Un général, des généraux, des dégénérés

Résumé de l’éditeur : Mai 1958. Alger s’embrase contre un nouveau gouvernement qui, à Paris, semble prêt à dialoguer avec les indépendantistes. Des milliers de colons se soulèvent, obligeant l’armée et ses généraux à choisir leur camp : rester loyaux à l’état ou à l’Algérie française, dernier vestige du grand empire colonial Français. Dépassés et galvanisés par la situation, les généraux s’embarquent dans un coup d’état qui devient rapidement incontrôlable… Et si seul un vieil homme à la retraite, le « dernier héros français », était capable d’arrêter cette machine folle et éviter une guerre civile ? Ce vaudeville politico-militaire donnera les clés du pouvoir à de Gaulle et sa Ve République… car juré-craché, « le Général » l’a promis à toutes et à tous : cette fois, il les a compris.

À quoi reconnait-on la réalité ? Dans sa manière de taper plus fort que la fiction, quitte à l’inspirer, à se faire adapter. Juncker et Boucq, qui étaient faits pour s’entendre tant ils ont le pouvoir d’atomiser avec la finesse qui les caractérise les folles histoires dont ils s’emparent. Et les coulisses de la Guerre d’Algérie, c’en est une. Alors que la foule manifeste sa colère, qui peut entendre ce que les hauts gradés de France, embourbés dans ce merdier, peuvent se dire.

À quoi ils peuvent penser, rêver, quelles alliances ils peuvent faire. Et à quel collègue ils peuvent faire un sale coup. Chacun pour sa gueule, pour ses billes, plus que l’intérêt général. Il n’y a pas de petit profit et si on peut se demande comment certains crétins ont gravi les marches du pouvoir militaire, force est de constater que la chute peut d’autant plus être rude.

Dans leur frénésie absurde (mais véridique donc) et décapante, Juncker et Boucq nous entraînent dans ce « joli » mois de mai 1958, d’un bout à l’autre du globe, entre France et Algérie, par liaisons téléphoniques ou, de manière plus pragmatique (? pas sûr que ce mot soit familier de nos ouailles), par téléphone dit arabe, dans les souterrains qui relient les palais dans lesquels les différents généraux ont leurs pénates. Entre coups de bluff et véritable envie de nuire à quelques-uns ou au monde entier, c’est un jeu de chat (le président De Gaulle) et de souris qui s’engage, le pouvoir tremblant parfois mais certains conspirateurs étant pris à leur propre jeu.

Comment peut-on être si puissants et si cons?, aurait-on tendance à se demander à la fin de cette lecture qui réussit à être addictive et jouissive malgré la pléthore de personnages à laquelle un Belge comme moi n’est pas habitué, et les multiples rebondissements improbables. Boucq dessine toujours au cordeau, avec des attitudes, des visages, des poses et des courses qui donnent tellement d’âme et d’impact à ce qu’il fait. Le duo saisit dans le rire, le fou rire, tout l’effroi d’un système de privilèges, d’enfants gâtés, complètement hors-sol. Gageons qu’il en subsiste plus que des reliquats.

De l’odeur de poudre… à l’odeur de sainteté

Résumé de l’éditeur : Habemus Papam ! Le conclave a élu un nouveau pape en la personne de Pie 3,14. Mais lors de la présentation à la foule, elle découvre avec stupeur qu’il est fort petit, au point de ne pas dépasser de la barrière du balcon du Vatican. On a vu mieux comme présentation au peuple… Mais cela n’atteint pas le moral débonnaire de ce petit Pape qui vivra des aventures bien plus rocambolesques au fil des pages, sous l’incroyable…

Conscient qu’il s’est peut-être mis à mal une armée entière, celle de ce grand pays qu’est la France!, c’est en solo que Boucq tente de se faire une petite place duveteuse au paradis, de rendre grâce à Dieu et à son plus grand représentant : le Pape. Se mettre dans la poche les anges et les cardinaux? Il a tenu une demi-couverture. En passant de haut en bas sur la devanture auréolée de ce Petit Pape Pie 3,14, le lecteur a vite fait de comprendre que quelque chose cloche. En effet, la fumée blanche a fait trêve de suspense et accouché d’un minus ! Monseigneur Gontrand, avec sa carrure à la Henry Cavill qui s’emporte parfois dans des gestes pas très catholiques, a donc fait don de sa personne et s’est mis à quatre pattes pour faire la courte échelle au saint-père et lui permettre, sur la pointe de pieds tout de même, de prendre depuis le balcon son premier bain de foule. Quel divertissement, si le peuple ne demande que ça! Au moins, il fait faire des économies d’essence au Vatican, plus besoin de Papamobile, une poussette suffit.


Le ton est donné, irrévérence toujours plutôt que courbettes, et Boucq ne s’arrête pas en si bon chemin dans son délire. Tour à tour, Pie 3,14 partira en balade avec Super(hyper)man, devra se coltiner des zombies, ou une ombre récalcitrante et qui reprend sa liberté. Il tirera aussi une croix et tentera de résoudre le mystère d’un immense trou noir capable d’avaler tout sur son passage. Boucq lui fait bien dire l’une ou l’autre prière mais si les plus catholiques d’entre nous attendaiebt une grand-messe, ce n’est pas forcément celle qu’on imaginait que le génial bédéaste donne lieu. Au fond, les huit histoires courtes accomplies par Boucq pourraient tout à fait être servies par un héros interchangeable comme on en voit tant. Mais, comme c’est le pape qui se marie aux ennuis iconoclastes, ça donne toute sa saveur à cet album qui n’a de cesse de faire bouger les lignes, les codes, d’être intrépide et complètement à côté de la plaque. C’est pour ça qu’on l’adore. Quand le Boucq sort de la crèche, le petit Jésus n’a qu’a bien se tenir. Pas de silence religieux qui tienne!


Titre : Un général, des généraux
Récit complet
Scénario : Nicolas Juncker
Dessin : François Boucq
Couleurs : Alexandre et François Boucq
Genre : Espionnage, Guerre, Histoire, Humour
Éditeur : Le Lombard
Nbre de pages : 144
Prix : 23,50 €
Date de sortie : le 04/02/2022
Titre : Le petit Pape Pie 3,14
Recueil d’histoires courtes
Scénario et dessin : François Boucq
Couleurs : Hélia et François Boucq
Genre : Absurde, Humour
Éditeur : Fluide Glacial
Nbre de pages : 56
Prix : 23,50 €
Date de sortie : le 04/02/2022
Extraits :
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