
To be parents or not to be. Chacun a le choix de s’engager dans cette voie ou pas. Même si la société et le regard de ceux qui la composent peuvent se faire oppressants et juges face à ceux qui échappent à la norme tellement subjective pourtant. À une époque où le futur laisse parfois peu d’espoir, perpétuer l’espèce est loin d’être une obligation. Il faut de tout pour faire un monde et chacun est différent, ce qui fait la richesse de chaque témoignage. Chaque support (cinéma, télé, littérature, littérature graphique, musique, spectacles…) en a valorisés. En voilà deux en bande dessinée. Un homme, deux femmes qui parlent à travers deux représentantes de la gent féminine.

Et toi, quand est-ce que tu t’y mets?
Résumé de l’éditeur : Jeanne, 35 ans, ne veut pas avoir d’enfant. Se réveiller toutes les heures, faire passer sa vie personnelle au second plan et accumuler les sacrifices pour un petit être tyrannique, très peu pour elle ! Et Jeff, son amoureux, est bien d’accord. Enfin il l’était… le jour où Jeff commence à courber l’échine sous les injonctions familiales et amicales, Jeanne voit son monde s’effondrer. Pour Lucie, c’est une épreuve bien particulière à laquelle elle va devoir faire face : l’avortement. Est-ce douloureux ? Va-t-elle le regretter ? En ressortira-t-elle traumatisée ? Les questions déferlent et les réponses que peut apporter internet la font se sentir coupable… Heureusement, elle peut compter sur Jeanne, qui a déjà eu à faire face à cette situation et l’épaule dans cette épreuve.

Aujourd’hui devenue une scénariste convoitée par sa fibre et son ouverture, la fantaisie de son écriture et les thèmes marquants qu’elle en dégage (dans Betty Boob, Olive ou encore Les petites distances), Véro(nique) Cazot a commencé sa carrière dans le Neuvième Art, il y a une dizaine d’années, en compagnie de Madeleine Martin (Mady) avec une oeuvre militante et un brin de mauvaise foi : Et toi, quand est-ce que tu t’y mets. Hé oui, pour une femme, conçue pour donner la vie jusqu’à sa quarantaine (à la grosse louche), quand le temps avance et que l’enfant ne vient pas, la pression peut venir par l’intermédiaire de petites phrases qui piquent, semblable au titre de ce diptyque aujourd’hui rassemblé en intégrale.

On parle de la pression que peut mettre l’entourage, mais il peut se matérialiser de multiples manières: par les humains qui nous sont proches ou nous le sont moins mais aussi par la télé, les comptes Instagram, les publicités sans parler des rêves et des cauchemars. Quand chaque pas que vous faites dans le monde, votre regard s’attache à se focaliser sur les détails qui vous rappellent ce que vous ne voulez pas : poussettes, biberons, petit bedon ou gros ventres signe d’un accouchement imminent. De quoi faire suer, froid, une Jeanne. L’héroïne, bien tranchée, qu’ont inventé Véro Cazot et Madeleine Martin.
Entre fantasmes et réalité, comique et cynique de situation, les deux autrices nous entraînent donc dans ce monde de brutes (au féminin) où celles qui ne veulent pas créer de famille doivent se faire de la place, en jouant des coudes et des codes. Quitte à en remettre des couches. Pour que la minorité se fasse entendre. Parlant de situations graves et, plus souvent, légères, Véronique Cazot y va avec du culot, de la rage et de la mauvaise foi. Parce que la thèse, le manifeste, se mue en moments de réflexion sur notre société occidentale, soi disant ouverte et inclusive, et le peu de place qu’il laisse aux (nombreuses) exceptions, mais surtout de grands moments de rigolade et d’absurdité, dans le plus pur des esprits Fluide. C’est ce qui fait sens dans cet album, un témoignage auquel on n’est pas habitué (et on devrait s’y habituer) mais qui à force d’appuyer ses arguments aurait en faire un pensum.

Mais non, d’un pied à l’autre, il y a cette manière de ne pas se prendre au sérieux qui donne toute sa saveur et sa force à cette oeuvre dans laquelle Madeleine Martin contient à bon escient toute la déferlante Cazot. Le propos est féroce, la dessinatrice s’en empare avec des couleurs softs pour ne pas faire ton sur ton mais une énergie et un sens de l’action coincé entre le métro-boulot-dodo ébouriffant. La paire s’était bien trouvée.

L’année zéro
Résumé de l’éditeur : Dans toute relation amoureuse, tôt ou tard, la question se pose : voulons-nous un enfant ? Une question qui vient souvent à l´esprit de la femme avant celui de son partenaire. L´auteur Frenk Meeuwsen a lutté pendant un certain temps contre des sentiments contradictoires, mais il a fini par connaître sa réponse : « oui, je veux » ! Dans ce roman graphique semi-autobiographique, il raconte avec humour tout ce qui s´est passé ensuite, des moments intimes entre son double, Frenkel, et sa petite amie Zaza aux bavardages réconfortants au pub, en passant par les événements bouleversants à l´hôpital et bien plus encore… Disons le simplement : toutes les aventures de l´Année Zéro !


Ce n’est pas qu’elle ne voulait pas d’enfant, mais Zaza en a fait le deuil pour vivre pleinement sa vie de couple avec un homme qui ne se croyait pas fait pour la vie de famille à plus de deux. Dans la vie, plusieurs chemins s’offrent à vous. Chacun avec ses épiphanies et ses embûches. Il y a plusieurs moyens de réussir sa vie d’humain. Les occasions se présentent rarement de rebrousser chemin. Car le temps passe. Et c’est à 50 ans que Frenkel vire de bord. Après tout, ce serait trop bête, de ne pas goûter au bonheur d’être père.

Entre le tangible et l’intangible, ce sont ses premiers mois de papa que Frenk écrit et dessine. Ceux qui passent alors que le ventre de maman grossit, que les visites médicales se succèdent, que l’excitation et l’appréhension montent. D’ailleurs, cela se concrétise par d’étranges songes, chevauchant une moto à travers la ville vide.


Avec son crayon, Frenk Meeuwsen se découvre dans l’attente et la variété de sa palette, passant du croquis au négatif, du dessin de reportage bicolore le Jour J à un autre beaucoup plus abouti et coloré, le plus clair du temps de ce roman graphique de 140 pages. Il y a quelque chose d’inné dans le travail de Frenk, comme si les questions sur les métamorphoses dans sa vie avaient, sur le papier, laissé la place à une écriture automatique, au ressenti. Il y a quelque chose de naturel là, où l’esprit se laisse aller à la réflexion, à la gestation d’images sur le vif ou de métaphores tour à tour touchantes ou hilarantes.

Je trouve que dans cet album sensible et sincère, Frenk réussit à ne pas spoiler ceux qui n’ont pas encore goûté à la paternité, et veulent y goûter. Parce que son ressenti lui appartient, aussi universel soit-il, et qu’il y va là de l’humain et de sa réaction face aux étapes qui l’amène au premier cri. C’est aussi une superbe opportunité, avec un récit de vie qui en dit tellement long sur la personnalité de son auteur, que nous offre Nicolas Anspach en faisant émerger pour la première fois Frenk Meeuwsen sur le marché francophone. Avec un album qui touche tellement le cœur, chatoyant et riche de petits moments.

Série : Et toi quand est-ce que tu t’y mets?
Intégrale
Scénario : Véro Cazot
Dessin et couleurs : Madeleine Martin
Genre : Autofiction, Chronique sociale, Humour
Éditeur : Fluide Glacial
Nbre de pages : 104
Prix : 19,90€
Date de sortie : le 12/01/2022
Extraits :
Titre : L’année zéro
Récit complet
Scénario, dessin et couleurs : Frenk Meeuwsen
Traducteur : Philippe Nihoul
Genre : Autobiographie, Récit de vie
Éditeur : Anspach
Éditeur VO : Stichting Sherpa
Nbre de pages : 240
Prix : 27,50€
Date de sortie : le 11/03/2022
Extraits :