Queenie par Mikaël: que la nuit est belle à Harlem, criminelle aussi, entre gangs et loterie du pouvoir

Sérigraphie pour la librairie Expérience

Diptyque après diptyque, Mikaël continue d’explorer les strates de la société new-yorkaise du début des années 30, au début de la grande dépression. Choisissant à chaque nouvelle histoire des nouveaux protagonistes, l’auteur investit Harlem et ses luttes de pouvoirs mafieuses pour son troisième volet, en mettant en lumière, après avoir raconté le sort des anonymes (cireurs de pompes ou bâtisseurs tutoyant les cimes), une authentique héroïne : Queenie, Stéphanie St. Clair.

© Mikaël chez Dargaud
© Mikaël chez Dargaud

Résumé de l’éditeur : Harlem, 1931. Au coeur de la Grande Dépression, l’inventivité est mère de sûreté pour joindre les deux bouts. Stéphanie St. Clair, dite Queenie, l’avait déjà bien compris en débarquant à New York il y a maintenant presque vingt ans. L’inventivité quand on est une femme et que l’on est noire, c’est bien plus qu’une nécessité. C’est une question de survie. En quelques années, cette jeune servante antillaise immigrée s’est affranchie du poids de la servitude ancestrale. Mieux encore, elle a créé son propre rêve américain : la loterie clandestine d’Harlem. Une ascension qui fait grincer des dents, tant du côté des autorités locales que de la mafia blanche. Dutch Schultz, dit le Hollandais, un mafieux sans scrupule, compte bien faire main basse sur le royaume de la « Frenchy ». Mais c’est sans compter la détermination et l’impétuosité de Queenie, dont le lourd passé continue de guider les pas…

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© Mikaël

Tout d’abord, visez une nouvelle fois la couverture, comme une dédicace, découvrant l’efficacité du trait et de sa diversité, fin ou plus massif, avec des aplats redoutables. Pour inaugurer ce troisième cycle, Mikaël a changé son Tommy-gun – j’ai nommé, son crayon, diaboliquement précis – d’épaule pour passer des plans d’ensemble (donnant admirablement sur un quartier de la ville et ses âmes) à un plan rapproché s’ouvrant sur la fumée d’une cigarette portée en longueur, une fourrure et une partie de visage (entre un bandana et une grosse boucle d’oreille) qui laisse paraître un regard fier et obstiné, qui ne lâche rien. Le tout sous le signe de la note bleue. Et dans les volutes, l’ambiance nous imbibe déjà, nous habite. Au temps de la prohibition.

© Mikaël chez Dargaud

C’est une première partie prise entre deux pôles que nous livre ici Mikaël: d’un côté, l’incroyable frénésie de vivre libre et en dansant dans les tripots où des musiciens jouent comme des diables et, de l’autre, la férocité et l’âpreté de la guerre des gangs qui visent à toujours plus agrandir leur territoire. Quitte à éliminer les concurrents, de manière mesquine (en y faisant descendre la police corrompue ou raciste) ou irréversible. Même si le concurrent en question est une femme. Une sacrée femme en l’occurrence, qui a vécu assez de choses terribles, amenée à notre connaissance par des flashbacks incendiaires.

© Mikaël chez Dargaud
© Mikaël chez Dargaud

Quand Mikaël nous la fait la rencontrer, Stéphanie « Queenie » « Frenchy » St. Clair (l’album devait initialement s’appeler Queenie, c’était sans compter une autre parution au rayon roman graphique aux Éditions Anne Carrière) a déjà eu quelques vies que pour savoir profiter du luxe qui ne lui était pas donné au départ et ne rien laisser au hasard. Cela passe par le mystère dans lequel elle s’entoure. Pour ne pas prêter le flanc aux attaques. Ce qui favorise les assauts de ce journaliste qui entend bien raconter sa vie… et qui, au temps présent, pour jouer son va-tout et éviter le déclin, pourrait bien être un allié de la reine et marraine de Harlem. Car il ne faut négliger aucune carte dans la bataille, les armes, les pots-de-vin et la confrontation médiatique aux gangsters-businessmen, par presse interposée. Il s’agit bien de garder le public qu’elle a pu mettre dans sa poche, grâce à sa célèbre loterie.

© Mikaël chez Dargaud
© Mikaël
© Mikaël chez Dargaud

En restant finalement au plus proche de son héroïne, prise non pas dans son ascension mais dans l’angoisse et l’appréhension de la descente, Mikaël explore les nuits et les journées de Harlem. Il s’y passe toujours quelque chose tant les envieux sont à l’affût du moindre faux pas. Si l’on peut avoir l’impression que l’auteur tire un peu en longueur pour pouvoir y consacrer 108 pages, ses dessins sont à se damner. Il fait valoir un sens de la reconstitution, de la composition et de l’émotion absolument addictif. Il ne se répète jamais pour enrichir son histoire, page après page, de visages, de monuments qui n’existent peut-être plus aujourd’hui, d’un charme et d’une élégance à toute épreuve. D’une ambiance imparable. C’est magique et entraînant, feutré et explosif. C’est la vie insouciante, c’est la mort dans d’atroces souffrances. Bang bang.

© Mikaël
© Mikaël chez Dargaud

Le tome 2 ne tardera pas.

Et je ne peux résister à vous passer ce morceau:


Titre : Harlem

Tome : 1/2

Scénario, dessin et couleurs : Mikaël (Page Facebook)

Genre : Drame, Chronique sociale

Éditeur : Dargaud

Nbre de pages : 56 (+ 8 pages de cahier graphique en bonus de la première édition)

Prix : 14,50€

Date de sortie : le 21/01/2022

Extraits : 

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