
En trois tomes, les Québécois Jocelyn Boisvert et Pascal Colpron bouclent le premier cycle de leur aventure d’outre-tombe mis au jour des vivants. Alors que je vous avais présenté la série via une interview des auteurs, deux albums sont depuis parus et le moment est venu de voir ce que ces deux tomes ont dans le ventre. Même si ce repos éternel qui n’aura duré qu’un an a laissé Yan sans appétit (ne comptez pas sur lui pour mordiller des cuisses ou se jeter sur la main qui le nourrit (au sens pas propre)), les deux auteurs, eux, sont-ils parvenus à nous allécher?

Résumé de l’éditeur : Réfugié chez son pote Nico, Yan, le zombie, se rend compte qu’il ne peut pas mener son enquête avec sa tête de déterré. Il part donc chez Alice, son amie spécialiste en maquillage, pour qu’elle lui rende un visage un peu plus humain. Mais en chemin, il se fait alpaguer par deux mecs qui vont à une fête costumée. Sur place, il retrouve le jeune client du dealer qui l’a poignardé, mais aussi sa soeur qui a visiblement été droguée par un jeune aux intentions malveillantes. Il la suit et provoque un accident de la circulation pour les tirer des griffes de ce prédateur. Poursuivi par la police, Yan n’est pas près de goûter au repos éternel…

Pour les réponses, on attendra. S’il semble que la zombification de Yan ne soit pas inédite et qu’il y ait eu un précédent dans la famille, héros et lecteurs sont là pour se demander pourquoi ça lui est arrivé à lui? C’est vrai qu’il était bien trop jeune, 13 ans et demi, mais pourquoi la mort n’a-t-elle pas voulu de lui et l’a-t-elle renvoyé sur terre là où il n’a sa place nulle part. Errance et fuite, pour toujours? Se rappeler aux souvenirs de ses amis les moins bornés, Nico et Alice, c’était déjà délicat, mais que dire de sa famille? D’autant plus que comme dans les contes, s’il y a des adjuvants, Yan va trouver sur son chemin toute une série d’opposants.

À commencer par ce dealer qui, d’un coup de poignard, lui a ôté la vie à l’abri des regards et qui voit en ce retour inattendu la possibilité d’être écroué. De l’autre côté de la loi, il y a ce policier qui fait une fixette sur Yan et entend bien prouver au monde que les morts-vivants existent, tremblez pauvres mortels. Puis, dans sa famille ou chez ses amis, les circonstances familiales font que les portes d’entrée dans un soupçon de normalité se dérobent parfois sous les pieds du revenant. On n’est pas aidé.

Laissant ouverte les portes et les mystères de leur récit, jusqu’ici, le duo d’auteurs se veut pragmatique dans ce premier cycle, laissant leur « enfant » parer aux plus urgents. Ce qui ne veut pas dire que les rebondissements et le comique (ou le dramatique) de situation sont négligés, que du contraire. En faisant le choix que la zombification de Yan soit le seul argument fantastico-horrifique dans ce monde tangible, mais de brutes quand même, Jocelyn et Pascal étudient le milieu social et ce qu’il se produit quand on ajuste (ou supprime) une variable. Souvent, on entend dire autour de nous, dans ce que disent les vivants ou dans les paroles que l’on prête aux morts, « ah si nous avions eu plus de temps ». Ce temps-là, matériellement, les auteurs l’offrent à leur héros. Mais dans ces circonstances surnaturelles et thriller, tout n’est pas aussi simple. D’autant plus que le puzzle familial, solidement rigidifié jusque-là, s’est laissé complètement allé, éparpillé et difficilement réconciliable.
Ce n’est pas tant l’année passée qui a changé le monde qui l’entoure, c’est l’absence de Yan pendant un temps qui a complètement rebattu les cartes. Résolument, dans les stigmates du deuil sur ceux qui restent, dans la décomposition de leur lien plus encore que les chairs de Yan, le duo réussit un travail sensible et humain. Tout en ayant pris le goût du sang et en osant un sacré coup à la fin du second tome. Qui va complètement conditionner le troisième, mené tambour battant.

Dans le fond, on a eu aucune réponse à nos questions sur la condition du héros, et à l’heure où celui-ci fait mine de regagner ses pénates, son cercueil, c’est un nouveau départ qui s’offre à lui, avec, en toute dernière page, cette coquine de fatalité qui nous laisse penser que le héros, résilient, a fait un bien mauvais choix. Mais on le suivra. Sur un canevas vu et revu, les Québécois ont proposé une histoire totalement inattendue, et pourtant la plus réaliste possible dans les rapports humains et plus-humains. Un survival de mort-vivant dans lequel l’enjeu est de sauver les mortels.

Y’en a un peu plus, je vous le mets? La vie de ma mort

Résumé de l’éditeur : Les zombies sont partout. Du moins dans la culture populaire. « La vie de ma mort » propose de raconter le quotidien d’une famille de zombies et son intégration parmi la société des vivants, à l’école, au boulot, etc. Quel est le quotidien d’un zombie ? Quelles sont ses aspirations dans l’après-vie ? Les zombies ont certes une anatomie particulière, un régime alimentaire un peu excluant, mais ils n’ont qu’une envie : devenir nos amis, être acceptés avec leurs différences.

La collection Pataquès a décidément le don pour aligner les pitchs inénarrables et les esprits les plus tordus. Dans La vie de ma mort, Fortu imagine un monde dans lequel Yan serait loin d’être le seul à s’être mortifié. Humains et plus-humains doivent cohabiter. Déjà que certains vivants ont du mal à s’entendre avec ceux qui leur ressemblent pourtant à un détail près (la couleur de la peau, le sexe, l’orientation sexuelle, la nationalité, ou que sais-je encore), alors imaginez en ajoutant une classification en plus… Si ce n’est lors d’une invitation à la famille, guère rassurée, d’un camarade de classe de leur fils, les zombies sur lesquels Fortu a jeté son dévolu restent entre eux, à parler de tout, de rien, de leur présent et leur avenir. Car les choses sont immuables, en paraphrasant Barzotti, ils sont zombies et ils le restent.

Si les enfants entendent bien parfois, comme dans les jeux vidéo, redonner vigueur à leurs pulsions sauvages, les parents sont vegans ou se ravitaillent au… cimetière, ni vus ni connus. Ils entendent bien s’intégrer au mieux. Avec une peau verdâtre et des lambeaux, une main flottante, un oeil qui joue au yoyo, pas facile. Alors, aussi décérébrés soient-ils, cela leur donne matière à réflexion. En assimilant les codes et les modes à ces revenants, Fortu décale le ton avec délice et dérision. Cadavre exquis, dans le texte, même si le dessin pourrait être un peu plus soigné. Recopiant les images deux ou trois fois par gag de quatre cases (ou plus), ou les faisant varier de si peu, le comique de répétition a ses limites. Et si Fabcaro y arrive bien, ici, il manque un quelque chose qui rendrait le coup d’oeil plus agréable.

Série : Mort et déterré
D’après le roman de Jocelyn Boisvert
Tome : 2 – Pas de quartier pour les macchabées & 3 – Les derniers jours d’un zombie
Scénario : Jocelyn Boisvert
Dessin : Pascal Colpron
Couleurs : Usagi
Genre : Drame, Fantastique, Horreur, Humour
Éditeur : Dupuis
Nbre de pages : 48 & 56
Prix : 10,95 €
Date de sortie : le 12/02/2021 & le 18/02/2022
Extraits :
Titre : La vie de ma mort
Recueil de gags
Scénario, dessin et couleurs : Fortu
Genre : Fantastique, Horreur, Humour, Parodie, Société
Éditeur : Delcourt
Collection : Pataquès
Nbre de pages : 104
Prix : 10,50€
Date de sortie : le 16/02/2022
Extraits :