
L’expédition de John Franklin, c’est le mystère de La Pérouse dans des conditions bien moins exotiques et beaucoup plus glaciales. C’est sur cette aventure d’exploration dont personne n’est revenu que Michel Durand a jeté son dévolu, couvert pas les couleurs d’Alexandre Boucq. Un exercice casse-gueule autant qu’excitant puisqu’il s’agit d’imaginer, d’inventer réalistement les failles de cette histoire iceberg, grandeur nature.

Résumé de l’éditeur : Le 19 mai 1845, le HMS Erebus et le HMS Terror quittent les côtes anglaises en direction de l’Arctique dans le but de tenter la première traversée du passage du Nord-Ouest. Pour entreprendre cette mission d’envergure sont réquisitionnés : 134 hommes, des vivres pour trois ans et un commandant, le capitaine John Franklin. Au moment du départ, il a 59 ans, c’est un navigateur polaire reconnu et cette expédition doit être la dernière de sa carrière. Elle le sera bel et bien. En septembre 1846, les navires se retrouvent coincés dans la glace, quelque part dans l’archipel Arctique canadien. Tandis qu’une partie des marins décide d’engager une marche vers le sud, une majorité reste à bord et hiverne. Aucun membre de ces deux groupes ne survit… Que s’est-il passé ? Comment ont-ils réagi face au froid et à l’abominable isolement ?

Aussi spectaculaire soit-elle, force est de constater que la couverture de ce nouvel album de la collection Explora (riches de diverses fortunes dans ces albums précédents) appelle peut-être moins l’oeil qu’il n’y paraît. Et peut faire peur. Car dans notre confort actuel, il est bien difficile de nous mettre à la place des explorateurs du XIXe siècle. Ceux qui, à partir du moment où ils larguaient les amarres, se retrouvaient coupés du monde pour des mois, si pas des années ou l’éternité. Un sacerdoce qui pouvait en valoir la chandelle si on n’y laissait pas la vie ou l’esprit.

La terre est vaste, nous rappellent les pages de garde s’ouvrant sur une mappemonde, et nous n’en aurions pas une connaissance aussi aigüe (non qu’il ne reste plein de mystères, j’en suis sûr) si certains aventuriers, en costumes de prestige ou au rang de chair à canon, n’avaient pas roulé et vogué leur bosse au fil des siècles. Avec parfois des trésors à la clé ou un sort cruel. Une cartographie toujours plus détaillée, quand même.

Celle-ci est parfois plus soupçonnée, comme quand un navire est envoyé par le fond par des ennemis, humains ou naturels, météorologiques. C’est donc ce qu’il s’est passé avec l’équipage de Franklin. Un redoutable capitaine qui disparaît très vite du récit pour laisser ses ouailles à leur survie délicate, au coeur de l’enfer blanc, entre patinoires et dunes, raz de marée figés.

Dans cet album bavard jusqu’à ce que le froid essouffle et enroue, Michel Durant réussit une belle et forte reconstitution, brillant par la richesse de ces différents points de vue et narrations, épistolaires d’un bout à l’autre du monde (aidant aussi à comprendre la tragédie pour ceux, commanditaires, épouses, proches ou plèbe qui étaient restés au pays), entre inhumanité et humanité mais aussi sur le vif des échanges musclés, entre solidarité et cavalier seul, mus par l’énergie du désespoir. Il faut voir la mâchoire de glace peu à peu mais sûrement immobilisé les majestueux vaisseaux. On est bien peu de choses, encore plus dans un paysage inhabité. Si ce n’est pas des ours et quelques Inuits, avec qui ça ne va pas trop bien se passer.

Prenant ses passagers (avec des invités surprise) comme des icebergs dont le promontoire a vite fait de fondre une fois sortis de leur zone de confort, quand les zones sombres ressortent, Michel Durant livre là une étude parfaite et haletante de la résistance humaine dans un milieu hostile par excellence. Dans l’effet de groupe et dans les individualités prêtes à devenir des loups pour l’homme dans une tentative de s’en sortir. On y croise un sorte de Willem Dafoe déboussolé, des géants et des frêles, tous engagés dans une sacrée galère, à pied ou en traîneau de fortune. Puis outre le chaos de ces relations, il y a la nature, les stalactites, la faune, sur la banquise ou sous elle, qui terminent de magnifier ce cauchemar qui, si l’issue est connue, compte son lot de rebondissements glaçants, sur base des maigres indices congelés sur place (un dossier, en fin d’album, retrace cette épopée funeste).
Titre : Franklin
Sous-titre : Les prisonniers de l’Antarctique
Récit complet
D’après une histoire vraie
Scénario et dessin : Michel Durand
Couleurs : Alexandre Boucq
Genre : Aventure, Drame, Survival
Éditeur : Glénat
Collection : Explora
Nbre de pages : 64
Prix : 15,50€
Date de sortie : le 12/01/2022