Les romans à succès pandémiques, U4 deviennent un nouveau puzzle pour Pierre-Paul Renders (Alter Ego): « Le suspense est plus intéressant que le mystère »

© Lapière/Renders/Huelva/Crespo chez Dupuis

Après avoir dynamité le monde de la BD avec le projet hors-norme qu’était Alter Ego, les scénaristes Denis Lapière et Pierre-Paul Renders reforment leur tandem magique pour une nouvelle aventure puzzle : l’adaptation des romans de la saga à succès U4. Cette entreprise collective de Carole Trébor, Yves Grévet, Vincent Villeminot et Florence Hinckel chez Nathan-Syros mettait des héros adolescents esseulés en conditions de survie pandémique. Un virus sévissant et ayant tué quasiment tous les adultes. Quatre romans adoptaient ainsi des points de vue différents sur les mêmes faits, et un cinquième compilait des histoires courtes, dont deux BD. Quelques années plus tard, le désir de BD est totalement assouvi chez Dupuis « dans une adaptation-inspiration » dessinée par Adrian Huelva, qui a revu certains événements, en a changé parfois l’ordre et négocie un grand final, à paraître en mai. Interview fleuve avec Pierre-Paul Renders.

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Bonjour Pierre-Paul, ça faisait longtemps que nous n’avions pas lu de vos nouvelles. Vous faites votre retour chez Dupuis.

C’est vrai, ça faisait très longtemps que je n’étais pas venu aux bureaux de Marcinelle, même pour dire bonjour. Le Covid n’a pas aidé. U4 est né à la demande de Syros Nathan, l’éditeur des romans de la saga s’était mis en quête d’éditeurs BD pour semer ses idées d’adaptation. C’est ainsi qu’il s’est tourné vers Dupuis et y a trouvé Laurence Van Tricht, l’éditrice entre autres d’Alter Ego que j’avais imaginé avec Denis Lapière.

Et elle a reformé le duo?

Comme U4 est une oeuvre à entrées multiples, elle a en effet pensé à nous. J’ai lu les romans et trouvé qu’il y avait moyen de nous amuser, si du moins l’éditeur et les auteurs originels nous laissaient champ libre. Il était impossible d’adapter cet univers tel quel. Nous avons travaillé sur un projet, soumis aux auteurs qui ont aimé notre adaptation. Par exemple, nous aimions toutes les fins des quatre romans et avons donc pensé les réunir dans un seul et cinquième album. Nous avions les mains libres, c’était vraiment une adaptation-inspiration.

Une page de la BD concoctée par Florence Hinckel et Marc Lizano dans U4 Contagion en 2016
Une page de la BD concoctée par Florence Hinckel et Marc Lizano dans U4 Contagion en 2016
La même séquence vue par Adrian Huelva dans l’adaptation BD © Lapière/Renders/Huelva/Crespo chez Dupuis

Justement, comment se présentent le matériau d’origine et ces quatre versions de l’histoire ?

Chaque tome va à sa fin et au-delà de la rencontre des 4 personnages qui est la fin simultanée de nos quatre albums. Ce qui fonctionnait très bien dans les romans mais posait la question de l’effet de redite en BD. Dans un roman, on donne à l’action et au décor l’importance que l’on veut. Mais quand le visuel s’ajoute, le décor, les situations sont restitués et risquent de générer le déjà-vu voire de lasser. Notre travail était d’éviter qu’il y ait trop de passages en commun et… de créer une chouette attente pour ce 5e tome et sa fin unique.

Dans les romans, il y avait donc quatre fins qui se tenaient mais dont aucune ne bouclait vraiment l’histoire. ll nous fallait résoudre le puzzle.

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Comme un jeu, un casse-tête?

Ça m’excite! Il faut trouver tout un sens, s’attacher aux personnages pour que chacun ait son point de vue sur l’histoire qui se raconte. C’est ainsi que les gens interagissent dans la fiction ou la réalité. La solution de l’un peut être le problème de l’autre. C’est passionnant d’explorer la vérité de chacun dans un monde clivant, de moins en moins à l’écoute de ça et qui nous demande d’être pro- ou anti-. U4, c’est l’occasion de voir des protagonistes dont les croyances sont différentes et qui peuvent malgré tout collaborer. C’est un mode de narration complétement différent de ce qui se passe actuellement, de ce qui se vit. Il s’agit de trouver de la variété mais aussi de la complémentarité.

Est-ce qu’aujourd’hui les adaptations de romans ne se passent pas plus en BD qu’au cinéma?

Je ne sais pas, je ne suis pas romancier. Écrire pour la BD ou adapter, de manière générale, n’est-ce pas semblable?

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La BD est beaucoup plus libre et souple que le cinéma, mais ne génère pas la même immersion et les mêmes émotions. Un crash, le survol d’un hélico ou une pandémie destructrice, ça ne coûte pas plus cher à dessiner que deux amoureux dans une chambre d’hôtel. Puis, dans le cas d’un film, plus le budget est important, plus il y a de monde dans l’équipe. Et il s’agit donc de répondre aux règles du marché, de faire des concessions.

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D’avoir les mains beaucoup moins libres que vous.

Cela dit, il y a quand même des contraintes. Nous nous étions déjà rendu compte avec Alter Ego à quel point il est difficile pour un éditeur de ne pas numéroter les différents tomes d’une série. Sur le principe, oui, mais c’est dans la chaîne logistique que ça bugge, sur les sites de vente, dans le référencement. Pour Alter Ego, nous avions dû nous battre pour qu’il n’y ait pas d’ordre établi.

Dans le cas de U4, ce n’était pas trop grave car les quatre premiers tomes paraissaient simultanément. Le lecteur comprend. Mais avec Alter Ego, et ses six tomes, nous avions dû séquencer pour laisser un peu de répit au portefeuille du lecteur. Nous avions publié deux tomes, un tome, un tome et deux tomes sur six mois. Mais il fallait faire comprendre qu’il n’y avait pas d’ordre de lecture recommandé. Que le choix était libre.

Et malgré tout, tentons le diable, il y a un bon ordre

S’il y a malgré tout un bon ordre, évident, dans lequel lire l’histoire, c’est que nous n’avons pas bien fait notre boulot. Alors, oui, certains font part de leurs thèses sur les forums, les réseaux. Mais tout le monde a raison.

Dans la vie, nous sommes confrontés tous les jours à des histoires complètement différentes. En fonction du moment où l’on apprend une information, l’histoire change. Rayan est mort. Mais de quoi, pourra-t-on se demander? Il y a deux heures ou il y a cinq heures, les éléments donnés et portés à la connaissance ne sont pas les même. Cela revêt de l’ironie dramatique. Les récits auxquels nous sommes confrontés ne sont jamais racontés dans l’ordre chronologique. Puis, il y a plein de zones qui ne sont pas mises en lumière. C’est toujours à l’état de puzzle.

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Avec U4, si le lecteur lit tel ou tel album avant les autres, il sera au courant de choses différentes, d’une issue. Sera-t-il moins inquiet? Cela change-t-il le plaisir? Je ne crois pas. En tant que scénariste, je suis assez irrité par cette phobie du spoil actuelle. Moi, je m’en fous si j’apprends avant d’avoir vu l’épisode que Jon Snow est mort. J’ai toujours autant envie de le voir, si pas plus. C’est une leçon des grands scénaristes: c’est l’ironie dramatique qui plaît le plus au spectateur parce qu’il en sait plus que les personnages.

J’avais été frappé de remarquer, à l’époque d’Alter Ego, que l’addiction des lecteurs était plus grande pour les épisodes simultanés que pour ce qu’il se produisait ensuite. Ne pas connaître l’avenir, nous y sommes habitués. Mais tout le monde aimerait savoir ce qu’il rate pendant qu’il faisait telle ou telle chose.

© Lapière/Renders/Huelva/Crespo chez Dupuis
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Comment procède-t-on?

Ici, nous avions l’avantage de disposer d’un matériau de basse. Nous avons voulu notre méthode plus systématique sur la répartition des informations. Les romans donnaient des infos sur un peu de tout pour qu’au bout de 320 pages, il n’y ait pas trop de zones d’ombre. Quant à l’origine de l’épidémie, la mise au point d’un vaccin, la violence intra-urbaine, la dimension magique, la spiritualité, chaque roman donnait des renseignements. Nous devions comprendre comment l’histoire fonctionnait pour pouvoir être plus elliptique et répartir les infos. Que telle info donnée dans un album ne soit pas répétée dans un autre. Par exemple, dans trois albums les militaires sont vus comme des ennemis, des connards, tandis que le quatrième nuance. Parce que le héros, justement dialogue avec l’un d’eux.

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Denis et moi, nous n’aimons pas le manichéisme. Ça peut fonctionner dans le Seigneur des Anneaux, où force est de constater que Sauron n’est pas vraiment épaissi. Nous, nous pouvions approfondir et jouer sur des effets d’attente. Pourquoi n’y a-t-il quasiment que les 15-18 ans qui ont survécu ? C’est un élément de l’intrigue, pas forcément celui pour lequel on lit l’album et si on y a réponse dans le premier album qu’on lit, ce n’est pas pour autant qu’on est spoilé.

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Le plus important est de définir les intentions et la quête du personnage. C’est ça qui va engager le lecteur, faire qu’il est tenu et qui va rajouter des éléments de suspense. La règle, c’est que le suspense est plus intéressant que le mystère. Le mystère répond à la question « pourquoi? ». Et quand il n’y a pas de réponse le lecteur s’emmerde. Encore plus si le fin mot un mystère est connu par un personnage qui en sait plus que le lecteur et joue avec les pieds de celui-ci… ça ne fonctionne pas longtemps. Le suspense, c’est « comment? », « par quelles actions ». Ça tient en haleine.

Et si un petit malin, malgré les avertissements lit le cinquième tome (quand il sera sorti) avant les quatre premiers?

Il peut, évidemment. Il faut garder à l’esprit que le lecteur est toujours libre et a tous les droits. Je connais des gens qui avouent, dès qu’ils ouvrent un nouveau livre, lire la fin avant le début. Et pourquoi pas? Ça les met dans une position confortable. Ça ne nous arrive jamais dans nos vies de savoir la fin! C’est quand ça arrive qu’on sait ! Le roman Chronique d’une mort annoncée de Gabriel García Márquez démarre par la mort du héros. Ça colore tout le reste de la lecture. Le flashforward, c’est une bonne méthode. Dans Alter Ego, nous l’avons souvent employée, pour plonger directement le lecteur dans le bain.

Dans les bandes-annonces, depuis quelques années, ou même les reportages sur Facebook, qui durent pourtant une poignée de minutes, on a désormais l’habitude de voir un court extrait de cette même vidéo en prélude.

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Cela est né de la nécessité absolue de capter l’attention, qui force à être efficace. Si le lecteur est paumé dès les 3-4 premières pages, c’est fichu. D’où l’intérêt pour certains de commencer l’histoire en cours. Sur internet, les réseaux sociaux, c’est encore plus flagrant, il y a tellement de sollicitations qu’il n’y a pas de deuxième chance!

Quand avez-vous commencé cette adaptation?

C’est en 2018 que nous avons commencé à travailler dessus. À l’époque, ça devait sortir trois ans plus tard. Mais le Covid a bousculé l’agenda. Adrián Huelva a dessiné chaque tome en 6 mois. Un rythme incroyable parce qu’outre le chapitrage, ce sont 120 vraies planches.

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Comment est-il arrivé dans l’aventure?

Au moment où nous nous mettions en quête d’un dessinateur, il envoyait ses planches chez Dupuis et était repéré. Il a réalisé un premier test, avec une chouette proposition. L’interaction qui s’est ensuivie aussi. Ce fut très particulier, ce travail à distance, que j’avais déjà expérimenté sur Alter Ego. Des centaines de mails ont été échangées mais je n’ai jamais rencontré Adrían, je ne connais même pas le son de sa voix. Son dessin fut très précis malgré l’obstacle de la langue. Il est prévu que nous nous rencontrions à Angoulême.

Et vous arrivez alors que la pandémie n’est pas terminée.

Le Covid est nouveau, mais l’épidémie n’est pas un nouveau motif. Dans l’Histoire, il y a eu des périodes quasiment aussi terribles que ce que nous racontons dans U4. La grippe espagnole ou la peste, par exemple. Une partie de fin du monde est envisageable comme ça.

Dans une fiction comme celle-là, on aime explorer, trouver un vocabulaire réaliste. Et la pandémie est arrivée d’un coup! Cette histoire a pris le chemin des librairies alors que le vocabulaire était très quotidien, qu’il y avait ces masques, ce confinement. Les potentiels lecteurs étaient en terrain connu.

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Il y a d’autres concours de circonstances. Les gens qui collaborent aux R-Points, les camps de survie, portent des… gilets jaunes. Un élément qui existait déjà avant que ces mouvements sociaux se mettent en marche. Sauf qu’ici, ils sont plutôt dédiés aux services d’ordre.

Face à la pandémie, nous nous sommes demandé à quel point notre histoire recouperait la réalité. Sur ce point, je pense que les lecteurs sont plus intrigués que rebutés. Ceci dit, U4 permet de relativiser notre situation. Ça aurait pu être bien pire.

© Lapière/Renders/Huelva/Crespo chez Dupuis

Quand la réalité rattrape à ce point un projet, a-t-on peur?

À un moment donné, il n’y a pas à avoir peur. C’est l’éditeur, encore plus que les auteurs, qui a le risque. Mais qui se dit que les circonstances joueront pour ou contre, que quoi qu’il en soit, le titre est prêt et il faut le sortir.

Dans le cas de Notre-Dame de Paris, qui interviendra dans le final, l’incendie nous a aussi donné des sueurs froides. Heureusement, la question est esquivée dans la BD et elle n’a pas été réduite totalement en cendres. Si ça avait été le cas, je ne sais pas ce que nous aurions fait. Cela dit, l’Histoire nous a préservé de l’effet subi par ces films hollywoodiens dont la sortie a été annulée après les attentats du World Trade Center.

Ce cinquième tome devrait, selon les attentes de ceux-ci, permettre aux héros de voyager dans le temps. Cela ne relativise-t-il pas les deuils qu’ils ont à affronter?

Ces ingrédients faisaient partie de la livraison de départ. Peut-être un voyage dans le temps va-t-il permettre d’empêcher que le virus se propage, c’est ce qu’espère le maître du jeu qui convoque les personnages. Déferont-ils la boucle? L’espoir est ténu, fragile. Et, malgré tout, tous les deuils sont bien là, marquants, éprouvants. C’est une série qui parle de résilience, comment on continue à vivre, à trouver du sens quand on a perdu sa famille, des gens qui sont chers. Ça faisait partie des ingrédients qui me plaisaient dans cette série qui y touche, l’air de rien.

Les visages des quatre personnages illustrent donc les couvertures des quatre premiers tomes. Vous nous les présentez?

Il y a deux garçons et deux filles. Mais comment les présenter sans avoir l’air de donner un ordre de lecture? Ce qui est assez remarquable, c’est que les deux auteurs masculins, Vincent Villeminot et Yves Grevet, ont écrit les romans du point de vue des filles tandis que les autrices ont écrit le regard des hommes.

Il y a donc Stéphane qui est plutôt la leader, rationnelle, empreinte de dureté face aux épreuves qu’elle a subies avant même la pandémie. Elle paraît froide, c’est une urbaine, une citadine.

Koridwen, elle, vient de la campagne. Elle est instinctive et ouverte au spirituel, voire au surnaturel.

Jules est terre à terre dans sa manière d’aborder sa survie au quotidien. S’il a froid, il doit trouver le chaud. Doit-il rester seul ou faire confiance. Il a des enjeux émotionnels. Il se réfugie dans la foi en ce message virtuel, qui raconte une autre histoire et donne de l’espoir, pour sortir du réel.

Yannis, lui, est celui qui est le plus confronté à la violence, qu’il veut fuir. Il est plutôt solitaire et a de grosses difficultés à surmonter le deuil. Il vit avec ses fantômes. Il sait être efficace, parce qu’il faut bien. Il est très émotionnel. Sensible.

J’aime ce dernier personnage, c’est sympa qu’un tel rôle soit porté par un gars qui a le profil du jeune de banlieue de 2e ou 3e génération, associé à la castagne. U4 lui donne une dimension poétique.

Il y a une différence de niveau social entre lui et Stéphane, qui ne se rend pas compte de ses avantages tandis que lui se sent indigne.

Et le cinquième, Khronos?

On ne peut rien dire. Mais même quand on aura lu le tome final, on ne pourra pas en dire grand-chose. Je peux dire qu’on n’est jamais sûr de ce qu’on a écrit , mais j’éprouve beaucoup de fierté et de satisfaction sur la manière dont nous avons conçu ce dernier album. Je ne pense pas qu’il décevra les attentes. C’est l’album de la complémentarité, s’il ne s’appuie pas sur les quatre histoires précédentes, Khronos n’a pas d’intérêt, aucune saveur.

Sortie prévue quand?

Le 6 mai, c’est proche! C’est un des rares cadeaux du Covid, les lecteurs ne devront pas attendre un an. Les quatre premiers volumes ont été retardés suite à l’embouteillage de ces derniers mois. Les lecteurs auront encore bien en tête les événements quand Khronos sortira. Ou ils les reliront.

Une fin différente des romans?

Oui et non. Je suis assez satisfait de voir que les premiers échos de lecteurs, ayant découvert nos albums après les romans, ne pointent pas de grandes différences… alors qu’il y en a d’énormes. Nous avons dû laisser tomber des pans entiers, comme nous avons dû déplacer des scènes. Par exemple, Stéphane ne rencontrait pas son père avant les trois autres. Mais si ce qui est resté en tête à la fin de la lecture des romans est dans la BD, c’est que nous avons réussi le plus important. C’est la même histoire mais avec une gestion des informations différentes. Alors, oui, le final sera différent mais sera fidèle à l’esprit de l’original… Peut-être plus encore (il sourit).

En tant que repreneurs, nous bénéficions d’un recul, d’un nouveau regard permettant une relecture. C’est peut-être pour ça que le lecteur est satisfait même si, comme toujours, il dit son trouble quant à l’apparence des protagonistes. Il ne les avait pas imaginés comme ça. Mais l’esprit est là, nous nous sommes efforcés d’être fidèles à ce que nous avons aimé, nous a touchés. Que nous avons essayé d’amplifier… quitte à faire des sacrifices.

Il y a quelques années, en 2006, vous aviez sorti Comme tout le monde, un film mais aussi une BD, toujours en compagnie de Denis Lapière. Vous auto-adaptant, alors?

Pas vraiment, il s’agissait de deux oeuvres différentes. Ce n’était ni la BD du film, ni le film de la BD. Des sortes de faux jumeaux qui se ressemblent fort, forcément, mais sont différents. La BD pourrait être vue comme une version longue.

© Lapière/Renders/Spiessert chez Dupuis

Ça faisait donc longtemps que nous ne vous avions plus vu, au cinéma ou en BD.

Je prends le temps d’écrire, de préparer des projets qui ne se sont pas faits, qui se feront peut-être. Il y a notamment une série dans l’univers d’Alter Ego qui, j’espère, se concrétisera bientôt.

Une saison 3?

Nous avons connu toutes sortes d’embûches. Je m’en voudrais de faire attendre le public de cette saga pour rien.

Et en audiovisuel?

Après mon second long-métrage, avec un nouveau projet de fiction, je me suis épuisé à essayer de convaincre le monde du cinéma. Je me suis rendu compte à quel point il était difficile d’être hors des cases. J’ai eu besoin de réel. J’ai donc réalisé un petit film, un vidéogramme qui est projeté au musée L., musée universitaire de Louvain-la-Neuve. Il s’intitule Unidiversité – Passions de chercheurs, j’y mets en parallèle les démarches de chercheur et d’artiste.

Je viens de mettre au jour de manière underground une série réflexive abordant ces questions, ces émotions qui surgissent de ce qu’on appelle effondrement ou basculement. Une recherche de sens, interrogeant ce qu’il nous faut changer dans notre rapport au monde et qui s’appelle Des arbres qui marchent. Il y a un site et une chaîne YouTube. Je l’ai réalisée hors-circuit, sans argent, sans producteur. La question n’est plus comment gagner sa vie mais comment ne pas la perdre. Faire autrement.

Vous êtes aussi professeur.

Oui, j’enseigne dans une école de cinéma la direction d’acteurs et l’analyse de films.

Alors, éclairez-nous, comment dirige-t-on des acteurs de BD?

C’est une grande question. Quand on est scénariste, la BD est l’endroit où on doit faire des concessions, parce que la mise en images dépend du dessinateur. On lui donne des indications mais on est parfois surpris: « ah, il a dessiné ça comme ça ». Parfois, on corrige le tir, mais parfois, on se dit que s’il l’a senti comme ça, c’est que c’est comme ça que ça devait aller. Plusieurs sensibilités sont à l’oeuvre.

© Lapière/Renders/Huelva/Crespo chez Dupuis

Puis, il y a les dialogues. Si vous écrivez une BD comme au cinéma, ça ne marche pas. De même que si on jouait les dialogues de BD, ce ne serait pas naturel. La BD, c’est plus littéraire. Moi, j’ai tendance à plus mettre les mots en bouche, à faire dans le « parler ». Puis, il faut un côté incisif, des punchlines. C’est agréable de condenser. Développer une BD n’a rien à voir avec un roman. Il y a un rythme à tenir, il ne faut pas abuser des grosses bulles quand on vise le grand public. Même s’il y a des exceptions, des BD extrêmement bavardes qui sont délicieuses. On en vient de toute façon toujours à élaguer. Il faut laisser parler la BD. Le texte parle d’un élément indisponible à l’image ou, justement, nourri des images supplémentaires.

Des coups de coeur récents ?

En BD, j’ai beaucoup réduit mes lectures. J’irais même jusqu’à dire que j’ai réduit ma consommation de fictions. Avant, j’allais tout le temps au cinéma, je lisais des dizaines de BD par semaine. Je m’intéresse plus à des réflexions sur le monde, des documentaires. Mais je continue d’avoir des coups de coeur. Je peux citer deux films d’étudiants qui sont passés dans l’école où j’enseigne : Une vie démente d’Ann Sirot et Raphaël Balboni et Un Monde de Laura Wandel. Dans le cinéma belge, ça faisait longtemps que j’attendais un coup de coeur venu d’ailleurs que des fidèles au poste comme les Dardenne ou Joachim Lafosse.

Puis, comme beaucoup, j’ai adoré Don’t look up. C’est bien tapé, particulier comme film de Noël. Ça dit quelque chose de notre monde et toutes ses contradictions. Ça participe à une prise de conscience en tant que citoyen. Notamment du paradoxe de notre société de divertissement. Bien sûr, les gens méritent du divertissement. Mais entre un temps de travail qui les bouffe et un temps de divertissement qui les vide, il faut arriver à s’échapper. Et, en tant que créateur, se demander si l’on participe à l’aveuglement collectif ou si on veut faire autre chose.

Aujourd’hui, je vis beaucoup dans le moment présent. Je veux voir ce que la vie m’amène et où je suis appelé. Je continue à avoir des plaisirs dans ce que je regarde ou je lis, mais je ne veux plus me faire aveugler. Alors, je ne sais pas si je dois me précipiter à toute vitesse pour créer. Je m’intéresse à beaucoup d’autre chose, à d’autres manières de créer du lien, avec un autre rapport au vivant, en appelant à l’intelligence collective. J’essaie d’être cohérent avec mes prises de conscience.

Merci beaucoup Pierre-Paul et bonne continuation, pleine de sens.

© Lapière/Renders/Huelva/Crespo chez Dupuis

Série : U4

Tome : Jules, Koridwen, Stéphane, Yannis

D’après les romans de Carole Trébor, Yves Grévet, Vincent Villeminot et Florence Hinckel

Scénario : Denis Lapière et Pierre-Paul Renders

Dessin : Adrian Huelva

Couleurs : Amparo Crespo

Genre : Anticipation, Drame, Horreur, Survival

Éditeur : Dupuis

Nbre de pages : 144

Prix : 14,50€

Date de sortie : le 07/01/2022

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