
Quelques années après ses premiers pas dans le monde de la BD et treize ans après son Zulu qui en avait fait un auteur de polars qui compte, Caryl Férey renoue avec l’Afrique du Sud et le Neuvième Art en compagnie de Corentin Rouge. Un récit d’enquête âpre et terreux, incendiaire, envahis de démons qu’on aurait tort de penser enterrés. Autres raisins de la colère.
Résumé de l’éditeur : En Afrique du Sud, une vingtaine d’années après l’Apartheid, les cicatrices laissées par l’ancien système peinent à se refermer. Le racisme n’est plus institutionalisé mais les inégalités toujours présentes et la population divisée entre les propriétaires blancs et les ouvriers noirs. Dans ce contexte, Sam est retrouvé mort sur les terres de la ferme des Pienaar, ses employeurs. Le lieutenant Shepperd – esprit léger, avisé autant que séducteur et tête brûlée – est chargé de saisir les enjeux qui auront mené au drame. L’enquête s’alourdit bientôt d’éléments disparates : conflits et secrets familiaux, recours à la sorcellerie, disparition d’un bambin dans le voisinage… Tandis que Shane Shepperd lutte tant bien que mal contre les silences et les mensonges de ses interlocuteurs, en toile de fond, le parlement est le théâtre d’oppositions rongeant la nation sud-africaine… La réforme agraire visant à redistribuer les terres usurpées du temps de l’apartheid provoque les débats et souligne les tensions des partis radicaux. Bientôt, les deux camps en appelleront à la violence.

Après un flashback (digne d’une scène les plus trash d’un Tarantino), c’est en hélicoptère que nous survolons cette région de la province du Cap, verdoyante, entourée de pics rocailleux et propice aux vignobles, paisibles en apparence peut-être car encore rougis de la violence innommable et gratuite qui sévissait à l’époque des boys et des travailleurs réduits à l’état d’esclave devant endurer moult coups de fouet en plus des peines infligées par le dur labeur. Alors qu’au coeur des plus hautes instances dirigeantes du pays, le monde d’hier, par une volonté de le maintenir ou de s’en venger, continue d’avoir voix au chapitre, excitant les populismes, les blancs qui seront toujours des étrangers mais ont le pognon et les terres, les noirs qui veulent reprendre, pas forcément gentiment, ce qu’on leur a pris. Puis les escrocs et les profiteurs, (anti)racistes.

Sacré panier de crabes se disputant le pouvoir. Mais les coups de poing, et pire, ne sont pas l’apanage des puissants et un meurtre sans témoin, au milieu des mouches et des grains gorgés de ce jus sucré qui fait le bonheur des papilles ici ou ailleurs, va mettre le feu aux poudres, réveiller les démons, faire couler sang et larme en espérant que le carnage s’arrête avant d’avoir enlevé définitivement trop de vies… et l’humanité de ceux qui resteront.


Dans ce drame choral entre les pères et les mères et les fils et filles, Shane Shepperd se retrouve sur cette terre brûlée devant la plus difficile enquête de sa carrière. Celle qui l’emmène de la campagne aux bidonvilles, où quelques sorciers pratiquent encore une magie atroce dont il pourrait bien être question aux racines de ce crime causé par un malade, mais aussi dans les appartements luxueux. Au fur et à mesure que les recherches aboutissent ou pas – il y a parfois des culs-de-sac -, que la situation échappe au lieutenant, bien secondé par Jessica Cole, une géante taiseuse mais qui se révèle être une partenaire de choc, de plus en plus de monde se retrouve mêlé, acteurs ou martyrs des forces maléfiques à l’oeuvre en ce pays, tandis qu’en coulisses les petites mains s’activent pour que leur leader profite de la situation.
Multipliant les protagonistes dans cette histoire aride, où la seule allumette à craquer pour faire tout flamber a été largement dépassée, et qui fait pourtant froid dans le dos, les auteurs réussissent non seulement à nous faire voyager mais à se servir d’une histoire choc mais divertissante, pour pénétrer le microcosme et la société sud-africains, en comprendre les enjeux, les rêves et les hantises. Les maladies contre lesquelles on n’a pas donné de remède à ce peuple, alors que l’Occident se soigne plutôt bien.

Si on pense au cinéma, à True Detective, sur le scénario redoutable de Caryl Férey, Corentin Rouge est monstrueux, habité pour jouer comme un diable des jeux de regard, des champs et des contrechamps, dans la grandeur comme le petit détail (un oeil qui pleure, une lame qui se déplie, un homme qui fait bien peu le poids face à un camion colossal). Les astres sont alignés pour faire de cette tragédie une épopée d’action sans temps mort mais également psychologique, trouvant les traumatismes dont on viendra à bout seulement après plusieurs générations. De facture impeccable, voilà une plongée infernale implacable.

Titre : Sangoma
Sous-titre : Les damnés de Cape Town
Récit complet
Scénario : Caryl Férey
Dessin et couleurs : Corentin Rouge
Genre : Drame, Polar
Éditeur : Glénat
Nbre de pages : 152
Prix : 25€
Date de sortie : le 03/11/2021
Extraits :