
Philippe Moine n’est pas le frère d’Eddy Mitchell (de son vrai nom Claude Moine). L’ancien architecte est plutôt devenu « Clone » Moine, tant de son crayon il est capable d’immortaliser les plus grandes vedettes dans un réalisme photogénique fou… ou de les caricaturer en exacerbant leurs particularités. Confrères architectes ou croqueurs, rugbymen (rêvant parfois de lui faire la tête au carré) stars de la musique (et encore plus du jazz) ou des écrans, francophones ou internationaux, peu de monde résiste à la férocité de ce dessinateur qui a l’oeil et est doué pour le ravalement de façade, pas forcément dans le sens où on l’entend! Comme le démontrent les deux volumes de ces Têtes de l’art et l’exposition-vente qui se tient actuellement (jusqu’au 2 janvier) à la Galerie Aarnor de Spy, en Belgique, où je l’ai rencontré. Mais aussi chez Visualis, à la maison carrée de Nay jusqu’au 24 décembre.

Bonjour Philippe, si je ne m’abuse, c’est votre première exposition-vente officielle, comment cela se fait-il?
Denis Javaux, le galeriste, m’a repéré sur Facebook. Il voulait m’accueillir dans sa galerie. Comme je commence à avoir un stock de tableau chez moi, c’était l’occasion. J’en vends bien quelques-uns lors de certaines expositions, mais je n’avais jamais été sollicité pour une expo-vente, en effet. Je n’y croyais pas mais j’ai reçu un très bon accueil. Et les ventes dépassent déjà mes espérances. Ce qui me rapportait de l’argent avant, mon métier, pourtant, c’était de créer des hôpitaux, des gares de péages.

Que trouve-t-on dans cette exposition ?
C’est un voyage dans différents univers, un mélange de portraits et de caricature. Souvent, j’utilise des toiles grand format pour les portraits, ce à quoi la caricature ne se prêt généralement pas. Là, vous voyez Gérard Depardieu. C’est un portrait! Ah, vous ne me croyez pas? Je pense qu’il a encore gonflé depuis cette incarnation. Au cas où on ne le reconnaîtrait pas, j’ai glissé ses trois drapeaux dans sa poche : France, Belgique, Russie. Puis, comme on dit de lui qu’il a un nez en fesses de femme, je les lui ai réellement dessinées, cuisses comprises. Jean-Marie Renault place bien des bites partout!

Là, il y a Bob Dylan, toujours tellement content d’être là. Ou pas là, comme lorsqu’il a reçu son Prix Nobel. Iggy Pop, je l’ai croqué lorsqu’il a reçu la médaille des arts et des lettres. Comme il passe le plus clair de son temps torse nu, j’ai directement épinglé la décoration sur sa peau! Changement de décor avec John Ford, avec en fond le paysage fétiche de ses films Monument Valley. Je voulais mettre son cigare en exergue, ce pourquoi j’ai donné à ses lunettes la même couleur. Godard, lui, je lui ai mis des lunettes aussi tristes que lui.


En réalité, je me base sur des photos. Pour une des dernières caricatures en date, Charline Vanhoenacker, votre compatriote qu’on entend beaucoup sur France Inter, j’ai pris trois photos pour me concentrer sur différents détails: le sourire, la chemise, les lunettes…
Combien de temps vous faut-il ?
C’est très variable, je ne travaille pas à temps complet et ce n’était pas mon boulot. Mon maître, ma référence, c’est Sebastian Krüger, chez qui je vais en stage. Je ne suis pas une machine comme lui peut l’être. Il ne se remet pas en question, comme je peux le faire, et va à une vitesse phénoménale. Il a quarante ans de métier, aussi, et le patron de Nike possède trois ou quatre de ses oeuvres, excusez du peu! Il y a aussi Jean-Michel Renault, un talent pur, doué de naissance. À 19 ans, il intégrait Pilote, et il ne fait pas mieux aujourd’hui qu’à l’époque. Dès le départ, il était excellent.

Moi, par exemple, pour le Jimi Hendrix, j’ai dû mettre une journée et demie. Mais une journée peut aller jusque minuit, voire 2h. Interrompu par des pauses repas. Pour Jimi, j’ai laissé certaines parties, comme sa main, à l’état d’esquisse. Keith Richards, je l’ai réalisé en quatre jours de stage chez Sebastian Krüger. J’ai beaucoup de repentirs.

Les stages de Sebastian Krüger rassemblent plein de monde : des petits jeunes de dix-huit ans comme des plus vieux. Je me souviens d’un septuagénaire qui avait suivi tous les stages de Krüger, y compris jusqu’en Amérique. J’y ai rencontré aussi un calligraphe californien.
Vous le disiez, vous êtes venu tard à cet art. Mais quelle en est l’origine?
Je me suis toujours intéressé au dessin, notamment par la lecture du magazine Pilote qui réunissait Druillet, Gir et les autres. Mais aussi les dessinateurs des Grandes Gueules: Jean Mulatier, Patrice Ricord et Jean-Claude Morchoisne. Ça me plaisait, ils étaient d’une précision diabolique.
Alors, à 45 balais, j’ai commencé à leur emboîter le pas. Un de mes copains avait une gueule à caricature, il fallait que je me le fasse ! De nombreux collègues architecte ont suivi, à tel point qu’il y eut une exposition, qui y est toujours, au Pavillon de l’architecture de Pau. Et ceux qui n’étaient pas dedans d’être vexés: tout le monde voulait en être.
J’ai continué avec des joueurs de rugby de la section paloise. À l’époque, ils étaient au bord de la finale. Chaque vendredi, dans les trois journaux locaux: Sud Ouest, La République et l’Éclair des Pyrénées. Un album est aussi sorti, La section en tête, qui m’a entraîné dans mes premiers festivals de dessin de presse et de caricature. J’ai pu côtoyer Tignous, Cabu, Plantu. La première table, je m’y suis retrouvé à côté notamment de Ricord et Wolinski. Le soir, à la salle de réception, ma femme a pu danser un rock avec Wolinski !

Qu’est-ce qui a fait votre amour de la caricature?
Je déteste les gens parfaits. Dès que je repère un défaut, j’ai le besoin de le faire ressortir. Nous avons tous au moins une particularité. C’en fut même gênant, lors des réunions d’architectes, si j’avais un bon client en face de moi, je n’arrivais plus à écouter ou me concentrer, je devais le dessiner. M’exorciser. L’une de ces cibles a même envoyé son portrait à sa mère, de l’autre côté de l’Atlantique. Ce qui m’a valu ma première exposition à New York, dans l’appartement de cette dame.
En fait, chaque visage est un paysage face auquel chaque caricaturiste mettre l’accent sur quelque chose de différent. Mais, si c’est bien exécuté, la personne se reconnaîtra!

En commençant par les yeux?
C’est vrai que sur les réseaux sociaux, j’ai fait l’exercice de ne poster que les yeux des stars que j’avais dessinées, pour voir si les gens les identifiaient. Effectivement, ça fonctionnait !
La mise en place est primordiale et je commence par les yeux. Il faut bien les cerner, capter leur intensité, leur caractéristique. Pas comme les caricaturistes de rue qui font toujours les mêmes yeux puis construisent le reste du visage de leur modèle. Mais si les yeux ne sont pas bons, les gens ne se reconnaîtront pas.

Le premier beau compliment qu’on m’ait fait concernait mes rugbymen. J’étais présent à l’inauguration d’un Ehpad quand un Monsieur est venu me trouver. « C’est vous qui dessinez les portraits de rugbymen dans La République? Vous avez su montrer l’âme de mon fils, sa gentillesse. » C’est ce qui passait par le regard car le gaillard était un pilier, balèze!
Il y a quinze jours, un gars m’a laissé un mot sur Facebook. Il me disait aller souvent, à l’époque, assister, avec son papa, aux matchs de la section paloise au stade du Hameau. Il m’a demandé s’il me restait des albums. J’ai vérifié, il m’en restait cinq. Il les a tous pris pour les offrir à ses frangins, à sa famille. Ça lui rappelait tout un tas de souvenirs. Et moi, plus de vingt ans plus tard, j’épuisais définitivement ce tirage!
Il y eut aussi Gueules de croqueurs, aujourd’hui épuisé.
En 2015, quand j’ai décidé de sortir ce rassemblement de 150 caricatures de dessinateurs de presse et caricaturistes belges ou français, comme Geluck, Boligan, Rafagé. Lui, il posait quand je voulais le prendre en photo. Ça ne fonctionnait pas. Alors, c’est lorsque nous sommes passés à table que j’ai pris la photo, au jugé, à l’aveugle. Sans savoir que je faisais la mise au point sur le faux plafond. Mon modèle était flou mais l’angle me plaisait.

On m’avait dit que je ne vendrais pas cet album, réservé aux initiés. C’était sans compter que certains auteurs, peut-être parmi les moins reconnus, en ont acheté 30, 40, voire 50 exemplaires, pour les revendre sur leur stand de dédicaces et montrer qu’ils en faisaient partie! Il faut dire qu’outre le portrait de ma main, j’intégrais une petite biographie, l’endroit où les retrouver sur internet et une sélection de deux-trois dessins. C’était une manière de valoriser le travail de mes confrères, de montrer la diversité.
À cette fin, par l’intermédiaire de mon ami Tignous, j’avais demandé à rencontrer la rédaction de Charlie. Charb m’avait répondu que ça n’intéresserait personne. J’ai quand même pu faire Cabu et Wolinski. Tignous aussi. Comme il était toujours en retard, ce 7 janvier-là, alors que je bouclais l’album, je lui ai envoyé un message pour qu’il n’oublie pas de m’envoyer ces dessins. C’est un copain qui m’a averti que quelque chose de grave s’était passé chez Charlie, que Tignous risquait de ne pas répondre avant quelques heures. On ne savait pas, au début, qui faisait partie des victimes.

Toujours est-il qu’après les attentats de Charlie, je tombais à court de bouquin lors de mes dédicaces. Bien sûr, je ne voulais pas surfer sur la vague, mais les bouquins existaient.
Aujourd’hui, je prépare la suite avec cent nouveaux dessinateurs, plus internationaux: lettons, turcs, syriens, mexicains… Les salons permettent de créer un réseau, des échanges, y compris de dessin. Je me souviens notamment d’un artiste de Disney qui m’a représenté en cow-boy avec des crayons à la place des pistolets. J’en ai des dizaines et des dizaines. Nous nous dessinons les uns les autres, ça passe aussi le temps lors des salons. Je n’y ressens pas de frontière. Il y a toujours des clans, des groupes, mais je me vois accepté par les très jeunes comme les grands, ceux qui travaillent au Monde, au Canard enchaîné ou à Marianne. C’est un régal de discuter avec toutes ces personnes.


Et vous, vous vous êtes déjà caricaturé?
Oui, je me suis autocaricaturé. Ma femme avait pris une photo de moi de profil. Je me suis vu différemment. J’avais plein de plis derrière les oreilles, j’ai pris conscience de mon nez.

Côté bar, on croise le regard de Leonardo DiCaprio.
Oui, c’est le coin des piliers de comptoir! DiCaprio, je lui ai fait un regard qui vous fixe. C’est un peu La Joconde de cette exposition. À côté, vous trouvez Danny Trejo, l’acteur des Machete. Il a toujours des couteaux partout sur lui. Moi, dans sa poche, j’ai mis une fourchette, un couteau et une cuiller dans laquelle, si vous regardez bien, vous verrez mon reflet.


Denis, le galeriste, prend la parole: Face à ces représentations d’acteurs, ce réalisme photographique, Michel Weyland, le dessinateur d’Aria, t’a d’ailleurs beaucoup interrogé!
Il était comme un gamin ! J’ai donné un conseil à gars qui a 45 ans de carrière ! Oui, il m’a questionné sur la manière dont je réussissais les cheveux, les fondus.
En fait, ce qui m’intéresse d’abord, c’est la lumière. Soit je fais un personnage de l’actualité, comme Anthony Hopkins qui a reçu son deuxième Oscar ou Bacri juste après son décès, ou j’exécute des commandes.

Quelques politiciens aussi, mais pas de trop.
Oui, on m’avait commandé Kim Jong-un, Trump, Poutine, Merkel, Hollande, Obama. Pour l’élection à la mairie de Paris, on m’avait aussi demandé d’immortaliser les candidats comme Tibéri et consorts. En réalité, les politiciens ne m’intéressent pas parce qu’ils ne resteront pas dans les mémoires comme une Monroe ou un Mercury.

En général, je ne passe pas de temps sur les gens que je n’aime pas. J’ai fait Trump parce qu’on me l’a demandé. Zemmour? C’est vrai que je vois plein de caricatures passer. Mais il ne présente aucun intérêt pour moi.
Avec certains portraits qui ressemblent à des photos !
Oui, je cherche souvent à être photographique, en utilisant l’out of focus: un plan fixe et un plan flou.

Comment faites-vous?
Je prends une brosse à bord arrondi que j’essuie très souvent, de manière à atteindre un dégradé sans que l’acrylique ne laisse trop de traces. Il faut une arête franche. J’ai fait pareil pour ma Scarlett Johansson, je la voulais toute lisse, sans ride, dans l’esprit de Marilyn. J’aime jouer sur l’évolution, du foncé au clair ou du clair vers le foncé. Mais, je n’atteindrai jamais la haute-fidélité d’une photographie. Mais, c’est une oeuvre garantie sans ordinateur, sans aéro. J’ai marqué ses yeux pour que vous ayez toujours l’impression qu’elle regarde à côté de vous.

En général, je préfère des gens qui ont de la bouteille, avec du caractère, que lisse.
Mais, la photo, c’est aussi la base de votre travail, du coup?
J’ai de la chance, par mon travail, d’être reconnu, y compris par certains parmi les plus grands. C’est valorisant… mais je suis incapable de croquer quelqu’un en direct, j’ai la trouille ! Moi mon numéro, c’est de prendre des photos, de réfléchir à ce que je vais dessiner à la maison puis de revenir déplier mon dessin une fois fini devant la personne. Je suis quelque part un usurpateur.


À Castelnaudary, il y a un fameux festival de la caricature et du dessin de presse. Le soir, on se retrouve à 300 dans une salle. Foie gras en entrée, cassoulet en plat et… cassoulet en dessert, enfin un trompe-l’oeil avec nougatine, glace, etc. Autant dire qu’à la fin, on n’en peut plus. Nous sommes aussi intronisés par la grande confrérie du cassoulet. Pendant ce temps, des dessins en direct sont projetés, c’est génial, on voit la réaction des croqués. Plein d’auteurs excellent dans cette pratique, moi pas. Il faut le temps que l’information monte au cerveau. Moi, j’aime les gueules. Certains me disent après dessin qu’ils se trouvent moches. Je ne peux pas faire de miracle, je dessine ce que je vois (rire).

Dans l’un des premiers festivals auquel j’ai participé, le président m’avait demandé de dessiner en direct. Je n’en ai pas dormi de la nuit. Bon, je suis plus serein aujourd’hui. Et quand les gens se portent volontaires, ça va! Récemment, je suis allé dans une école, pour montrer à des enfants ce qu’était une caricature. C’était intense, ils étaient une soixantaine. Je réalisais 5 dessins tous les quarts d’heure, un toutes les trois minutes. Sans esquisse. Ce n’était pas facile. Mais les gosses étaient plutôt contents. L’un d’eux m’a dit qu’il allait afficher sa représentation dans sa chambre.

Votre premier dessin de star, lequel était-ce ?
À l’acrylique, en tout cas, je pense que c’était Einstein, en 1999. En noir et blanc. Le deuxième, c’était Joseph Kessel, avec un lion sur l’épaule. C’est en autodidacte que je me suis formé.
(Nous continuons la visite) Pour le grand Chet Baker, je n’ai jamais pu déterminer la couleur de ses yeux alors j’ai deviné et je les lui ai faits bleus. Avec des ombres rouges pour renforcer ce regard magnétique. À côté, on voit Bill Murray sur un fond uni. J’ai opté pour un léger dégradé pour faire ressortir ses cheveux blancs et son costume. Il fait la gueule, il est lunaire. Oh, ça lui arrive de rigoler, plus que Bob Dylan, mais je voulais le choper dans son attitude habituelle.

Mon premier tableau, ce fut Keith Richards. Avec ses deux mètres de haut, je ne pouvais pas peindre ses cheveux. Alors, j’ai rusé. J’ai mis le tableau à l’horizontal et me suis retrouvé… à dessiner les cheveux au mauvais endroit. J’ai dû tout effacer et recommencer.
Ah oui, quand même, c’est qu’il vous faut de la place !
Le problème, c’est à la fois l’espace de création et le transport de ces toiles d’1m20/1m60. Mais j’avais construit un studio pour ma belle-mère. Alors, j’en faisais mon atelier quand elle n’était pas là !
J’ai quand même l’impression que vous tâchez de ne pas vous répéter dans les portraits que vous faites.
En général, quand je prends un acteur, c’est du one-shot. Mais il y a eu des exceptions. Keith Richards, j’en ai réalisé un chez moi et un autre lors d’un stage chez Sebastian Krüger sur le thème des Rolling Stones. C’est pour ça qu’il porte un pin’s à tête de mort, c’est celui des Fans of Krüger! Quand j’ai eu fini l’oeuvre, le maître est parti chercher sa femme pour qu’elle voie mon Keith. Elle m’a alors dit: « on dirait tellement qu’il est là avec nous. »

Parfois, je traite les stars dans les deux styles : portrait et caricature. Comme Freddie Mercury ou Marilyn Monroe que j’avais affublée, dans sa caricature, de boucle d’oreilles à l’image de Kennedy. J’avais ensuite fait un portrait la montrant à la fin de sa vie.


J’ai fait deux De Niro aussi, à deux époques et avec des techniques différentes. Pour le « Taxi Driver », j’ai utilisé un papier kraft marouflé plus grand que le tableau que j’imaginais. Comme je voulais représenter cette scène dans laquelle le sang gicle, je voulais faire pareil avec mes couleurs, qu’elles dégoulinent. Sans en mettre partout sur les murs. Puis, j’ai redécoupé la partie qui m’intéressait.

J’imagine que tout ça nourrit des rencontres, des réactions, des échanges.
Dans tous les sens du terme, je réalise des échanges avec certains peintres. Puis, je me souviens d’une personne qui avait souhaité que je réalise sa carte de visite avec une caricature de lui, en couleurs. Comme, j’avais repéré sur sa table des bouquins de tauromachies, je l’ai mis en situation: face à la bestiole, le cul cambré. Il était tellement ému qu’il voulait m’offrir trois tableaux. C’était trop pour moi.
Pour le reste, oui, les réactions sont très variées. Lors du dernier festival, alors que je croquais une dame, quelqu’un derrière – son mari peut-être? – a dit: « Oh la la, on dirait ta mère. » Puis, une autre femme voyant le résultat de son portrait : « Ah, vous m’avez fait très masculine, on dirait mon père. » Hé oui, on retrouve des traits de famille aussi. Comme entre ce jeune papa et ses deux enfants. L’un d’eux lui ressemblait tellement avec ce grand espace entre le nez et la bouche et ces narines fort ouvertes.

Il y a aussi tous ces gens qui, au premier abord, pense que je les ai loupés… avant que leur compagne arrive et dise : « Mon dieu que t’es ressemblant! »
Mais je me soigne, j’essaie de ne pas trop regarder les gens (rires!)
Lors de ma série sur mes collègues architectes, j’ai voulu aussi immortaliser mon patron. Un gueulard. Je l’ai pris en photo, naturellement il a souri. Mais ça ne marchait pas. Puis, quelqu’un m’a donné sa carte d’identité – on sourit rarement sur ce genre de photo – et je l’ai retrouvé, authentique. Lui, après, a retourné l’histoire : « Il m’avait fait souriant mais ce n’était pas moi, alors je lui ai dit de… »

Avec des problèmes parfois ?
Un jour, j’ai été engagé pour portraiturer le nouveau conseil municipal de la ville de Bram, dans ma région. J’avais eu les photos des gens. Je m’étais appliqué, sur des formats A5, à l’aquarelle. Problème, certaines personnes du lot n’avaient rien demandé et ne se seraient pas pliées à l’exercice si ça n’avait tenu qu’à eux. Bon, j’ai eu des bons retours quand même : comme cette femme qui est venue me voir et m’a dit : « cette fois, faites-moi avec mon fils! »

Il y a aussi eu ce joueur de rugby qui voulait vraiment me casser la gueule, mais j’étais plutôt une victime collatérale. Il avait une structure physique pyramidale. Ce qui avait bien fait marrer ses coéquipiers qui avaient pris un malin plaisir à découper la caricature et à la coller sur le bar de tous les endroits où ils allaient pour se payer sa tête. Bon, au final, il m’a juste broyé la main quand j’ai serré la sienne.

Au cours de ma carrière, j’ai tout de même eu deux nez et deux dentiers refaits et quelques changements de look parmi mes modèles. Un cou retendu aussi.
Mais, c’est sûr que mon type de dessin exacerbe les particularités physiques, prises pour des défauts par les gens, alors que ça n’en sont pas. Une fois, un homme m’a dit que je m’étais trompé. Que j’avais placé son grain de beauté du mauvais côté. Mais je lui ai dit qu’il ne se trouvait pas en face d’un miroir mais d’un dessin.
Comment choisissez-vous ce que vous déclinez en portrait ou en caricature?
Ça dépend de ce qui me démange! Certaines célébrités ne se prêtent pas à l’un ou à l’autre. Gérard Darmon avec ses grands yeux, c’était typiquement une caricature. Depardieu aussi. Cela dit, parfois j’ai des surprises : Michel Houellebecq a outrepassé sa caricature, il est devenu celle-ci. J’ai donc dû le refaire.

Avec aussi des retours de certaines vedettes?
Yolande Moreau, elle, était très contente de mon travail. Elle m’a remercié d’avoir passé autant de temps à la représenter. Nous nous sommes échangés nos coordonnées Instagram et elle m’envoyait des messages. « Bonjour, vous avez bien dormi? » Puis venait le moment où elle me disait qu’elle était en tournage et qu’elle me reprendrait tout à l’heure.

Jean Dujardin a découvert son dessin grâce à une connaissance en commun. Il a apprécié et l’a directement posté sur son compte. Là où je faisais 200 likes sur la mienne, il en a fait 16 000. Nous nous sommes mis en contact et il m’a renvoyé mon dessin dédicacé.

La majorité des rencontres que j’ai faites se sont passées dans le monde du jazz, et du festival Jazz in Marciac. Avec une dizaine de dessinateurs, j’avais été sollicité pour réaliser une dizaine de dessins. Ce qui nous permettait d’accéder aux concerts dans les dix premières places, juste devant la scène. J’ai pu voir Gregory Porter, Avishai Cohen, Erik Truffaz, Roberto Fonseca. Et un technicien que je connaissais m’a permis de me rapprocher de certains musiciens.
Il y eut des rendez-vous manqués comme celui avec l’immense pianiste américaine Carla Bley. Elle n’a pas su venir. Mais comme je l’avais dessinée, j’ai demandé ses coordonnées numériques et lui ai envoyé, comme une bouteille à la mer. Qu’elle ne fut pas ma surprise de recevoir un mail de son mari me disant qu’elle avait beaucoup apprécié mon dessin et qu’elle souhaitait en avoir une copie pour décorer un endroit où elle passait tous les jours. Plus tard, un homme est venu me trouver. « Où avez-vous trouvé cette photo sur laquelle vous vous êtes basé? C’est moi qui l’ai prise en 1984. » Du coup, il a aussi mon dessin chez lui, la boucle est bouclée.

Il y eut aussi des rencontres furtives. Grâce à mon copain, j’ai pu entrer dans la loge d’Ahmad Jamal et lui montrer ce qu’il m’avait inspiré. Hé bien, ce monsieur de 87 ans m’a engueulé parce qu’au bas de la feuille figurait mon nom… et pas le sien! (rires)
En 2019, j’ai assisté à cette soirée de concert de Beth Hart, avec en première partie Kimberose. Je les avais croquées toutes les deux. Mon copain m’avait amené près du manager de Beth, un blond, 2m50 de hauteur. Il m’a répondu « Not, definitely not! » Je ne pouvais pas montrer mon dessin. Tant pis. Plus tard, Kimberose sort de scène et, elle, est très contente de voir mon dessin dont elle me dédicace le verso. Là, arrive Beth qui, elle aussi, sous l’oeil noir du manager, veut voir ce que j’ai fait d’elle. Elle me dit « amazing » et me fait une dédicace sur toute la largeur de ma feuille A3! Comme quoi.


J’ai ensuite rencontré François Hollande. Je lui ai demandé s’il avait reçu mon dessin, sa secrétaire m’avait répondu mais lui jamais personnellement. Et quand je lui ai dit que c’était le seul homme d’état dont j’avais vendu une caricature, c’est Julie Gayet, le regard qui s’éclaire, qui m’a interrogé : « C’est une femme? »
Pas de star vous ayant acheté un tableau…
Non, mais même à Krüger, Richards n’a jamais acheté d’oeuvre.
… ou vous ayant causé des ennuis?
Toujours dans le monde des jazzmen, il y a Christian Scott, un excellent trompettiste afro-américain au look très rappeur, bling-bling, avec toute la panoplie d’objets en or. Lors des balances, je parviens à lui montrer mon dessin, nous faisons une photo. Il l’observe et me le rend, sans vouloir le dédicacer. Je me demande ce qui a cloché. Le pianiste m’explique alors que je l’ai représenté avec de grosses lèvres. Ce qui est vu comme raciste aux États-Unis. Christian a été choqué, alors qu’il a bien deux gros steaks en guise de lèvres et il n’y a aucun mal à ça, ni sous-entendu.
Là, place à Clint Eastwood.
Sa caricature est dans un musée près de Zagreb. Pour sa version réaliste, je rêvais de réussir un dessin à contre-jour, de traduire les zones foncées, les vêtements moutonneux.

Y’a-t-il des gens qui vous résistent?
Là, on m’a demandé de faire François Damiens, c’est compliqué! À part ses dents écartées, c’est le genre de bonhomme qui change tout le temps de gueule, protéiforme. Banal aussi.
Mais, je ne suis pas le seul. À Charlie, il n’arrivait vraiment pas à dessiner Pierre Arditi et Ségolène Royal. Cabu s’y collait, il était très fort. Une fois je l’ai dessiné en train de dessiner son personnage fétiche, le Beauf. Nous y avions ajouté un phylactère: « Vous pourriez agrandir le bas? » La quéquette, évidemment.

Au fond, votre métier d’architecte vous aide-t-il dans le domaine?
Je pars de la même base. Pour un projet immobilier, je faisais une esquisse, suivait un avant-projet sommaire (APS) puis détaillé et, enfin, l’exécution. Si l’esquisse n’est pas bonne, rien n’ira. Si vous faites une merde en architecture, vous pouvez mettre un robinet en or ou ce que vous voulez, ça restera une merde. Bref, quand le projet est réalisé, il faut faire gaffe aux détails, aux raccords. Tellement de gens ont eu des problèmes par manque de vigilance. Alors, oui, je continue à veiller sur les détails, ce sont mes travers d’architecte.
Lors de ma dernière exposition, une dame m’a dit ces jolies paroles : « Vous êtes dans la continuité de votre métier d’architecte, vous travaillez avec et pour l’humain. »
Jamais eu de projet BD ?
Non, je ne sais pas faire de narration, ça ne m’intéresse pas. Je n’ai pas l’humour pour. Moi, je fais dans la copie, en réalité, je ne sais pas dessiner.
Alors, quelle star vous demande-t-on le plus souvent?
Je ne saurais pas vous réponde, parce qu’on ne me demande jamais des vedettes, en fait. Les gens s’adressent à moi pour que je dessine leur propre caricature. Une fois, on m’a bien demandé le leader d’un groupe mais c’est tout. C’est comme ça que des gens se retrouvent avec un cadeau pourri: un album avec leur caricature… alors qu’ils n’apprécient pas vraiment cette vision des choses!

Y’a-t-il des tableaux que vous ne pouvez pas vendre?
Oui, ma fille et ma femme m’en ont réservé. Interdiction de les vendre. Le portrait du trompettiste Wynton Marsalis, par exemple.

Et le premier vendu?
La caricature de Clint Eastwood. En fait, elle fut primée au Salon international de la caricature de Zemun, en Croatie. Le premier prix. Qui me donnait l’occasion d’entrer au Muzej Karikature de Zagreb.

Vous peignez parfois autre chose que des visages?
Ah oui, quand j’ai marre des gens, je me mets aux paysages, à l’aquarelle.


Merci beaucoup Philippe d’être passé par Spy. Votre exposition-vente est à voir jusqu’au 2 janvier à la Galerie Aarnor (1, rue de la Sauvenière 5190 Spy). Le vendredi de 15h à 18h, le samedi de 11h à 18h et le dimanche de 11h à 13h. Infos : +32 473 54 70 64 ou info@galerie-aarnor.be. Les oeuvres exposées sont visibles sur www.galerie-aarnor.be/moine. Jusqu’au 24 décembre, dans une tout autre région, Philippe Moine expose la saison 2 de ses portraits et caricatures chez Visualis à la Maison carrée de Nay (13 Pl. de la République, 64800 Nay en France).
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Titre : Têtes de l’art
Artbook
Tomes : 1 – Musique et 2 – Cinéma
Auteur : Philippe Moine
Nbre de pages : 72
Prix : 20€
Commande : Philippe Moine, 06 87 70 42 00