D’une souris (Mickey) à une chauve-souris (Batman) en passant par un vengeur au long nez: Thierry Martin a aligné les planètes sur 2021

Mickey et les mille Pat © Cornette/Martin chez Glénat

Dans la forêt enneigée, ou pas, dans le désert ou sur Gotham, voire Paris, Thierry Martin aime courir plusieurs lièvres, « Renart », souris et chauve-souris. En 2021, le dessinateur lorrain a signé quatre albums, et non des moindres: une nouvelle pulp et noire dont il a illustré le texte, une histoire courte de Batman au Louvre en excellente compagnie, une histoire médiévale et magique des Mickey’s et, enfin, un western muet plein de surprises, de suspense et mené à couteaux tirés mais en toute spontanéité puisqu’improvisé. Des univers bien trempés, bien encrés, qui valaient bien un long entretien avec ce conteur généreux et qui a fait se chamailler les plus grands (les plus petits aussi) héros du Neuvième Art.

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Dernier Souffle © Thierry Martin chez Soleil

Bonjour Thierry. Batman, Mickey et votre bébé, Dernier souffle, il y a des années sanitaires peu convaincantes qui se révèlent être artistiquement excellentes, non?

C’est vrai qu’on peut dire que les planètes étaient alignées. Ce fut une année bien chargée, riche en émotions et aussi en rencontres. Une réelle éclaircie dans une période encore mouvementée par la pandémie.

Batman, Mickey, c’est le scalp de deux sacrés héros populaires que vous ajoutez à votre collection.

Ce fut un concours de circonstance. Lors d’un festival en Guyane, il y a quelques années, j’ai rencontré et fait connaissance avec Jean-Luc Cornette. Et comme il se trouvait que Nicolas Keramidas était aussi des nôtres, nous avons été attentifs à ce qu’il nous racontait de ses albums Mickey et des coulisses. Sans réelle envie. Je ne me sentais pas légitime de succéder aux pointures qui s’étaient prêtées à l’exercice à l’époque. Sauf que, quelques mois plus tard, un autre auteur m’a dit que j’avais le potentiel pour me lancer. Je savais que si je le décidais effectivement, je voudrais réaliser un Mickey moyenâgeux. Ce que j’ignorais, c’est que la veille du festival guyanais, Jean-Luc avait logé chez l’éditeur de cette collection chez Glénat et que celui-ci lui avait fait part de son envie de le voir faire une histoire de Mickey.

Mickey et les mille Pat – Études © Thierry Martin

Mais, entre ce moment et la sortie de l’album, il s’est passé quatre ou cinq ans. Il y a eu des discussions, des validations. La BD est de toute façon un métier de patience. Mais j’avoue aussi que j’aurais pu aller plus vite. J’aime patiner sur d’autres choses, en fonction de mes humeurs, de mes envies. Puis, c’était un one-shot, il n’y avait pas d’attente, là où je peux passer en mode machine quand je travaille sur un cycle, une série.

Mickey et les mille Pat © Cornette/Martin

Batman, c’est venu d’Urban Comics, pendant que je travaillais sur le Mickey. J’avais déjà eu un projet avec eux autour du Spirit, mais qui n’avait pu se faire, faute de droits. Alors, l’éditeur m’avait demandé quel autre personnage j’aurais envie de reprendre. Forcément, Batman ! Je réfléchissais à une histoire quand, à cinq ou six mois de la fin du Mickey, en pleine pandémie, Urban est revenu avec ce projet: Batman – The World, anthologie permettant à différents auteurs des pays visités de réaliser une histoire courte autour de l’homme-chauve-souris.

J’avais dix planches à faire… dans les deux mois. Le scénario de Mathieu Gabella me plaisait, dans l’esprit de Belphégor… puis je ne pouvais pas dire non à Batman ! Je suis passé de Mickey à Batman du jour au lendemain, en prenant deux mois de retard de plus sur le premier, tout en étant dans une période de confinement où j’étais moins sollicité. Certains auteurs ont eu du mal à travailler, moi ce fut tout l’inverse. Dans l’énergie graphique, Dernier Souffle, l’autre projet quotidien commencé en attendant les validations des crayonnés de Mickey, m’a beaucoup aidé.

Dernier Souffle © Thierry Martin chez Soleil

En tant que lecteur, on a l’impression que changer de style ne vous pose aucun problème.

Par mon passé dans l’animation, au story-board, j’ai souvent été confronté à ça. Je devais m’adapter aux projets qui me passaient entre les mains, mais je pense que ma patte était toujours reconnaissable derrière. Le style en tant que tel m’intéresse moins, il appuie le sujet et la mise en scène, que la narration en elle-même. Le style doit la rendre plus claire. Mais, oui, le dessin, c’est du boulot, on s’adapte. Dans le cas de Batman, je regrette de ne pas avoir eu plus de temps pour l’avoir en main. Dans les faits, de nombreux dessinateurs pourraient s’y attaquer!

Batman/The World – Crayonné © Mathieu Gabella/Thierry Martin
Commission © Thierry Martin

Avec tous ces styles différents, quand vient le moment d’adapter un personnage culte comme Mickey ou Batman, il y a beaucoup de recherches pour les incarner ?

Mickey est venu vite et c’est d’ailleurs ce qui m’a mis la puce à l’oreille : je pouvais peut-être faire quelque chose de ce héros finalement. Puis, il y avait cet univers médiéval, que j’avais déjà travaillé sur Le roman de Renart. J’avais changé d’outils, passant du pinceau à la plume, mais la base graphique était déjà solide.

Le Roman de Renart © Mathis/Martin chez Delcourt
Le Roman de Renart © Mathis/Martin chez Delcourt

En ce qui concerne Batman, l’inspiration venait plutôt du travail réalisé par Frank Miller et David Mazzucchelli que j’adore. Mais, encore une fois, Dernier souffle m’a permis de sortir complètement de ma zone de confort, de tester d’autres choses, qui ont transpiré sur les deux autres projets. Les trois albums sont liés.

Batman/The World – recherche de couverture © Thierry Martin

La couleur est très importante et différente dans ces trois opus !

Ah oui, il y avait des codes précis que je voulais respecter. Pour Mickey, je voulais un univers très coloré, en référence aux tableaux médiévaux qu’on peut retrouver, fort en couleurs et riches. Il n’était pas question pour moi de passer au monochrome si j’explorais un univers si joyeux. J’ai fait pas mal d’essais, Renart était déjà un test au fond, pour arriver à un univers coloré enrichi.

Mickey et les mille Pat © Cornette/Martin

Avec Batman, j’étais dans l’univers du comics, je voulais une ambiance noire, travaillée. Me replonger dans l’esprit de ce que j’avais lu adolescent, sans avoir le temps d’expérimenter. Pour moi, dans ce genre d’album, la couleur doit appuyer l’information. Dernier Souffle est donc paru une première fois aux Éditions Black & White, en noir et blanc. Je trouvais que l’univers pouvait encore être plus présent en y ajoutant une seule couleur. Il me fallait trouver le bon ton, celui qui faisait au mieux passer ce que je voulais. La bichromie, ça s’apprend avec le temps.

Dernier Souffle © Thierry Martin
Dernier Souffle © Thierry Martin

Quant au Mickey, vos enfants, Violette et Théo, la vingtaine, vous ont aidé sur les couleurs.

Oui, ils ont renforcé mes mains pour remplir les personnages, Mickey, Minnie. Ils plaçaient les masses que je reprenais ensuite. Ils m’avaient déjà aidé de temps en temps par le passé. C’était un coup de main génial qui m’a permis de gagner du temps. Sans eux, je plancherais peut-être encore sur Mickey (rires). Cela dit, ils ne sont pas dans la BD, plutôt dans l’audiovisuel.

Revenons-y justement, que faisiez-vous dans l’animation ?

© Thierry Martin

Je faisais du story-board. Comme j’étais dans l’Est, que je ne voulais pas sacrifier ma vie de famille, peut-être de gros projets m’ont-ils échappé mais j’ai pu travailler sur Kaena, la prophétie, un projet en 3D qui m’a obligé à procéder différemment, mais aussi Le magasin des suicides de Patrice Leconte, une très chouette rencontre. J’ai aussi storyboardé pour la télé, sur des séries animées comme Le Marsupilami, Inspecteur Gadget et beaucoup d’autres.

Storyboard pour Witch © Thierry Martin
Storyboard pour Le Marsupilami © Thierry Martin
Storyboard pour Kaena la prophétie © Thierry Martin
Storyboard pour Nanook © Thierry Martin
Storyboard pour Le magasin des suicides © Thierry Martin

Cette expérience m’a aussi permis de tester l’animation au Luxembourg, c’était instructif de voir tous ces corps de métier à l’oeuvre. Mais j’avais toujours comme objectif, en passant par cette étape, de mieux faire de la BD, d’enrichir mon approche, du mouvement notamment mais également de la narration, de la mise en scène. La base du storyboard. Ce qui explique que je suis finalement arrivé tard à la BD.

Je crois que ce bagage m’a servi au moment de dessiner Dernier Souffle, que je voulais muet et qui devait donc être expressif par ses ambiances, ses cadrages.

Mais il est temps d’en parler ! Dernier Souffle est donc né dans un moment de latence, d’attente, sur le projet Mickey.

Je venais de m’inscrire sur Instagram, je me demandais à quoi pouvait me servir ce nouveau réseau en plus des autres. J’y ai vu des collègues poster un dessin par jour. J’avais envie de m’y essayer. Alors, entre le crayonné et l’encrage de Mickey, en attendant les validations, je me suis lancé. Je me suis dit: et si je partais à l’aventure, à la découverte, dans un récit que j’improviserais. Mais il était hors de question, à partir du moment où je publiais le premier post, que je n’aille pas au bout. Je devais me discipliner.

Dernier Souffle © Thierry Martin chez Soleil

C’est pourquoi j’ai été plus loin dans les contraintes. Je devais publier toujours à la même heure, entre 8h55 et 9h05, dans l’idée des feuilletons que je regardais enfant et dont j’attendais impatiemment l’heure, je voulais donner un rendez-vous à mes followers, mais aussi de manière à ne pas laisser la possibilité de reporter à plus tard le dessin, pour finalement le remettre au lendemain et ne jamais le faire. Il fallait aussi que cette histoire soit muette. Instagram, c’était international, je ne voulais pas la réaliser en anglais ou en français, m’embarrasser d’une traduction. Une histoire sans texte s’imposait. Puis, quitte à m’éclater, autant aller dans le western, un genre que j’adore et dans lequel je n’avais encore jamais mis les pieds. Le but était de découvrir tous ensemble où cet univers enneigé allait nous mener.

Dernier Souffle – Rough © Thierry Martin
Dernier Souffle – Rough © Thierry Martin

Un dessin par jour, c’est déjà une sacrée condition.

Ça oblige à réfléchir au rythme, à des rebondissements. Le héros ne peut pas avancer pendant huit jours dans la forêt, sans que rien ne se passe. Il fallait amener des surprises. Ce terrain m’était totalement étranger au début, c’était le but, mais il m’est progressivement devenu familier.

Raconter en muet, ça oblige à en faire plus au niveau du dessin?

Je m’y étais déjà essayé avec les albums pour les plus petits Myrmidon mais aussi des histoires courtes réalisées pour le Journal Spirou. Je me sens à l’aise dans les histoires sans texte. Quand j’ai découvert les films muets, enfant, je trouvais ça génial. Dans le muet, il faut être le plus simple et le plus efficace possible, il ne faut pas laisser de doute dans l’esprit du lecteur. Il ne doit pas avoir à réfléchir, le texte n’est pas là pour sauver une situation. Mais j’adore ça. Encore une fois, il n’y avait pas de commande, pas d’attente, j’allais où je voulais.

Dernier Souffle © Thierry Martin chez Soleil
Dernier Souffle © Thierry Martin chez Soleil

Avec l’obligation de tout réussir du premier coup?

C’était aussi une des règles. C’est un problème de dessinateur, je dois souvent revenir sur mes dessins. Avec Dernier Souffle, quel que soit ce qui apparaissait et même si je n’étais pas d’accord, par exemple avec la morphologie du personnage, je postais. Je cherchais le lâcher-prise. Et ça m’a aidé ensuite sur Batman et Mickey. C’était du gagnant-gagnant!

Dernier Souffle © Thierry Martin

Quand vous parlez d’aller jusqu’au bout, vous aviez un nombre de dessins à atteindre?

Très rapidement, des éditeurs m’ont contacté, intéressés. J’ai dit non, je ne savais pas où j’allais et encore moins à ce moment-là. Je me suis dit qu’on verrait quelque temps plus tard. Après tout, mon histoire aurait pu n’avoir aucun intérêt, ne pas fonctionner, au bout du chemin. Il se trouve que je me suis laissé séduire par la proposition des Éditions Black & White qui m’avaient permis de flatter mon égo en publiant ce bel artbook qu’était Hors cadre. À partir du moment où j’avais un éditeur, je devais arrêter la pagination, pour la première fois, et doucement orienter la fin.

Dernier Souffle – Couverture Black & White © Thierry Martin

Le bémol pour moi – qui n’en est pas un en l’état -, c’est une manière de faire tout à fait respectable, c’est que Black & White privilégie les petits tirages et la vente directe, sans diffuseur.

Du coup, ça m’a plu de voir les Éditions Soleil revenir vers moi pour faire de Dernier souffle en couleurs et avec une plus large diffusion. Ce qui m’a permis de repenser l’album, d’améliorer des ellipses et d’ajouter cette couleur qui rend peut-être l’histoire encore un peu plus sombre, le personnage aussi.

La PLV de Dernier Souffle
Dernier Souffle © Thierry Martin chez Soleil

Le héros, sans nom, est lui aussi venu de l’improvisation, ou l’aviez-vous en stock depuis un moment?

Il est né du jeu. Je ne savais pas qui était ce type, son nom, où il allait. Ce n’est que par après que j’ai compris à quel point il était lié à un traumatisme de mon enfance. Quand j’ai commencé à réfléchir aux choix que j’avais opérés… alors qu’à l’époque ils n’avaient posé aucun problème. C’est là que ce que je concevais comme étranger m’est devenu familier, en fait.

Dernier Souffle © Thierry Martin chez Soleil

Le personnage veut se venger mais sur quelles bases? C’est quand j’ai pensé à ça en cours de création, que je suis parti dans une séquence abordant son passé et qui me permettrait de mieux savoir qui il était et quelles étaient ses motivations. Le seul moyen de le rendre dans un album muet, c’était donc de faire appel à un flashback, de jouer avec un fondu plus blanc. Je suis parti dans le cliché du western : des colons attaqués par les Indiens, un enfant qui est l’unique survivant et qui est recueilli par un Indien, pas forcément de ceux qui ont massacré la colonie. Mais dans cette scène de violence, que devais-je montrer ou ne pas montrer. J’ai opté, alors que les premières flèches s’abattent sur le convoi, pour ceci : envoyer l’enfant se cacher et fermer les yeux au fond de la caravane. Quand il les rouvre, c’est le silence qu’on imagine. Toute sa famille s’est fait massacrer.

Il y avait là plein de souvenirs immergés. Les premières années de ma vie, c’est à Beyrouth que je les ai passées. J’ai quitté le Liban en pleine guerre civile. Et dans la voiture qui nous emmenait, mes parents et moi, vers l’aéroport, ils m’ont demandé de me cacher, de ne pas regarder. J’avais tellement peur qu’une balle perdue nous touche. Ce souvenir très particulier, il est revenu à la surface après la parution.

Après, pourquoi il est seul, pourquoi il est recueilli par un Indien, tout cela a fait sens. Il y a dans Dernier Souffle, le thème de la filiation profondément ancré. Ce fut vraiment une thérapie par le travail, sans que je m’en rende forcément compte.

Autre différence entre ces albums, l’échelle. Dans Dernier souffle, les cases sont resserrées autour du personnage, on est avec lui, proche de ce qu’il vit. Dans Mickey, place à un décor qui dépasse les héros, du coup très petit.

Ah oui, d’un côté, il y a des choix de rythme, de l’autre, une envie d’hommage à Johan et Pirlouit, au Moyen-Âge. J’adore mettre des hommages partout, surtout à ceux qui m’ont donné envie de faire de la BD.

Dont Peyo.

Oui, à vrai dire, je regardais les Johan et Pirlouit avant de les lire. Ce sont des albums très lisibles et qui possèdent cette force qui veut qu’on les ouvre à n’importe quel page, on est embarqué. La mise en scène permet de prendre l’histoire en cours de route. Alors quand des lecteurs m’ont dit que je parvenais à faire de même dans Dernier souffle, je l’ai pris comme un sacré compliment !

La galerie des illustres © Thierry Martin dans Spirou

Quand on s’attaque à Mickey, quel est le cahier des charges?

Les choses à ne pas faire, nous en étions un peu au courant, Nicolas Keramidas ayant abordé ces contraintes lors de notre conversation. Par exemple, les personnages ne doivent pas manger de viande, ils ne se mangent pas entre eux! Ils sont donc vegans. Quant à la violence, si des bagarres interviennent, il ne faut pas de sang. Pas de sexe non plus. De toute façon, avec Jean-Luc, nous avions des envies de récit jeunesse. Et nous n’avons pas tellement eu de retours concernant des corrections.

Mickey et les mille Pat © Cornette/Martin

Pat Hibulaire, avec une jambe de bois?

Ce n’est pas la première fois qu’il apparaît avec une jambe en moins. Je suis retourné voir ce que mes prédécesseurs avaient fait, je n’ai jamais pu déterminer si c’était la jambe gauche ou la jambe droite qui lui manquait. On trouve les deux versions !

Par contre, le concernant, j’ai eu un retour polémique. J’avais dessiné Pat sur son trône, avec ses gants et une bague par-dessus. De couleur violette. C’était une coïncidence, et le dernier film des Avengers n’était pas encore sorti, mais cela donnait à Pat des airs de Thanos. Sur le coup, l’équipe de validation s’est montrée pointue!

Mickey et les mille Pat © Cornette/Martin

Mais on s’y plie. Cet album, c’était pour moi l’occasion de faire un Johan et Pirlouit puis de faire partie de cette franchise qui, pour un auteur comme moi, peu connu, me permettait d’avoir un coup de projecteur, y compris sur mon travail précédent. Là où dans le monde de l’édition actuel, si un livre reste visible quinze jours, c’est bien. Autant joindre l’utile à l’agréable.

Comment avez-vous rencontré Mickey et sa bande?

Je n’étais pas lecteur de Mickey, plutôt de Spirou et Tintin. Ma porte d’entrée, enfant, ce fut des dessins animés comme Fantasia mais aussi Mickey et le brave petit tailleur. La collection de Glénat me semblait intéressante car elle permettait à chaque auteur d’amener son propre univers graphique. J’ai essayé de ne pas m’écarter de l’univers d’origine mais d’y mettre ma touche personnelle.

Mickey et les mille Pat © Cornette/Martin chez Glénat

Comme le titre l’indique, vous démultipliez Pat, par magie, mais aussi Mickey et Minnie. On pense aux balais de Fantasia, aux Schtroumpfs, mais c’est aussi un sacré défi. On ne devient pas fou à force de dessiner des dizaines, des centaines de fois le même personnage dans une même planche?

Ça m’a beaucoup amusé, en fait, mais ça participait à cette volonté d’être généreux. Bon, je ne ferai pas dix albums comme ça, non plus! En contrepartie, cela dit, il y avait cet exutoire que je me suis aménagé: Dernier souffle.

Mickey et les mille Pat © Cornette/Martin chez Glénat

Il faut tout de même être précis dans ce grand bazar organisé?

Ah oui, s’il y a plein de personnages éparpillés partout, que ça vit, il ne faut pas pour la cause oublier la narration, le fil. Il ne faut pas qu’il y ait de confusion. Ma chance, c’est d’avoir fait du storyboard dans le monde de l’animation pour enfants. C’est une bonne base, nous devons imaginer les choses pour qu’elles soient comprises en une seconde. Si Mickey est la plupart du temps placé au milieu des cases, c’est pour cette raison. Pareil pour Dernier souffle dans sa dimension de cadrage. Ça donne une intention.

Mickey et les mille Pat © Cornette/Martin chez Glénat

Mais, alors que le lecteur perd complètement de vue le Mickey ou le Pat original, vous, vous saviez où était l’original?

Il n’y avait que moi ! (rires) Cela dit, le vrai Pat est assez repérable, c’est celui qui est toujours accompagné d’un petit dragon. Enfin je crois… à moins que Jean-Luc se soit trompé !

À un moment, je m’étais même lancé dans un jeu. Dans ma carrière de dessinateur, j’ai toujours eu à créer des personnages ayant cinq doigts aux mains. Dans l’univers de Mickey, je passais à quatre. Dans mes crayonnés, je me suis amusé à dessiner une copie avec expressément cinq doigts. Mais je n’arrêtais pas de me tromper, alors j’ai laissé tomber ! J’avais tenté la même chose avec Pat et sa jambe de bois. Comme je papillonnais sur différents projets, je n’étais pas assez concentré que pour me prêter à un tel jeu.

Mickey et les mille Pat © Cornette/Martin

Dans cet album, le lecteur passe par toutes les saisons.

Oui, il y a un jeu de couleurs, le but était vraiment que nous puissions passer une année avec lui.

Bon, avec Batman, vous signez dix planches. J’imagine que vous auriez tant aimé en faire plus.

C’est sûr, il y a une certaine frustration, du nombre de pages mais aussi du délai. Avec un mois de plus, j’aurais pu mieux travailler le design, par exemple, et me rendre réellement au Louvre. Ici, j’ai dû me contenter d’internet pour prendre mes photos. J’aurais pu m’approcher plus de la réalité. Ce Batman, c’était une sorte de pièce de théâtre.

Batman/The World © Mathieu Gabella/Thierry Martin chez Urban Comics

De manière assez légère.

Quand le scénario de Mathieu Gabella m’est arrivé entre les mains, j’étais son deuxième dessinateur. La présence de Catwoman avait été imposée par le premier. Mais cet exercice m’a passionné, j’écoutais la méthode de Mathieu comme je n’étais pas scénariste. Comme nous devions emmener Batman en France, nous avons voulu jouer sur les clichés pour mieux rebondir dessus. Nous avons resserré le périmètre. La ville représentant le mieux la France était Paris. Catwoman étant voleuse d’art, le Louvre nous paraissait être une bonne option, mieux connu que le Quai d’Orsay. Ainsi commence cette romance, dont je tairai la chute. Cette histoire, Mathieu l’a écrite en une journée, et l’éditeur l’a acceptée aussi vite. Il la trouvait maligne.

Batman/The World © Mathieu Gabella/Thierry Martin chez Urban Comics

Il n’y avait pas vraiment de cahier de charges. On suppose que Batman ne tue pas, n’a pas de scène de sexe, évite certaines positions. Si je réussissais à réaliser ce récit en deux mois, c’était bien. Si j’allais plus vite, ça me permettait de ne pas être trop en retard sur Mickey. Au final, nous nous en sommes bien sorts.

Il y a maintenant un an, vous aviez lancé un défi complètement fou à la toile du Neuvième Art: immortaliser les combats célèbres de l’espace inter-iconique. Le mouvement s’était répandu comme une trainée de poudre. Un an après, qu’en retirez-vous ?

Que nous nous sommes quand même bien énervés ! Ça ne saute pas aux yeux, mais quand on s’y intéresse, la plupart des couples présents dans nos bandes dessinées sont des amis de longue date. Vous n’allez pas me dire qu’ils ne se sont pas disputés au moins une fois!

Comme Astérix et Obélix peuvent le faire par exemple ! 

Oui, Tintin a sans doute mis une beigne au Capitaine Haddock, mais entre deux cases. Il y avait quelque chose à creuser. Mais pouvait-on? Ne risquait-on pas un procès. Non, nous étions dans le domaine du pastiche. Une fois le jeu posté, des auteurs que je connaissais ou pas ont vite réagi, de digression en digression.

© Thierry Martin

Il y avait un contexte, non?

De plus en plus d’auteurs dénoncent leurs conditions de travail précaires. 2020 était censée être l’année de la BD, programme du ministère français de la Culture. Le rapport Racine (NDLR. commandé par le ministre de la culture à l’écrivain et haut fonctionnaire Bruno Racine pour éclairer les conditions de l’auteur-créateur) était générateur de nombreux espoirs mais il ne fut pas suivi et enterré. D’où cette idée d’exprimer le ras-le-bol dans le délire, sous la forme d’un challenge. Il ne fallait pas que cela se fasse bêtement ou gratuitement. J’ai très vite fait le lien avec le Fight Club et en ai transposé les règles. C’est fou ce que ce film a donné lieu à un nombre incalculable d’études. En imaginant ce défi, je rigolais seul dans mon coin, mais l’idée était de l’ouvrir à mes confrères. Un ami a traduit le canevas pour lancer l’invitation à l’international.

© Thierry Martin

Avant de publier, je me suis bien demandé pourquoi je faisais ça! Et si c’était un flop ? Et puis n’avais-je rien d’autre à faire comme boulot? J’ai mis tout dans la balance, ai lancé le défi et 250 dessins ont suivi, venus de partout. Sans compter ceux que je n’ai pas repérés. Cela m’a évidemment donné un boulot fou, en plus de ce que j’avais sur le feu, entre Noël et Nouvel An. Si je jouais le jeu à fond, je devais donner une visibilité à tous les dessins participant au challenge, les rassembler. Ce que je faisais, une heure le matin et une heure le soir.

Et la suite? 

J’ai le crayonné de l’affiche sous les yeux. Est-ce que j’ai le temps pour le moment? Non! Nous verrons. J’enchaîne les signatures depuis fin octobre, à un moment il faut savoir dire stop.

© Thierry Martin

Quelle sera-t-elle cette suite, si elle vient?

Je ne peux pas le révéler ! L’idée sera assez similaire.

En tout cas, la suite, elle pointe le bout de son nez sous la forme d’histoires courtes de Jerry Alone dans Fluide Glacial.

Jerry Alone © Thierry Martin chez Fluide Glacial

L’idée est d’avoir un album à proposer pour la fête des pères. Pour le moment, je fais une, deux, trois ou quatre pages par histoires. C’est un héros né avec mes enfants, pour aborder le rapport à la paternité. Au début, je faisais des strips de six cases, j’y racontais ce qu’il passait à la maison. Je ne voulais pas me représenter, cependant, mais jouer avec les codes du personnage imaginaire. Ma référence? Jean-Paul Belmondo dans Le Magnifique de Philippe de Broca. L’histoire de cet écrivain qui vivait les histoires de ses personnages – c’était l’époque des SAS -, m’avait énormément marqué quand j’avais 14-15 ans. J’aimais que fiction et réalité se mélangent.

Jerry Alone © Thierry Martin chez Fluide Glacial
Jerry Alone © Thierry Martin chez Fluide Glacial
Jerry Alone © Thierry Martin chez Fluide Glacial

Dans Jerry Alone, j’exploite donc cette idée avec un père, mâle dominant qui s’imagine cow-boy alors que les choses ne sont pas forcément aussi simples que dans un western. Le registre est décalé mais chaque histoire n’est pas forcément drôle. Ce sont des tranches de vie, des pastilles, avec un héros bienveillant malgré ses deux vies à concilier: cow-boy et père de famille. C’est de loin le projet le plus humoristique dans ma bibliographie.

Jerry Alone © Thierry Martin
Jerry Alone © Thierry Martin chez Fluide Glacial

Dans un autre registre, paru cette année aussi, Sang d’Encre de Philippe Cordier, que vous illustrez.

Philippe, c’est l’ami qui m’a permis de collaborer avec les Éditions Black & White, qui a permis que mon artbook et Dernier souffle existe. C’est un fan de comics, et plus encore d’encrage. Il tient d’ailleurs un blog (Phil & Co… mix) sur lequel, à raison de trois posts par semaine, il explique sa passion, riches extraits à l’appui!

Sang d’encre © Thierry Martin chez Komics Initiative

Puis, un jour, il m’a fait part de sa nouvelle envie, écrire un pulp. À condition que je l’illustre. Moi, j’étais parti sur une autre histoire et j’avais prévu d’arrêter de me disperser, comme ce fut le cas autour de Mickey. Je lui ai dit que ce n’était pas possible, que je devais me concentrer… mais que j’acceptais de lire son histoire. À ma grande surprise, j’ai découvert un écrivain de grand talent et j’ai décidé de quand même accepter ce boulot d’illustration de ce polar dans l’univers des comics et de l’encrage. Ce projet publié par Komics Initiative, c’était l’occasion de m’essayer à l’illustration, que j’avais peu pratiquée jusque-là. C’est un exercice complexe, parce qu’il faut répondre aux pages de texte, dessiner les personnages en train d’échanger.

L’autre projet serait donc de reprendre Johan et Pirlouit, histoire de boucler la boucle avec votre Mickey?

Je ne pense pas qu’il y aura un jour un nouveau Johan et Pirlouit, je ne suis pas sûr que cet univers parle aux lecteurs d’aujourd’hui.

Par contre, j’ai d’autres projets que Jerry Alone. Pour la collection Noctambule et ses récits Yin et Yang, auxquels Pascal Rabaté (Fenêtres sur rue (Matinées/Soirées)) et Nicolas De Crécy (Un monde flottant – Yôkai and Haïkus) avaient contribué, je prépare Le balayeur des Lilas, un personnage qui sert de fil conducteur dans un théâtre de quartier. Cela traitera du rapport aux gens de la rue, avec trois tranches poétiques évoquant Tati, Sempé et Eisner.

J’ai démarré un autre projet également, avant Mickey et la pandémie mondiale : Le jour où j’ai tué l’humanité. Quelques planches étaient parues sur Facebook. C’est une BD qui fait réfléchir, soi-même aussi, en compagnie d’un héros, façon Major Fatal, perdu dans le désert. Où va-t-il? Que fait-il? Naturellement, là encore, je suis en retard.

En attendant, vous nous laissez avec des albums, mieux de superbes objets, avec ces trois histoires.

Faire la couverture de ce Batman – The World, c’était la cerise sur le gâteau. Évidemment, j’étais ravi. Mais oui, ce sont des superbes objets, je suis fier et chanceux!

Merci beaucoup Thierry pour ce moment d’échange et ces moments de régal !

Titre : Dernier souffle

Récit complet

Réédition grand public et augmentée de l’album paru chez Black & White en 2019

Scénario, dessin et couleurs : Thierry Martin

Genre : Drame, Western

Éditeur : Soleil

Collection : Noctambule

Nbre de pages : 218

Prix : 26€

Date de sortie : le 20/10/2021


Titre : Mickey et les Mille Pat

Récit complet

Scénario : Jean-Luc Cornette

Dessin : Thierry Martin

Couleurs : Violette, Théo et Thierry Martin

Genre : Aventure, Fantasy, Jeunesse

Éditeur : Glénat

Collection : Mickey vu par

Nbre de pages : 80

Prix : 19€

Date de sortie : le 27/10/2021


Titre : Batman – The World

Recueil de récits courts

Scénario : Collectif

Dessin : Collectif

Couleurs : Collectif

Genre : Comics, Polar, Super-Héros

Éditeur : Urban Comics

Collection : DC Deluxe

Nbre de pages : 192

Prix : 18€

Date de sortie : le 17/09/2021


Titre : Sang d’encre

Nouvelle illustrée

Texte : Phil Cordier

Illustration : Thierry Martin

Genre : Polar, Pulp

Éditeur : Komics Initiative

Collection : Comics Novel

Nbre de pages : 95

Prix : 15€

Date de sortie : le 26/03/2021

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