Quatre tomes, c’est déjà un exploit dans le monde actuel de la BD. Et, pourtant, on a l’impression de n’être qu’aux prémisses des 1000 vies de Kathleen. Cette héroïne d’un genre nouveau, rendant didactique l’Histoire et les petites histoires de Belgique sans laisser le suspense sur le bas-côté, ne tient professionnellement pas en place. Tour à tour hôtesse de l’Exposition Universelle ou hôtesse de l’air, la voilà devenue journaliste (une femme, journaliste, voyez vous ça? on les entend les mesquins…) pour raconter le drame le plus meurtrier que notre plat pays ait connu: l’incendie du magasin l’Innovation, en 1967.

Résumé de l’éditeur : 1967. Devenue journaliste, Kathleen se rend à Paris pour un reportage. Une occasion pour profiter de la vie nocturne à Saint-Germain-des-Prés. Elle y fait la connaissance de Tom. Ils se reverront à Bruxelles et elle en tombera éperdument amoureuse. Le personnel du grand magasin Innovation, construit en partie par Victor Horta, à Bruxelles, se prépare à mettre à l’honneur des produits venus des USA lors d’une « Semaine Américaine ». Mais dans les rues, la contestation gronde. L’extrême-gauche multiplie les manifestations pour stopper l’impérialisme américain et l’implication des USA dans la guerre du Viêtnam. Alors qu’une odeur de brûlé se répand dans les rayons de l’Innovation, une personne lâche : « je donne ma vie pour le Viêtnam ». Plus de 260 personnes y trouveront la mort. Kathleen couvrira le déroulement de l’enquête. Les antiimpérialistes sont-ils responsables de l’incendie ? Quel est le rôle de Tom ? Pourquoi Kathleen a-t-elle l’impression qu’il joue un double-jeu ?

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Héhé, à chaque fois on se demande quel nouvel épisode historique ils vont bien pouvoir trouver, mais ils y arrivent, et plutôt bien, Patrick Weber, Baudouin Deville et Bérengère Marquebreucq (dont, plus que jamais, les couleurs sont déterminantes pour éclairer, exp(l)oser le drame). C’est vrai qu’à l’échelle de notre pays, beaucoup d’événements marquants l’ont tout de même traversé. Avec des bonheurs et des malheurs. Et des réjouissances qui ont parfois donné lieu à l’inimaginable. Comme ce lundi 22 mai 1967, début d’une quinzaine américaine qui ne plaît certes pas à tout le monde, purement commerciale et sous influence étasunienne à l’heure où se déroule la guerre du Viêtnam, mais qui met de la vie dans les rues autour de cet imposant bâtiment.

Sur le coup de 13h22, la fête tourne au drame, qui ne dit pas son nom et s’avance sans prévenir, une fumée noire alerte une employée mais il est déjà trop tard. L’immeuble imaginé par Victor Horta pour être éternel va partir en fumée. Luxueux mais pas adapté aux défis de la gestion des risques, trop grand et trop labyrinthique que pour que tous ses passagers, clients ou employés, puissent trouver l’issue. Trop bruyant que pour entendre, dans les délais permettant la survie, le qui-vive.

Si ce quatrième opus prend cette tragédie pour pierre angulaire, avec tout le stress et les images d’horreur que cela peut générer (des gens qui se défenestrent en dernier recours pour échapper aux flammes mais pas à la mort), et le dispositif de secours façon film-catastrophe, les auteurs l’encadrent de leur version des faits qui ont conduit à l’inévitable. De la fiction mais assez proche de la réalité et de la documentation de l’époque que pour que tout soit plausible. Car, après tout, si une explication est plus ou moins acceptée et officielle, personne ne saura exactement ce qu’il s’est passé, ressort-il des dix pages du dossier explicatif qui conclut l’album.

Alors, Patrick Weber et Baudouin Deville créent une galerie de personnages, ou épaississent ceux existants (certains font leur retour du Congo, incognito), lancent à toute allure une voiture sur les petites routes à travers bois avant le crash. Première explosion, cause de bien des événements à venir. Même si pendant ce temps-là, à Paris, Kathleen n’a aucune idée de ce qu’elle va traverser, elle est sur son petit nuage: premières interviews de stars, retrouvailles avec sa meilleure amie et coup de foudre coup-de-poing dans un bar, où la prise de tête avec un gros balourd se transforme en belle rencontre. Tom travaille dans la mécanique automobile, possède un beau bolide et quelques projets manifestement peu avouables.

S’il suit Kathleen jusqu’en Belgique, ce n’est pas que pour ses beaux yeux. Toujours est-il que les mouvements de contestation a priori pacifistes, en tout cas anti-guerre, qui prennent position à Bruxelles, et contrastent avec l’euphorie générale et commerciale, ont peut-être joué un rôle dans l’incendie. Un événement sur lequel les auteurs s’attardent tout en ne s’appesantissant pas excessivement, the show must go on et l’enquête de Kathleen, sermonnée par sa hiérarchie pour ne pas en avoir assez fait « on air », doit redoubler pour dénouer le vrai du faux face à des proches dont l’alibi ne tient pas et qui l’embrouillent. C’est bien négocié et surprenant, tout en assoyant un peu plus leur héroïne dans un statut de femme forte, indépendante et qui fait preuve d’initiative.

Bémol ? Un mélange entre réalité et fiction qui s’exprime jusque dans la caractérisation des personnages. À côté de Kathleen et d’autres protagonistes qui ont une personnalité propre, créée de toutes pièces par les auteurs, ceux-ci se font plaisir en faisant appel à des célébrités… pas forcément dans leur propre rôle. On croise ainsi E.P. Jacobs sur la couverture, un ersatz de Tom Selleck, Louis De Funès alors que, d’un autre côté, Kathleen interviewe les vraies Jane Fonda ou Madame Pompidou. C’est sympa de retrouver pour le fun des figures connues mais, dans le registre de cette série, ça crée un brin d’incompréhension, de confusion, qui, paradoxalement, dessert la crédibilité de cette histoire parfaitement gérée pour le reste.

Tiens, et si quelqu’un veut une petite dédicace, c’est possible :
Titre : Innovation 67
Récit complet
Scénario : Patrick Weber (Page Fb)
Dessin : Baudouin Deville
Couleurs : Bérengère Marquebreucq
Genre : Drame, Espionnage, Histoire, Thriller
Éditeur : Anspach
Nbre de pages : 64
Prix : 14,50€
Date de sortie : le 12/11/2021
Extraits :