Une couverture contemplative en bleu, une autre complètement frontale, carnassière, et pourtant deux sujets qui, d’un bout à l’autre du globe (des Vosges au kraï du Promorié), se rejoignent en un : l’incursion de l’homme et de ses sales manières dans les lieux où auparavant le noble animal régnait. Et comme la cohabitation ne suffit pas au premier, il faudra bien que l’un supplante l’autre, avec tous les dommages que cela peut engendrer. Sous les bois des Grands Cerfs ou face au croc du tigre de Sibérie de Féroce.
Résumé de l’éditeur : C’est dans les montagnes des Vosges, dans une ancienne métairie au cœur de la forêt, que Pamina a choisi de vivre isolée du monde avec son compagnon Nils. Elle se sait entourée par une harde de cerfs dont elle ne perçoit que les traces. Jusqu’au jour où Léo, photographe animalier, construit une cabane d’affût dans les parages. Léo initie Pamina à l’affût pour observer le mystérieux clan. Au fil des saisons, par tous les temps et souvent de nuit, Pamina guette l’apparition des cerfs. Elle apprend à les distinguer et découvre aussi toute une vie sauvage. Elle va découvrir d’autres clans bien plus cruels, les hommes qui gèrent la forêt et les chasseurs, et se retrouver plongée dans un combat perdu d’avance, la préservation de la nature et des espèces sauvages.

Avec Les Grands Cerfs, adapté du roman de Claudie Hunzinger paru et plébiscité il y a deux ans, Gaétan Nocq garde la puissance du bleu envoûtant mais pouvant aussi être tragique, qu’il avait consacrée dans Le rapport W. Des tons qui siéent bien à l’exploration de la montagne, de son univers, de la manière de l’éclairer tout en y gardant des zones d’ombres. Cet univers peut paraître hostile, y vivre demande des concessions mais offre aussi des cadeaux inestimables. Ceux qui font se lever tôt et user de patience dans des refuges-affûts, bien emmitouflés et en préférant jumelles ou appareil photo à forte portée plutôt qu’un flingue. Jusqu’à quand?

Nouvelle venue dans ce monde qu’elle ne connait pas mais qui la happe, Pamina suit son ami photographe entre légende et réalité à la poursuite, à tâtons et dans le plus grand des silences, des seigneurs de ces bois. Les cerfs. Plus leur ramure est impressionnante, plus ils ont du galon dans ce monde animal où respect mais aussi domination se jouent. Le spectacle est rare, se mérite, Pamina, dans ses excursions tard ou tôt, souvent glaciales mais vivifiantes, se sent seule au monde. Jusqu’à ce que des signes d’une autre présence, moins bienfaitrice, l’alertent.

Ici, à certaines périodes, on chasse, on régule. Et la rigueur a désormais laissé sa place à des pratiques à tort et à travers, risquant d’appauvrir l’espèce.

Dans ce roman graphique grand format, complètement immersif, Gaétan Nocq fait sien la fiction à haute teneur documentaire et renseignée de Claudie Hunzinger, jusqu’à une intenable séquence nocturne de recensement des hôtes de ces bois. Je ne connais pas le roman d’origine, mais raconté comme ça, avec une telle force picturale et narrative, il y a quelque chose de transcendant, de magnifique mais aussi de brutal dans les révélations qui s’ensuivent et les découvertes que fait le lecteur en compagnie de cette héroïne, témoin du présent et de ce qui se passe dans les grands espaces dans lesquels l’Homme se fait sa place.

Avec, en bonus, en fin d’album, un superbe cahier graphique de recherches et d’explications.

Féroce: il y a pire que la morsure du froid en Sibérie

Résumé de l’éditeur : Sur le territoire du kraï du Primorié, en Extrême-Orient russe, près des frontières de la Chine et de la Corée du Nord, un tigre de Sibérie blessé par un braconnier se consacre à la chasse à l’homme. Non par faim mais plutôt par vengeance, il peint du sang de ses victimes la taïga sibérienne. Ni les brigades forestières contrôlées par la mafia sino-russe, ni les agents du Centre du Tigre de l’Amur, ni les groupes environnementaux ne sont en sécurité lorsque l’Amba, l’esprit des forêts, part à la chasse.

On s’enfonce un peu plus dans la neige et dans des conditions climatiques extrêmes dans Féroce. Surhumaines mais pas de quoi menacer le profit et l’exploitation jusqu’à plus souffle des ressources naturelles. Les mafieux ne doutent de rien et c’est à l’abri des regards qu’ils opèrent. Ou plutôt en soudoyant ceux des garants des bonnes pratiques. L’argent et les menaces achètent tout. Sauf peut-être cette équipe de journalistes têtes brûlées, prête à tout pour démasquer les magouilles.

Noble ou vilain, tout le monde va pourtant se retrouver sous le coup de la même horreur, personnifiée dans la rage d’un animal blessé, et donc d’autant plus dangereux.

Passé le résumé qui entend crédibiliser ces faits inspirés d’une histoire vraie, je m’attendais sur l’impression de la couverture très réussie à une série B, focalisée moins sur l’âme que sur l’action. Pourtant, cette première partie de diptyque signé par le tandem formé sur le précédent La honte et l’oubli (que je n’ai pas lu) Gregorio Muro Harriet et Alex Macho (Garluk Aguirre, aux couleurs et notamment à l’oeuvre pour faire voltiger toutes les nuances de blanc et de neige) arrive à être haletant sur les deux volets, à être documentaire sans sacrifier le suspense et la violence comme elle ne peut avoir cours que dans les endroits très reculés du monde, glaçant et où il est facile pour certains de se proclamer maître sans partage. C’était sans compter la part du lion ou plutôt du tigre qui, plus loin que son honneur, et ça le dépasse, défend tout un monde animal poussé sur le déclin.

Titre : Les grands cerfs
D’après le roman de Claudie Hunzinger
Scénario, dessin et couleurs : Gaétan Nocq
Genre : Documentaire, Drame
Éditeur : Daniel Maghen
Nbre de pages : 224
Prix : 29€
Date de sortie : le 23/09/2021
Série : Féroce
Tome : 1/2 – Taïga de sang
Scénario : Gregorio Muro Harriet
Dessin : Alex Macho
Couleurs : Garluck Aguirre
Genre : Drame, Horreur, Survival, Thriller éco-politique
Éditeur : Glénat
Nbre de pages : 56
Prix : 14?95€
Date de sortie : le 01/09/2021