Iconique François Walthéry ! Alors que le papa de Natacha et Rubine, du petit bout d’chique ou du vieux Bleu (qui mixe quelques figures parmi ses aïeux, cela dit), également beau-père de Jacky et Célestin ou Benoît Brisefer, continue de créer et recréer avec plaisir, entre action tous azimuts et humour contagieux, et de fasciner, le voilà à nouveau star d’un ouvrage. Intervieweur régulier de celui qui compte parmi les monstres sacrés de la BD francophone (jusqu’au Québec de Charlebois), Charles-Louis Detournay, mis en selle par Monsieur Pop’s himself (premier pseudonyme de François Walthéry du temps de Pipo), s’est lancé dans l’exercice de s’effacer pour mieux mettre en musique la langue de chez nous de son hôte, riche en anecdotes. Un régal de la part de ce facétieux personnage. Facétieux, c’est le mot, c’est le titre, de ce livre choral publié chez Kennes.
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Résumé de l’éditeur : Si certains auteurs sont tombés dans la marmite de la bande dessinée dès leurs plus jeunes âges, rares sont ceux qui l’ont débuté aussi tôt que François Walthéry. À 15 ans, il assiste déjà le dessinateur Mitteï, et à 17 ans, il quitte son village liégeois pour devenir le premier collaborateur de Peyo, alors dépassé par le succès grandissant des Schtroumpfs. Pendant dix années passées à Bruxelles, le jeune François Walthéry réalise bien entendu des albums qui marqueront plusieurs générations (Natacha, Les Schtroumpfs, Benoît Brisefer, Johan et Pirlouit, etc.), mais il vit surtout avec quelques-uns des plus grands auteurs de l’époque. Non seulement, il travaille avec Peyo (Les Schtroumpfs), Derib (Yakari), Gos (Le Scrameustache), Roger Leloup (Yoko Tsuno) et Marc Wasterlain (Docteur Poche), mais toutes ses sorties se déroulent auprès des figures marquantes des Éditions Dupuis : Franquin (Gaston et Spirou), Will (Tif et Tondu), Roba (Boule et Bill), Tillieux (Gil Jourdan), Yvan Delporte et les autres.
Parfois catégorisé à tort de dessinateur prenant son temps (alors qu’il est sur tous les plans, généreux), voilà le livre rêvé pour comprendre définitivement ce que cache cette légende walthériesque. Alors qu’on attend toujours impatiemment les prochains tomes de Natacha, que Rubine est relancée avec panache par les Éditions du Tiroir avec Bruno Di Sano et Mythic et que les premières planches à quatre mains de Sophia Stromboli avec André Taymans nous ont mis l’eau à la bouche, la littérature consacrée à Francwès continue de s’allonger. Du fait de son fan-club très actif (Oufti) mais aussi de la part de journalistes et professionnels du monde des Arts qui ne cessent de trouver du charme au diable de Cheratte.
Par son talent indéniable, capable de mettre des étoiles dans les yeux des plus petits comme des plus grands (qui ont parfois plus d’arrière-pensées que les précités) et qui ne semble pâtir des affres du temps. Mais aussi par sa connaissance encyclopédique, par le petit bout de la lorgnette aussi, du Neuvième Art franco-belge qui a cours et planches depuis plus de cinquante ans. Parce qu’avant même ses dix-huit ans, le jeune Liégeois était amené à entrer dans le monde des Schtroumpfs et l’atelier d’un perfectionniste, Peyo. L’occasion de côtoyer d’autres grands (Will, Franquin, Tillieux…) et futurs grands (Derib, Leloup, Wasterlain, Dany, De Gieter…), d’apprendre à leurs côtés tout en faisant les 400 coups, dont notre trublion appliqué, parfois maladroit toujours avec le coeur sur la main se fait l’écho. Leçons de maîtres.
S’il a son nom au-dessus de la couverture (dessinée par Walthéry, donc, sur un mode Brialy « tous mes amis sont là » et qui renforce l’idée que si certains sont partis, le dessin lui ne meurt jamais, comme le souvenir), Charles-Louis Detournay, excellent et passionné rédacteur en chef d’ActuaBD, s’est effacé, non sans avoir mis de l’ordre dans les centaines de faits d’armes réunis ici, en avoir été le chef d’orchestre. Passé une introduction de trois pages, relatant la genèse de cet ouvrage, un questionnaire de Proust moderne et un glossaire, le journaliste a totalement laissé François et ses amis (près d’une quinzaine de témoins qui enrichissent cette somme d’anecdotes) prendre la parole et emmener ce livre dans toutes les directions. En effet, si on pouvait redouter une énième biographie, il n’en est rien. Pour preuve, on en veut ce cheminement anachronique qui, une fois le décor des premières années planté, fait des bonds dans le temps au fur et à mesure des 18 chapitres thématiques (ou tentant de l’être). Il faut s’habituer à cette manière de procéder, finalement instinctive comme peut l’être Walthéry, sans filtre et sans frein pour arpenter des décennies de petits et grands secrets de l’art séquentiel, et des histoires vraies et drôles. Sans aucune peur de déborder, de s’intéresser aux héros qui ne sont pas de sa main et aux vécus des auteurs amis.
On apprend ainsi, entre beaucoup d’autres aspects, le rythme déglingué des dessinateurs de petits miquets et leurs soupers pâtes à pas d’heure; l’inspiration de Playboy, l’intransigeance de Peyo (qu’il se devait à lui-même en premier lieu) mais aussi ses vacances non-annoncées laissant son équipe sans boulot; comment Walthéry n’a pas repris Spirou et Fantasio et comment il a failli ne jamais devenir auteur de BD mais plutôt criminel en puissance sur fond de boulettes empoisonnées (le petit bout de chique n’était pas loin!); les séances de dédicaces interminables d’albums numérotés mais aussi des repérages qui valent le détour, fertiles en aventures dépassant la fiction; l’amour de l’auteur pour les remakes. Sans parler des blagues mises en scènes avec Willy Lambil et de ces versions moins tout public, plus érotique, d’albums comme L’île d’Outre-Monde avec la complicité déjà de Cauvin, l’as de la photocopieuse !
Et quand on commence à se demander « tiens, mais, il n’a rien à raconter sur les avions? », voilà que notre hôte de luxe témoigne de toutes ces fois où il a pris l’air et où sa réputation le précédait, du commandant de bord à un puissant homme d’état. Avec Walthéry, la mémoire est précise, revigorante… on n’a jamais vu ça! C’est encore plus le cas au moment d’aborder cet album immoral et concocté sous forme de cadavre exquis pour soigner l’infarctus de Peyo, au repos forcé. Demi-planche après demi-planche, une multitude de stars et futures stars de la BD (Roba, Tillieux, Greg…) parodiaient ainsi en dessous de la ceinture (et bien plus encore) les univers de Peyo. À ne pas mettre entre toutes les mains et tiré confidentiellement (un exemplaire), on donnerait cher tout de même pour y jeter un oeil… Voire le dévorer. Mais il y a peu de chance que ça arrive un jour !


Entre les passages obligés déjà abordés ailleurs, mais retrouvés ici avec une autre saveur, et des moments moins connus, Walthéry le Facétieux ne pouvait que plaire à un lecteur comme moi, qui aime l’exhaustivité et ne peux me résigner à faire le tri, à couper les interviews parfois XXL que je réalise. Charles-Louis Detournay a eu le luxe d’aller jusqu’au bout, à la quintessence de dizaines d’heures de rencontres. C’est ce qui fait la richesse hors-format de ces presque 300 pages (malheureusement, certaines comptent un certain nombre de fautes et coquilles, seul bémol) finement illustrées, entre dessins et photos d’archives. De quoi faire et refaire l’histoire d’une fameuse épopée franco-belge, dont la passion, la méticulosité mais aussi les joyeux délires transparaissent toujours dans les albums que cette fameuse écurie hirsute a pu produire. Ce livre format roman est un incontournable liant pour tous ces trésors à lire et relire.
Quant à la suite, elle arrive !
Titre : Walthéry Le Facétieux
Sous-titre : Dans les coulisses de la BD avec Franquin, Peyo, Tillieux et les autres
Auteur : Charles-Louis Detournay
Genre : Anecdotes, Coulisses, Making-of, Récit de vie
Éditeur : Kennes
Collection : Société
Nbre de pages : 288
Prix : 19,90€
Date de sortie : le 15/09/2021