Avec L’enfer est vide, tous les démons sont ici (titre emprunté à William Shakespeare), Marie Bardiaux-Vaïente continue son oeuvre de sensibilisation capitale face à une peine qui ne doit plus l’être. Après s’être intéressée à l’Histoire et l’idéologie véhiculée par La Guillotine en compagnie de Rica, puis avoir retracé le long combat de Robert Badinter contre la peine de mort avec Malo Kerfriden; toujours avec ce dernier, la scénariste prouve qu’elle n’a pas épuisé le sujet avec un troisième album consacré au procès Eichmann en Israël, à Jérusalem. L’occasion, cette fois, avec un procès emblématique, d’interroger les limites du jugement des humains. Y compris après un génocide qui a enlevé la vie de centaines de milliers d’innocents.

Résumé de l’éditeur : Adolf Eichmann est l’un des grands architectes de la « solution finale » mise en place par le IIIe Reich. Après la guerre, celui qui a mis tant d’acharnement à organiser et optimiser l’annihilation des juifs parvient à s’exiler en Amérique du Sud où des agents du Mossad le capturent en 1960. Son procès à Jérusalem, l’année suivante, est un événement historique : pour la première fois, les juifs vont eux-mêmes juger officiellement un de leurs bourreaux. Le monde entier a le regard braqué vers la capitale israélienne et les caméras filment l’ensemble de la procédure, du jamais vu. Au cours d’un procès qui dure huit mois, le récit technique de l’industrialisation de la solution finale et les documents d’archives sont présentés, disséqués, commentés. Cent onze rescapés de la Shoah sont appelés à comparaître, chacun d’eux bouleversant l’auditoire. Ce procès judiciaire d’une forte ampleur médiatique et historique – mais également politique – s’enrichit de débats intellectuels, comme le travail d’Hannah Harendt sur la « banalité du mal ». Dans ces mois difficiles, une leçon d’humanité doit passer. Passera-t-elle par une condamnation à mort d’Adolf Eichmann ? L’exécution de celui qui s’est employé à organiser l’extermination de 6 millions d’êtres humains a-t-elle un sens ? Jeanne Amelot, Shimon Abécassis et Hannah Arendt, tous trois présents en tant que journalistes pendant les audiences, s’interrogent.

Sur la couverture, le titre est fort, écrasant, alors que le visage d’un homme, lunettes sur les yeux écouteurs sur les oreilles, tient bon, droit et sûr de son fait, aussi abominable puisse-t-il paraître. Eichmann, simple exécutant ou réel maître d’oeuvre de la solution finale ? C’est une des questions d’un procès hors-norme, tenu plusieurs années après la fin de la 2e Guerre Mondiale alors que la plaie est toujours autant lancinante. On ne guérit jamais d’une Histoire pareille.

À Jérusalem, alors que le procès s’ouvre, ses protagonistes affluent : témoins, victimes, avocats, juge et, entre beaucoup d’autres alors que les caméras mondiales sont braquées sur l' »événement », des journalistes et chroniqueurs. Issus de différents mondes. Avec de la bouteille ou tout frais émoulu, européen ou israélien. C’est au carrefour des expériences que se placent Marie Bardiaux-Vaïente et Malo Kerfriden, tout en donnant le lead, tout de même, à un personnage fictif : Jeanne Amelot. Elle fait ses premiers pas, du moins aussi médiatiques, dans ce paysage où, elle le remarque, les avis peuvent être bien tranchés mais où le dialogue peut parfois permettre à certains de retourner leur veste.

À l’heure où la peine de mort est un monstre du Loch Ness, qui revient sans cesse dans les discours des commentateurs lambdas d’articles relatant des faits divers répugnants ou la remise en liberté (souvent conditionnelle) de criminels qu’ils rêveraient de voir enterrés, mais aussi dans la bouche de certains politiciens populistes en Amérique mais aussi ailleurs, les deux auteurs ont sans doute trouvé le théâtre (car une cour en est un) idéal pour poursuivre leur oeuvre et leur travail de fond sur ce qu’implique la peine capitale. Au-delà d’une corde, d’une décharge électrique ou une injection, qu’importe ce que l’Homme a mis au point pour se donner bonne conscience en retirant la vie d’autrui, pourvu qu’il soit jugé et condamner. Quelles conséquences une telle décision peut-elle avoir sur l’opinion publique mais aussi sur la relation des événements qui y ont mené: le procès et, plus loin, l’Holocauste ? Est-ce qu’une fois la mort de l’ennemi public et mondial N°1 actée, on peut passer à autre chose?

Naturellement, la scénariste et le dessinateur, s’ils livrent les impressions et les désaccords de leurs journalistes entre eux ou avec la foule qui les entourent, restent à leur place, à distance d’Eichmann, imperméable et insondable, provocant, acteur de la Solution finale et pourtant s’y soustrayant. Les auteurs réussissent le tour de force de tenir un album de prétoire qui se lit sans longueur, sans redite, sans répétition. Ils réussissent à s’en dégager au fil de flash-backs (noir et blanc, très encrés) et d’évasion dans la ville de Jérusalem, et à Massada qui permet de prendre de la hauteur, dans la profondeur des échanges entre Jeanne et Hannah Harendt, et surtout avec l’insaisissable Shimon Abécassis, qui doit héberger son travail dans la rédaction de son journal. Shimon, il fait le dur, le hautain, mais finalement quand on le connaît, il peut être très surprenant.

Allant chercher le ressenti de leurs protagonistes face à ce crime contre l’humanité, peut-être suivi d’un second en cas de condamnation à mort, les auteurs livrent un témoignage brûlant et vibrant, qui fait date et son chemin dans nos esprits, nous qui sommes lecteurs et à la fois témoins de ce drame qui se plaide devant nos yeux avec puissance, passion et haine, parfois, résilience aussi d’autres fois, et dont l’issue fatale nous condamne peut-être à la prison à vie. Doit-on se montrer bourreau face à un bourreau?

Titre : L’enfer est vide, tous les démons sont ici
Récit complet
Scénario : Marie Bardiaux-Vaïente
Dessin et couleurs : Malo Kerfriden
Genre : Documentaire, Drame, Histoire, Judiciaire
Éditeur : Glénat
Nbre de pages : 128
Prix : 19,50€
Date de sortie : le 01/09/2021