Action,… immersion : Médecins de guerre et Flic à la PJ, deux albums BD au format traditionnel qui sortent le grand angle

En BD, si le documentaire est sorti renforcé par diverses publications (souvent romans graphiques), la fiction continue aussi de couler de beaux jours. Et parfois, il y a un entre-deux. Voilà deux albums qui me tentaient peu, peut-être la faute aux couvertures, mais qui se sont révélés être une bonne pioche immersive et spectaculaire, mais sans esbroufe.

© Buendia/Laplagne chez Dargaud

Médecins de guerre, bien moins confortables que dans Grey’s Anatomy

© Buendia/Laplagne chez Dargaud

Résumé de l’éditeur : Virginie aime aider les autres. En plus de son investissement associatif, elle s’est engagée dans l’armée en tant que médecin. Sa première assignation : le groupement des commandos parachutistes sur la base de Gao au Mali. L’endroit est rude, a fortiori quand on est la première femme à intégrer le GCP. Virginie s’est toujours construite toute seule, mais, dans ces conditions et dans ce groupe, la cohésion est une question de survie…

© Buendia/Laplagne chez Dargaud

Il n’y a rien qui ressemble plus à un champ de bataille qu’un autre champ de bataille. Peu importent les on-dit, cette volonté de faire croire que des pays sont moins dangereux que d’autres, les zones de guerre restent des poudrières où il y a des vies à perdre et d’autres à sauver. Patrice Buendia (bien connu pour Thomas Silane, de nombreux albums « volants » comme des reprises de Buck Danny et Tanguy et Laverdure) et Gilles Laplagne (également dessinateur de pas mal de récits aéronautiques) mettent donc pied à terre et dans le désert du Sahara pour nous parler des médecins que compte l’armée française.

© Buendia/Laplagne chez Dargaud

Ils ouvrent la porte de cette fonction méconnue en nous faisant suivre les pas de Virginie (alias La-Trinh), une jeune recrue brillante mais qui va devoir passer de la théorie à la pratique, au milieu d’hommes, au coeur de l’Opération Barkhane dirigée contre les djihadistes du Sahel. Et si elle ne trouvait pas sa place?

© Buendia/Laplagne chez Dargaud

Malgré un dessin peut-être un peu trop forgé dans l’ultra-réalisme (mais je sais, c’est une question de goût et de couleur, et ma préférence va aux réinventions quitte à ce qu’elles soient semi-réalistes) et des premières pages riches en astérisques et en jargon professionnel, j’ai été embarqué dans cette série qui commence comme un documentaire et retrace à la fois le périple psychologique du personnage, les nerfs mis à rude épreuve par ce qu’elle voit en intervention mais aussi par son isolement qui fait revenir les démons du passé, que la manière dont sont mises en place les missions casse-gueule dans ces coins reculés du monde. Inutile de mentir, chez l’ennemi comme dans les rangs de l’armée de nos protagonistes, il va y avoir des morts et des blessures sérieuses, irréversibles.

© Buendia/Laplagne chez Dargaud

Pendant tout l’album, j’ai eu peur que cet album ne soit là que pour faire la promotion, sticker sur la couverture, des militaires français et françaises, la fiction étant tributaire du regard du réel. Pourtant, au tout dernier moment, les deux auteurs font basculer leur récit dans la fiction, de manière inattendue, ce qui m’a fait adhérer un peu plus à ce qu’il raconte, à ce décor qui n’est en général montré à la télé que quand il y a des visites officielles d’hommes d’état. Ici, il n’y a pas de gloriole, juste la tentative de survie et de servir un pays qui semble déjà si loin. Avec toute son expérience, Gilles Laplagne nous sert quelques séquences redoutables et angoissantes, avec des couleurs superbes, et réussit à investir l’héroïne de quelque chose d’attachant et à la fois bouleversant. Parti d’un mauvais a priori, j’ai apprécié cet album rude, entre embuscades et Grey’s Anatomy de campagne, avec les moyens du bord.


Flic à la PJ : tout démarre du vol de la voiture de Pierre Perret et devient une leçon de BD du réel et d’enquête policière

Résumé de l’éditeur : Quand il était enfant, petit Réunionnais, Ludovic n’avait qu’une idée : devenir inspecteur de police en métropole… Aujourd’hui retraité de la fonction publique, il nous confie dans chaque album l’évolution du rêve de ce petit garçon et nous fait vivre l’une des enquêtes qui l’a particulièrement marqué durant sa carrière, souvent du fait de la personnalité des bandits qu’il cherchait à attraper… Une immersion dans la PJ, au travers d’enquêtes réelles.

© Armoët/Corbeyran/Malisan

Alors là, surprise du chef. Sous une couverture, illustration impressionnante et dantesque, de Luca Malisan, mais répondant peut-être un peu trop aux canevas du genre que pour être originale, j’avais peur justement de me retrouver face à un récit policier routinier. Il n’en est rien et on le comprend très vite.

© Armoët/Corbeyran/Malisan/Zeppegno chez Delcourt

L’image est surréaliste : Pierre Perret au commissariat pour déposer plainte d’un cabriolet noir de 1955, « un vrai petit bijou ». C’est de cette manière que l’affaire policière commence à Évry et va tenir en haleine pendant six mois la police judiciaire. Ce vol n’était que la surface visible de l’iceberg, la porte d’entrée sur un trafic de drogue bien plus grand et à toute allure.

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L’histoire personnelle de Ludovic « Quoilafé » Armoët, elle, commence beaucoup plus tôt, à plusieurs centaines de kilomètres du chanteur de Lily, dans la Réunion sauvage et verte, où il faut travailler dur pour gagner sa croûte. Comment pourrait-on séparer le professionnel de l’humain ? C’est ainsi que dans ce premier tome de sa série autobiographique, en compagnie du scénariste Éric Corbeyran, le récit va se passer sur deux plans, entre deux époques. Et s’il est vrai qu’on ne comprend pas très bien cette démarche au début, on se prend à faire confiance aux auteurs quand ils décrivent un grand amour réunionnais mis à mal par des conditions sociales inconciliables.

Et cette part de prime adolescence, insouciante et sûre que tout est possible, va expliquer la force et d’où revient notre narrateur. Les choix faits sur son île vont rendre impossible l’accès à son rêve, devenir inspecteur de police. Et pourtant. Le parallélisme d’un Ludo, lieutenant, à l’autre, enchaînant les petits boulots et voulant ne rien devoir à personne, méritait d’être fait et donne de l’âme et de la conviction à cet homme revenu en métropole pour traquer les criminels en tout genre.

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Et sur base du vol de la voiture de Pierre Perret (puis de Michel Leeb!), voilà Ludovic (désormais retraité de la fonction publique mais toujours actif en tant que délégué police-population auprès de la direction départementale de la sécurité publique de la Gironde) qui nous entraîne dans ses souvenirs et ses mémoires. La méthode froide et unidirectionnelle est laissée de côté pour qu’entre les coups, au fil des situations, un décor ramenant à un autre, cet album de 62 planches fasse la part belle aux anecdotes et évocations humaines mais aussi professionnelles de notre homme. C’est tout le petit monde policier qui est décrypté, l’air de rien, dans une alchimie de cartouches et de cases qui sont indépendantes, ne racontent pas forcément la même chose mais se renforcent. C’est l’une des forces du Neuvième Art, quasiment inégalée par les autres arts, mais force est de constater, encore plus dans ce type d’ouvrage documentaire, qu’elle est trop peu souvent investie. Pourtant qu’est-ce que c’est utile et intelligent.

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Et c’est ainsi qu’on navigue dans cette traque qui préfère la vitesse de réflexion des hommes de terrain qu’aux performances réduites des véhicules des forces de l’ordre face à des bolides-cargos flirtant avec les 220 km/h. Du coup, outre l’action sur le terrain, en jonglant avec le cadre et les autorisations qu’un juge peut ou ne peut pas donner (notamment quand il est question d’interroger un banquier luxembourgeois sur les pratiques peu catholiques d’un de ses clients), beaucoup de choses se passent dans l’ombre: écoutes téléphoniques, planque, etc. De la besogne qui n’a pas toujours les effets escomptés mais que la fine équipe aux commandes de ce premier tome parvient à rendre passionnant et enrichissant, tout en faisant la nique aux clichés des fictions à grand spectacle, focalisée sur les courses-poursuites qui crissent. Ici, il faut faire profil bas…

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… et ne pas cacher sa fierté quand le suspect est pris. Parce que s’il y a des hasards, il y a beaucoup de travail et de patience, de persévérance. Le trait chaleureux, même dans les moments plus chauds, de Luca Malisan (avec les belles couleurs de Chiara Zeppegno) fonctionne en bonne intelligence avec le scénario terrible de Armoët et Corbeyran, qui ne se départit jamais de son humanité et considère ce polar à auteur d’homme plutôt qu’entre flics et voyous. Un album exemplaire, à montrer dans les écoles de BD… et pourquoi pas de police.

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Série : Médecins de guerre

Tome : 1 – Ligne de vie

Scénario : Patrice Buendia

Dessin et couleurs : Gilles Laplagne

Genre : Docu-fiction, Drame, Guerre

Éditeur : Dargaud

Nbre de pages : 46

Prix : 15€

Date de sortie : le 04/06/2021

Extraits : 

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Série : Flic à la PJ

Tome : 1 – Go Fast

Scénario : Ludovic Armoët et Éric Corbeyran

Dessin : Luca Malisan

Couleurs : Chiara Zeppegno

Genre : Autobiographie, Documentaire, Enquête, Policier, Thriller

Éditeur : Delcourt

Nbre de pages : 64

Prix : 15,5€

Date de sortie : le 18/08/2021

Extraits : 

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