De Charlie en charpies, six ans après, Coco veut dessiner encore et refaire surface

Avec sa signature qui pourrait représenter un personnage qui sourit, ses dessins satiriques toujours bien sentis, on n’imaginait pas qu’un jour Coco rendrait nos yeux si humides. Et pourtant l’Histoire est passée par là, dans ce qu’elle a de plus horrible, révoltant et injuste : un attentat, le 7 janvier 2015, décapitant les géants du poil à gratter en termes et en traits de dessin de presse. Charlie Hebdo. Coco, malmenée par les assaillants et obligée, dans un état second, de les mener au bureau de ses acolytes, en a réchappé… mais pas indemne. Dans le tsunami des émotions, elle a longtemps dû lutter pour échapper à la lame de fond. Jusqu’à cet album conséquent : Dessiner encore.

© Coco chez Les Arènes

Résumé de l’éditeur : L’attentat du 7 janvier 2015 tourne en boucle dans ma tête. Tout fout le camp en moi mais le dessin résiste…

© Coco chez Les Arènes

Après Luz, Catherine Meurisse mais aussi Philippe Lançon et bien d’autres survivants de l’irrationnelle et aveuglante cause des terroristes, qu’ils soient de Paris ou d’ailleurs, c’est donc au tour de Coco de nous livrer l’album qui l’a guérie et nous guérit à la fois. Dessiner encore, c’est un album de longue haleine qui remue ce qui fait mal depuis trop longtemps, depuis l’instant T où la vie de certains s’est arrêtée et celle d’autres a définitivement changé. En pilote automatique, entre les regrets, les souvenirs, les terreurs nocturnes, et cette légèreté (à Catherine Meurisse) inatteignable avec des pieds de plombs, les ailes sciées. Éjecter le trauma, mode d’emploi ?

© Coco chez Les Arènes

Il n’y en a pas et si elle doit se faire aider pour sortir de ce tunnel et retrouver un peu de lumière, un peu de bonheur, par des professionnels pas toujours aidants, Coco sait aussi que les œillères ne fonctionnent pas. Elle doit faire face à la vague à l’âme qui la fait suffoquer toujours plus. Sur cette thématique sous-marine qui revient sans cesse, comme le mouvement des marées, Coco évoque dans ce roman graphique (un exercice tout à fait différent et même peut-être le parfait contraire du dessin de presse qui a fait sa réputation dans Charlie Hebdo, Libération…) la difficulté de refaire surface quand votre monde a été englouti.

© Coco chez Les Arènes

Si elle retrace les faits, le plus pudiquement possible et avec le crayon aussi hagard que ses yeux sur le coup, sous les coups de feu, Coco temporise en début d’album pour faire place à l’univers de ses sensations. La bulle qu’elle se crée, faite de forêt ou d’un ciel sans limite, ne dure jamais longtemps, transpercée par un deuil suspendu à trop de questions. On ne peut pas oublier ces choses-là, il faut avec courage mais aussi résilience les affronter, les accepter. Aussi mal puissent-elles faire, aussi nombreuses soient les rechutes.

© Coco chez Les Arènes

Sans artifice mais avec une symbolique souple et évocatrice, belle et sombre à la fois, la dessinatrice réinvente son art pour tenir la longueur, sans rien perdre de la force de ses dessins one-shot mais en y alliant la mélancolie, le malaise mais aussi une poésie qui finira bien par être réconfortante. Dans le texte, si l’écho des punchlines du temps où Charlie était insouciant et s’attaquait librement à tout avec la même férocité (qu’on se prétende d’Allah ou de Dieu, qu’on soit de gauche ou de droite…) est bien là, Coco trouve les mots profonds et efficaces pour donner du répondant à ses dessins, une alchimie. Car si elle dessine toujours aussi bien, dans un réflexe de survie qui s’avouera payant, il lui faut surtout retrouver la parole, les mots vrais qui vont redonner du sens.

© Coco chez Les Arènes

Pour y arriver, Coco passe aussi par toute une série d’anecdotes perpétuant la mémoire de ses mentors, Charb, Cabu, Bernard Maris et les autres, qui avaient l’oeil éclatant et lucide, déconneur mais utile, jusqu’au dernier moment. Par ces instants retrouvés, des anecdotes souriantes, par ce retour sur les faits qui ont pu provoquer la haine d’extrémistes qui n’ont rien compris, Coco rend immortel le travail de ces hommes et femmes qui pensaient le crayon plus clairvoyant et ouvrant le dialogue (qu’on soit d’accord ou pas avec ce qu’il met en scène) qu’offensif et dévastateur. Au bout de ce sublime et fort témoignage, Coco réaffirme l’importance du dessin, de sa faculté à décomplexer les choses et à pouvoir faire sauter les verrous qu’on peut se mettre dans les circonstances innommables, à rebondir et à réunir autour de lui les créateurs et les lecteurs. En les responsabilisant et en les faisant s’entraider. Car si Coco soigne quelque peu les mots de nos sociétés, il y a fort à parier que chaque spectateur de cette renaissance rend toujours moins vaine cette échappée du cauchemar du 7 janvier 2015.

© Coco chez Les Arènes

Titre : Dessiner encore

Récit complet

Scénario, dessin et couleurs : Coco

Genre : Autobiographie, Drame, Psychologique

Éditeur : Les Arènes

Nbre de pages : 352

Prix : 28€

Date de sortie : le 11/03/2021

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