À coeur flambant rien d’impossible, Gess fait oeuvre de contraste dans Paris-la-Pieuvre plein d’âme et de drames

Dans le même univers tout en luttant contre la répétition, Gess continue son épopée chorale et solitaire dans un Paris aussi fantasmé que cauchemardé. Prenant comme héros des hommes qui n’en sont pas mais sont justes doués de pouvoirs étranges, l’auteur réussit une nouvelle fois à nous prendre dans ses filets, dans les tentacules d’une pieuvre à la psychologie de plus en plus riche, bien plus loin que les sombres desseins et faciles larcins des truands qui lui donnent corps.

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© Gess chez Delcourt

Résumé de l’éditeur : Ce n’était qu’un enfant quand son père l’a déposé à l’auberge de la Pieuvre. Il devait revenir… Célestin ne l’a jamais revu. Alors il est devenu le serveur de l’auberge. Le discret, l’invisible Célestin… dont personne ne soupçonne le talent. Mais parfois, le destin en veut autrement. Devenu détenteur du secret du Passage Vendrezanne, c’est seul que le jeune homme va devoir affronter la Pieuvre…

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Dos toilé, relent de vieux grimoire chéri, bien qu’ensanglanté et enflammé à chaque page, quand il nous arrive dans les mains. Nous voilà repartis dans le monde dantesque, gargantuesque des Contes de la Pieuvre. Des faits divers, plutôt. Cette fois, dans la famille de ces maudits personnages d’un Paris crasseux et maléfique, Gess en appelle à Célestin. Laissé à l’Auberge de la Pieuvre dès son plus jeune âge par un père parti mourir à l’écart, Célestin a grandi là, au milieu d’une famille hybride, entre prostituées, voleurs à la petite semaine et gangsters de grande envergure.

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Ce qui ne l’a pas corrompu pour la cause. Célestin reste un serveur de confiance, avec des valeurs et un don, ou un talent (comme vous préférez) qui lui permet peut-être de faire la part des choses: voir la véritable apparence des hommes bien habillés qui prennent possession de ses tables (et qui se révèlent être des espèces de crocodiles, à la mâchoire carnassière) et lire dans leurs yeux leurs intentions. Noires le plus souvent.

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Célestin est apprécié de tous, effacé, mais le jour où un spectre entre dans l’auberge sous la forme d’une petite vieille (que notre héros voit pourtant comme une jeune femme de grande beauté), fruit d’une vengeance perpétuelle et inarrêtable face à un haut responsable de la Pieuvre, L’Oeil, Célestin va devoir prendre son destin en mains. Car la démone, bavarde qui plus est (puisque récitant à l’infini les victimes de l’organisation criminelle) possède de bonnes raisons d’agir de la sorte et d’ôter la vie de tous les nourrissons se trouvant sur son chemin, qui mène au berceau de L’Oeil.

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Car le truand ne peut pas avoir d’enfant. Pas physiologiquement, mais violemment. Enfermé dans un cachot du passage Vendrezanne, le coeur explosé en mille morceaux de l’entité satanique (?) parvient toujours à se reformer, malgré tous les pieux qu’on y plante, et à s’échapper, les nuits d’accouchement censées donner à L’Oeil une descendance. Malgré toutes les tentatives de la conjurer, se terminant souvent en charnier, la malédiction opère toujours.

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Liant l’horreur au drame social qui voit une société ne donner voix qu’à certains de ses représentants, quitte à mettre à mort ce qui ne convient pas sur le principe du privilège du sexe, Gess livre une nouvelle fois un album remarquable, envoûté et marabouté pour que ce Paris qui semble si loin et si fantastique fasse bel et bien écho pour les lecteurs du XXIe siècle que nous sommes. Pourtant, dans les multiples ramifications et l’envergure chorale que prend ce récit, toujours bavard à bon escient (pas pour en rajouter des couches superficielles) mais lu d’une traite, l’auteur prend et nous donne du plaisir à nous perdre sur ce terrain de jeu connu mais réaménagé pour rendre le relief à la fiction.

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De la profondeur aussi quand il s’agit de s’engouffrer dans les égouts sans savoir si on en ressortira ou quand on assiste à la criminalité souterraine qui grouille autour de combats de catch super-héroïque. Ce monde, par petites touches, ne cesse de s’agrandir, de donner des pistes pour l’intrigue du moment et celles d’après. Comme dans cette case pleine planche qui, sans savoir si c’est un songe ou une vraie vision, voit passer des géants.

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Entre grâce et déferlement de sang bien senti, Gess continue de construire un incroyable édifice, l’oeuvre de sa vie qui pourrait durer des tomes. Car si l’intrigue trouvée ici est encore une fois fascinante de bout en bout, quelque chose continue de nous tenir en haleine : la puissance et le charisme de personnages qui sont bien plus complexes qu’on pourrait le croire, soulignant même ceux que la société paternaliste voudrait ne faire apparaître qu’en filigranes. Les femmes, par exemple, encore une fois.

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Elles ne sont pas loin de prendre le pouvoir. Ici, on s’attache même aux méchants et même les prétendus héros, une fois confrontés à un dilemme, peuvent décevoir. Chez Gess qui fait partie de ces auteurs qui consacrent formidablement la puissance de l’art séquentiel, tout est affaire de contrastes. Car oui, il n’y a ni gentil ni méchant, tout se mélange dans la gueule nauséabonde de ce Paris pourtant merveilleusement habité, rempli d’âmes, même damnées.

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Série : Un récit des contes de la pieuvre

Tome : Célestin et le coeur de Vendrezanne

Scénario, dessin et couleurs : Gess

Genre : Drame, Fantastique, Horreur

Éditeur : Delcourt

Collection : Machination

Nbre de pages : 200

Prix : 25,50€

Date de sortie : le 14/04/2021

Extraits : 

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