Racisme partout tout le temps. Quand une équipe de football tombe en finale d’un Euro après un parcours pourtant plus qu’honorable. Quand des hommes meurent lors de ce qui ne devrait être qu’une intervention policière de routine. À l’insu de notre plein gré, des mécanismes s’invitent dans nos comportements, y compris ceux qui en sont victimes. Car cette crasse qui empêche le vivre-ensemble s’infiltre depuis longtemps et peut-être la nuit des temps? Le conjurer, c’est avant tout comprendre sur quoi il s’est fondé, quels en sont les limites et les immersions borderline dans cette intolérance finalement généralisables à d’autres facteurs qu’une couleur de peau.

Résumé de l’éditeur : À de multiples reprises, Ismaël Méziane a vécu personnellement le racisme. En 2017, lorsqu’il visite l’exposition « Nous et les Autres » au Musée de l’Homme à Paris, c’est un véritable choc qu’il a aussitôt envie de partager. Il entreprend alors de réaliser une bande dessinée avec les deux commissaires de l’exposition, respectivement anthropologue généticienne et historienne. Sous forme de déambulation, il propose un mélange de réflexions personnelles et d’échanges avec ces deux spécialistes afin de comprendre en profondeur les mécanismes à l’origine du racisme.

Sous une couverture peut-être trop sage et thématique qui laissait craindre une leçon plus qu’une histoire de BD (mais l’art de la cover est bien difficile, et j’avoue que je serais bien embêté de me confronter à un tel exercice), force est de constater qu’Ismaël Méziane (la série Nas, Poids Plume) nous prend à contre-pied en mêlant autobiographie, essai et véritable aventure assez séduisante. Car depuis quelque temps un monstre le hantait. Celui qui avait même pris le regard et des paroles a priori innocente de sa compagne. Le racisme est une ombre qui, par des réflexes médiatiques et sociétaux qui prétendraient ne rien faire de mal, s’insinue dans des échos banaux. Qui ne le sont pas.

En perte de vitesse créative, Ismaël s’est donc réfugié en lui-même pour matérialiser ce sujet qui le hantait depuis longtemps, intériorisant les punchlines lui faisant remarquer qu’il serait toujours un étranger plutôt qu’un Français. Pourtant, c’est quoi être étranger ?

Dans un Paris pas fantasmé, l’auteur est allé chercher Éveline Heyer, professeur en anthropologie génétique, et Carole Reynaud-Paligot, historienne, pour comprendre comment ce drame permanent dans des sociétés dites évoluées, et pourtant de plus en plus tentées par les idées extrémistes, fait des victimes tous les jours, dans toutes les rues.

Catégorisation, hiérarchisation et essentialisation, voilà les mots-clés, les concepts à l’oeuvre dans la construction de ces schémas de rejets pour x ou y raisons et souvent dans la généralisation. Dans le nom qu’on donne à ses enfants, les relations amoureuses qu’on noue avec quelqu’un que les gens jugent « pas comme vous », les habitudes alimentaires ou encore des contrôles de papiers discriminatoires et incessants (on l’avait déjà vu dans le très chaud La force de l’ordre).

Petit à petit, en prenant le temps de faire des pauses et de se remettre les idées en place, parfois en compagnie d’un psy parfois dans le silence, Ismaël Méziane ne cherche pas à aller au fond du fond de son sujet mais à en vulgariser l’essentiel, en se disant que si nos sociétés comprennent déjà ce qui est dit ici, et y réfléchissent, ce sera déjà ça, un pas en avant. Transformant les graphiques en petit combat de manga, avec beaucoup de ferveur et d’expressivité, l’auteur réussit aussi à divertir intelligemment sur un sujet bouillant. Un très bon album sociologique qui apporte du frais là où nos médias traditionnels, dans leur gloubi-boulga, nous assomment de faits et de lieux communs, de photos de violence extrême, sans chercher toujours ce qui pourrait les éviter. D’ailleurs, dans le traitement de l’actualité Covid, n’a-t-on pas assister à une opposition de camp confinant à l’intolérance : quand on cherchait des responsables entre jeunes et vieux, que vax contre antivax (et masque contre anti-masques) se sont déclaré la guerre… et il y en a des dizaines. Sans doute, toujours, y’a-t-il mieux à faire en faisant force commune mais notre monde rend si confortable et moins fatigant de catégoriser les choses.

Titre : Comment devient-on raciste ?
Sous-titre : Comprendre la mécanique de la haine pour mieux s’en préserver
Récit complet
Scénario : Évelyne Heyer, Carole Reynaud-Paligot et Ismaël Méziane
Dessin et couleurs : Ismaël Méziane
Genre : Documentaire, Essai, Société
Éditeur : Casterman
Nbre de pages : 72
Prix : 16€
Date de sortie : le 05/05/2021
Extraits :