Alors qu’on attend désormais impatiemment ses prochains westerns en compagnie de Paul Gastine, il ne faudrait pas cantonner Jérôme Félix à ce seul registre, que du contraire. Véritable touche-à-tout, le scénariste fonctionne à l’émotion et au coup de coeur pour développer des récits qui, ici tout près ou loin là-bas, vous touchent tout en vous divertissant. Avec L’or du bout du monde, diptyque séparé entre deux personnalités, Laureen et Doug, c’est en compagnie de Xavier Delaporte, et sur les conseils de feu l’aventurier Philippe Esnos, qu’il nous embarque de l’autre côté du globe mais peut-être est-ce plus au bout de soi-même.

Résumé de l’éditeur : Laureen hérite d’un manuscrit ancien rédigé en espagnol et d’un magnifique collier. L’historien et explorateur Sir Burton comprend qu’elle détient le moyen de parvenir au trésor d’Atahualpa et ses 700 tonnes d’or soustrait au conquistador Pizzaro en 1532. Pour Laureen, ce trésor est l’assurance de pouvoir récupérer sa fille qu’elle a dû abandonner. Mais Burton s’empare du manuscrit et du collier et part seul à la conquête de l’or du dernier empereur Inca. Laureen n’a d’autre choix que de le poursuivre jusqu’au cœur des forêts de l’Équateur et de tous les dangers qui s’y tapissent.

Quand on parle de récit d’aventure, on pense à Indiana Jones, à Allan Quatermain ou encore Bob Morane, pour n’en citer que quelques-uns parmi ces héros sans peur et sans reproche, loyaux et ayant le goût du risque pour l’amour de la trouvaille, du surpassement, plutôt que des richesses. C’est tout l’inverse qui se passe ici dès lors que Laureen, depuis son Irlande catholique natale du début du XXe siècle, répudiée, fuit la bonne famille qui voulait lui trouver une faiseuse d’anges et se retrouve sans rien sinon quelques maigres affaires, un petit héritage, à récupérer dans un coffre de banque.


Et parmi quelques pièces, un sacré document dans une langue étrangère mais dont un mot resurgit : « Tesoro ». Sans équivoque. Il y a en Équateur, un trésor qu’elle n’ose imaginer et qui risque bien de bouleverser son quotidien d’infréquentable pourvu qu’elle mette la main dessus. Elle n’y arrivera pas toute seule.

C’est pourquoi, profitant du hasard qui met le roi des aventuriers, Sir Burton, sur sa route, Laureen s’adresse à lui, sûre de ne pas pouvoir trouver meilleur trouveur de fortune. Que nenni. Et ce n’est pas le dernier margoulin que Laureen va trouver sur sa route, forcée de faire le voyage jusqu’en Équateur et d’aller jusqu’au bout de ses surprises, ne pouvant faire confiance qu’à elle-même et devant se méfier de tout. Car une femme dans ce monde de brutes, ça peut aussi pousser certains aux crimes.

Dans ces deux albums, parus à un rythme rapproché (le premier en mars, le second en juin), Jérôme Félix a pu s’appuyer sur l’expérience de l’aventurier Philippe Esnos (décédé il y a quelques mois et à qui chaque dossier en fin d’album rend hommage et retrace les périples méconnus et pourtant intenses) pour concocter ce récit dur-à-cuire et éprouvant, renouant avec la fièvre et la folie de l’or. Car sur le terrain, dans la moiteur et les pièges de la jungle, c’est face à soi-même qu’on se retrouve. Ce prêtre qui pense plus à l’argent qu’à la foi pourra vous le dire. Ceux qui ne sont pas revenus de leurs ascensions en haut des dizaines de monts végétaux de ce pays, eux, se tairont à jamais.

Relativisant la quête du trésor, les deux auteurs livrent cent planches qui renouent moins avec la pure aventure spectaculaire qu’avec celle qui rend malade et obsessionnel, dont vous ressortirez peut-être riche (et encore) mais pas indemne. Le duo n’a pas eu peur de délaisser son héroïne pour passer le flambeau à quelques hommes plus ou moins de bonne volonté, mais voulant tous être calife à la place du calife ou empereur inca.

Dans l’intime et la contemplation, dans des couleurs verdâtres de Sébastien Bouet qui incitent au malaise et l’inquiétude, Xavier Delaporte réussit une belle partition, suante et tannante, burinant les visages et marquant les expressions, entre cris et dernier souffle. Avec quelques visions d’horreur et plus d’infortunes que de fortune. Il vaut parfois mieux laisser l’or dormir.
Série : L’or du bout du monde
Tome : 1 – Laureen et 2 – Doug
Scénario : Jérôme Félix
Avec les conseils de Philippe Esnos
Dessin : Xavier Delaporte
Couleurs : Sébastien Bouet
Genre : Aventure, Drame
Éditeur : Grand Angle
Nbre de pages : 56 et 64
Prix : 14,50€
Date de sortie : le 03/02/2021 et le 23/06/2021
Extraits :