Plus qu’un livre, plus qu’une histoire, Kérozène est le récit de vies qui se croisent. De destins qui vont tous vivre un instant en commun avant d’à nouveau voguer sur leur propre océan. C’est comme dans les films de Claude Lelouch (que j’affectionne particulièrement) où les personnages vont tous converger vers un seul et même point dans le temps et dans l’espace… pour ensuite à nouveau se séparer. Ce n’est pas vraiment une histoire, ce sont des histoires de vie, des nouvelles si vous préférez. Mais qu’est ce que j’aime la plume d’Adeline Dieudonné. Nombreuses sont les phrases qui trouvent écho en nous. Très joli, très touchant, très différent.
« Une station-service le long de l’autoroute, une nuit d’été. Sous la lumière crue des néons, dans les odeurs d’essence et d’asphalte, quelque stables en plastique jaune délavé.
23h12. Ils sont quinze à se croiser, si on compte le cheval et le cadavre planqué à l’arrière d’un gros Hummer noir.
Une minute encore, et tout bascule…
Adeline Dieudonné se joue des codes avec une irrésistible audace. Kérozène est drôle comme une comédie, tendu comme un thriller, mordant comme le réel. »
C’est tout un monde qui se croise dans cette station service des Ardennes belges, cette nuit où la chaleur s’éternise. En fait, Adeline Dieudonné a réalisé un grand fantasme pour certains d’entre nous. Je suis certaine que vous aussi vous y avez déjà pensé. Lorsque votre train ou votre avion a du retard, que vous avez quelques dizaines de minutes à patienter dans ces lieux de grand brassage humain… Vous regarder les gens qui passent, et vous vous interrogez. Sur leur vie, sur l’endroit d’où ils viennent, sur l’endroit où ils vont et sur les raisons de leurs voyages.
Moi aussi ça m’arrive de leur inventer des vies, des raisons plus ou moins honorables, des parcours atypiques ou particulièrement tristes, heureux, bohèmes. Et c’est à ça que joue Adeline Dieudonné dans Kérozène… Mais avec un talent que beaucoup n’ont pas.
« Ce n’est pas qu’il n’aimait pas les enfants, c’est juste qu’il trouvait que la vie des gens avec enfants avait l’air triste et compliquée »
« Elle roule. L’esprit tendu vers ces humains qu’elle ne connait pas encore mais qu’elle aime déjà »
Et dans cet univers impersonnel où le trajet, le destin se mettent en pause, pour un café, pour un besoin urgent, pour faire un plein d’essence ou de nourriture… les acteurs de ce roman prennent vie. Ils prennent de l’épaisseur. Et Adeline Dieudonné, comme si elle tournait sa caméra sur chacun d’eux, nous offre un zoom de leur parcours, de leur être, de leur destinée. Et tout prend sens, chacun prend sa place.
Ne cherchez rien d’autre que la vie qui s’exprime dans ce roman atypique. Que des instants et des secrets que l’on a réussi à entrevoir, le temps d’une pause sur une station essence, la nuit, au milieu des Ardennes.
J’ai adoré… J’aimerais passer encore un peu de temps en compagnie de Julie, d’Alika… Leur dire que ça va aller, qu’elles peuvent y arriver. J’aimerais ouvrir la porte du van de Red Apple et lui dire de s’enfuir loin, très loin. J’aimerais dire à Loic de prendre confiance en lui, qu’il vaut mieux que ça. Et j’aimerais conduire Monica au Luxembourg, avant que 23h12 ne sonne…
J’ai adoré ces instants dévoilés, ces vies racontées, cette pause dans le devenir de chacun.
Chroniqué pour vous de la même auteure :
L’émotion véritable qu’est la lecture de la Vraie vie
Titre : Kérozène
Editions : L’Iconoclaste
Sorti le 1er avril 2021
Nbre de pages : 258
Prix : 20 €