Bon ok, il a fait très froid, il y a quelques jours, dans nos contrées, mais depuis les températures ont drastiquement augmenté pour dépasser les moyennes de saison; cela dit, ce n’est pas près de s’améliorer au Groenland. Réchauffement climatique ou pas, dans ce pays de glace, le piège de la froideur est tendu, froideur humaine mais aussi austérité des relations politiques et d’influence qui dirigent ce lopin de terre toujours soumis à la déférence envers le Danemark. Ça tombe d’ailleurs bien, nous arrivons juste au moment pour assister au folklore millimétré, en habits traditionnels inuits et avec le sourire s’il vous plaît, accueillant la visite exceptionnelle de la Reine. L’occasion pour Morten Dürr et Lars Horneman de nous entraîner dans une histoire longue et courte à la fois.

Résumé de l’éditeur : Pipaluk vit au Groenland, entre les bateaux de pêche, les maisons de bois rouge, l’école et la maison. À la maison, il y a sa grande soeur Ivalu, qui sent si bon, et son vieux père, qui boit tant de bière. Et ce matin, jour de fête nationale, jour de la visite de la Reine… Ivalu n’est pas dans son lit. Assoiffée de liberté, Ivalu est partie.


Ivalu, dans une couleur bleu comme la mer (dans laquelle on ne vous conseille pas de vous jeter) qui borde cette île du Groenland, s’ouvre comme dans un film. Rythmé par les interstices bordant les cases et les plans fixes: le paysage sauvage, la mer, la montagne puis la présence humaine qui s’insinue par un bateau blanc, des maisons typiques et multicolores puis la fête qui se prépare. Oh, la fête, c’est un grand mot, on ne sent pas que les autochtones et le coeur à la fête pour célébrer la puissance étrangère. La fête nationale, quelle blague.


Corbeau, blanc sur fond noir, noir sur fond blanc, neigeux, ça tranche, mais est-ce un signe d’espoir ou de désespoir? Une occasion de fuir à tire d’aile une réalité inconfortable ? Pipaluk va être fixée. Sitôt que l’oiseau a frappé à sa fenêtre, oubliant le protocole, Pipaluk le suit. Peut-être a-t-il une idée d’où est passée sa soeur (si on ne lit pas le résumé de cet album, qu’on en conserve tout l’énigmatisme, on peut même imaginer que c’est sa mère, un temps) ? Oh, elle ne doit pas être loin, nichée dans le décor à perte de vue, là où elle a emmené Pipaluk à l’aventure, dans l’action ou la contemplation: un peu de bonheur pour oublier la dureté de leur monde, de cette île rocailleuse. Mais voilà notre héroïne, peut-être seule pour la première fois, emmenée dans des recoins qu’elle n’avait pas encore explorés. Son père, lui, imbibé, se dit qu’elles reviendront.


À l’économie des mots mais pas des demi-mots – qui inciteront sans doute à une relecture dans la foulée – et des images baignées de soleil, les deux auteurs du cru (qu’ils évoquent, donc) offrent une fuite en avant, 128 planches qui se lisent en une quinzaine de minutes. Tanguant entre le passé et le présent, le réel et l’irréel (rêvé ou monstrueux, Munch n’étant pas loin: spoiler), les dessins pleine-planche ou un gaufrier à deux ou trois cases, voilà un récit qui cache bien son jeu machiavélique (et pourtant sans esbroufe, aussi saisissant que d’une banalité crasse en ces lieux reculés), mordu par le froid, implacable dans sa portée sociale et politique. Pendant que le corbeau reprend son vol; nous, lecteurs, restons cloués au sol, réfléchissant longtemps, bouleversé par la simplicité de l’enfer, révélateur de bien des mal-être.


Attention, cependant, le site de l’éditeur Sarbacane (qui fait un travail admirable, disons-le encore et encore) en dit peut-être trop sur son site à propos des thématiques développées.

Titre : Ivalu
Récit complet
Scénario : Morten Dürr
Dessin et couleurs : Lars Horneman
Traduction : Catherine Renaud
Genre : Drame
Éditeur : Sarbacane
Éditeur VO : Cobolt
Nbre de pages : 128
Prix : 19,50€
Date de sortie : le 08/01/2021
Extraits :
Un commentaire