« Plus tard, je veux être écrivaine à succès, couronnée par le Renaudot. Ou alors, peut-être caissière ? » C’est sûr qu’entre ces deux perspectives, alors que la deuxième force peut-être le plus l’admiration, on ne cracherait pas sur la première. Sauf que l’imagination fertile, qui vous conduit dans des mondes inventés ou des réalités fantasmées, peut vous jouer des tours. Dans leur premier album à quatre mains, les soeurs Anne-Laure et Naomi Reboul relatent l’étrange et inquiétante aventure d’Iris, divisée entre la nuit et la journée, entre ce qu’elle pense être et ce qu’elle croit ne pas être.

Résumé de l’éditeur : Iris a réussi sa vie : trois romans plébiscités, un mari éditeur attentionné, un appartement confortable au cœur du Quartier latin… Et pourtant, alors qu’elle s’apprête à recevoir un important prix littéraire, un mauvais rêve vient assombrir ce bonheur sans nuage. Chaque matin, elle se réveille avec la très nette sensation de vivre, la nuit, la vie d’une autre version d’elle-même, un double déchu, abîmé, au bord du gouffre, une Iris des mauvais choix et des galères, une Iris de la France d’à côté. Et si ce cauchemar n’en était pas un ? Si cette vie d’écrivaine à succès n’était qu’une illusion ?

J’ai toujours été convaincu que se trouver était une question de chance, d’astres alignés pour éclairer notre destinée professionnelle, en espérant qu’elle soit passionnelle. Tout le monde a un talent mais il faudrait pouvoir avoir une machine à voyager entre les destins, aussi nombreux que les lignes de nos mains, pour apprendre à le réaliser, à s’épanouir dans ce pourquoi on est fait mais que nous ne découvrirons peut-être jamais. On a tous des rêves qu’on ne suit pas. Puis, certains ne sont pas implantés dans le bon écosystème, pas le bon moment ou pas le bon endroit. Ou les deux à la fois. Contrebalancé entre s’épanouir ou s’évanouir, pour avoir envie ou non que les jours et les nuits se ressemblent.

Le réveil. Oh, Iris n’en a pas eu besoin pour se réveiller, elle l’était déjà par une sordide odeur. Encore saoul, son mari a évacué le trop-plein en déféquant au lit. Quel bon à rien que les cures de désintoxication ne parviennent pas à soigner. Alors, tant pis pour le ménage soudé, et l’équilibre de leur gamin déjà déséquilibré, Iris va mettre Bertrand à la porte une bonne fois pour toutes. Enfin, elle l’espère. Ce n’est pas lui qui tirera sa vie de misère vers le haut. Chaque jour est un recommencement, à sourire au client et aux articles qui s’accumulent sur le tapis roulant, alors que son existence elle ne lui sourit pas.

Ouf, ce n’était qu’un cauchemar. Iris se réveille, regarde son mari, paisible et bien plus distingué, sentant bien meilleur aussi, que Bertrand. Iris est toujours en lice pour le Renaudot et ça s’annonce sous les meilleurs auspices. Rien à craindre, éditeur, mari, cour éditorial et médiatique sont à ses petits soins. Pourtant, d’heures de sommeil en heures de sommeil, son double refoulé prend le pouvoir, plus vrai que nature et literie. Une maladie ? Un malaise en tout cas qui pousse Iris des cimes aux bas-fonds, à risquer sa carrière, si pas plus. D’ailleurs, elle ne trouve plus rien à écrire. Tandis que l' »autre » trouve dans l’écriture un exutoire, même si elle doit se cacher face à un Bertrand qui veut reprendre le pouvoir, c’est-à-dire l’écraser. Qui est qui ? Iris en panne d’inspiration peut-elle voler à l’autre ce qu’elle tient pour un chef-d’oeuvre. Est-ce la chance du débutant ou faut-il vivre pour savoir écrire vrai et pas uniquement pour plaire aux jurys.

Sur le même thème, Ces jours qui disparaissent de Timothé Le Boucher ferait office de blockbuster fantastique. Iris se veut plus être dans la démarche du film d’auteur, sans ingrédients fantastiques, juste des rêves et des cauchemars qui se mêlent et provoquent le chaos. Dans ce thriller entre me, myself and I (qu’on imaginerait d’ailleurs bien campée par une Émilie Dequenne), les deux auteures réussissent à installer la tension, la pression et la monotonie d’une répétition, d’une vie à l’autre, avec des acteurs présents d’un côté comme de l’autre du lit et des individus n’existant que dans une partie ou dans l’autre. Le suspense tient dans un mouchoir de poche mais subsiste, survit tout au long de ces 188 pages, se renforçant jusqu’à une fin ouverte courageuse et brillante. Du silence à la colère, du succès à la ruine, Anne-Laure Reboul signe un scénario impeccable, auscultant les affres de la création et la force des rêves ou des cauchemars, exprimant la terreur de ne pas savoir faire mieux au prochain rendez-vous et posant la question : une fois la voie choisie est-on condamné à la suivre jusqu’au bout ? Délicate dans des décors répétés et banals, nourrissant des scènes de dialogues dont on sait qu’elles peuvent être le calvaire des dessinateurs, Naomi Reboul trouve, elle, toujours les bonnes solutions, intimes, pour nous tenir en haleine entre ces deux destins qui n’en forment qu’un. Et dont la couverture est parfaite.

Titre : Iris, deux fois
Récit complet
Scénario : Anne-Laure Reboul
Dessin et couleurs : Naomi Reboul
Genre : Drame, Thriller psychologique
Éditeur : Sarbacane
Nbre de pages : 188
Prix : 24€
Date de sortie : le 03/02/2021