
Ces jours qui disparaissent, c’est le magnifique titre de l’album (qui l’est tout autant) que Timothé Le Boucher vient de publier. Un roman graphique de près de 200 planches qui nous entraîne sur la pente dangereuse du dédoublement de personnalité. Un malaise schizophrène qui va empirer pour notre acrobate et héros bien malgré lui puisque l’autre va prendre de plus en plus de place et de temps de présence… et pas qu’à l’écran. Une histoire fascinante et au dénouement inattendu qui valait bien une interview à Bruxelles (ville qu’il avait adorée lors de ses six mois d’Erasmus à Saint-Luc) avec cet auteur qui entre manga et franco-belge a de beaux jours devant lui qui, eux, apparaissent ! Avec en plus de jolis bonus confiés par Timothé et dont on a pris grand soin pour vous les montrer.

Bonjour Timothé, vous nous revenez avec un troisième album au titre très poétique et tellement en adéquation avec le contenu. Ce titre, était-il là dès les prémisses ou est-il arrivé sur le tard ?
Quand je commence une histoire, je range toujours mes dessins préparatoires dans des dossiers dont je choisis le nom rapidement. Certains titres changent, celui-là est resté.
Restons sur la couverture. On plonge dans le regard de votre malheureux héros, dans son reflet dans l’eau. Une scène qui n’est pourtant pas dans l’album…
C’est vrai, c’est de l’ordre de la métaphore. Cette couverture, c’est un peu un rêve qui illustre bien le ressenti de Lubin face à cet autre qui prend sa place petit à petit, ce manichéisme ambiant. Lubin rend diabolique son autre. Et cette eau, ce reflet, c’est un peu l’opposé de Narcisse.

Un reflet, une personnalité qu’on ne saisit que par ce qu’en sait Lubin (le vrai… le faux… qui était là le premier, on ne sait pas), et principalement parce que l’inconnu veut bien dire de lui par Skype !
J’aime les histoires « à point de vue », raconter par ellipse, insinuer des choses sans les marquer, c’est plus impactant. Je voulais faire ressentir ce que ça faisait de devoir vivre avec un personnage dont on sait peu de choses.
Mais comment vous est venue cette histoire d’acrobate qui va devoir partager sa vie ?
J’ai pris conscience de mon idée de départ, sous-jacente à tout mon récit, lorsque je suis sorti des Beaux-Arts d’Angoulême, que j’ai atterri dans la « vraie vie ». Après les études, on ne fait plus ce qu’on veut mais ce qu’on veut. À l’époque, j’avais le choix entre deux voies : essayer de vivre de mon art, de ma corde créative, faire la connaissance de Pôle Emploi, démarcher des éditeurs et expérimenter un monde où la BD est mal considérée… ou trouver un boulot plus sûr et stable. J’ai choisi la voie créative. Comme Lubin qui est un hédoniste et un rêveur qui vit pour sa passion et qui va voir un inconnu plus ambitieux tendre à faire disparaître sa part créative. Le plus pragmatique des deux essaie de prendre le pouvoir, en quelque sorte.

Et il y a cette méfiance vis-à-vis des disciplines artistiques, on ne les prend pas au sérieux. Et quand vous direz que vous êtes auteur de BD, combien de personnes vous répondront : « oui, mais ton vrai métier? »
On vous le dit encore ?
Ça a été assez régulier pendant un bon moment. La principale préoccupation des gens, c’est « et vous arrivez à en vivre ? ». Cela dit, maintenant, en étant publié chez Glénat, ça s’atténue, ce que je fais prend de l’ampleur.

Mais qu’est-ce qui a orienté votre choix vers la voie artistique ?
Depuis tout petit, non seulement, je dessine, mais je réalise des bandes dessinées. Pourtant, j’étais entouré de seulement deux ou trois albums, nous n’achetions pas de bandes dessinées – et je n’en demandais pas -, mais je les recopiais. Dès 13-14 ans, au collège, je faisais de la BD. Je voulais raconter des histoires et le dessin était le meilleur moyen que j’avais trouvé.
Et dans vos lectures ?
Plus, tard, une amie m’a fait découvrir les mangas. Depuis, j’ai lu beaucoup de choses… jusqu’au moment où je suis arrivé à Angoulême, dans cette grande librairie dont je pouvais me nourrir des rayons sans les épuiser.

Ceux qui m’ont inspiré ? Je dirais Tezuka pour sa narration et les idées qu’ils développent, Otomo, Urasawa mais aussi Manara.
Et votre trait ?
Une lente évolution. Il est inspiré de plein de choses, d’un amour pour le dessin iconique mais surtout de la recherche d’une narration devant être la plus efficace possible. Puis, non-négligeable, il y a tous ces auteurs pour lesquels je me suis empressé de lire l’intégralité de leur oeuvre pour ensuite digérer et diluer.
Êtes-vous plutôt perfectionniste ou lâchez-vous prise ?
Pour tout dire, j’ai recommencé les vingt premières planches de cet album. En vrai, je pourrais perpétuellement recommencer… mais je m’en empêche, c’est mieux. Je préfère me tromper et évoluer. Cela dit, je ne suis plus spécialement fan de mes premières oeuvres, j’ai évolué, je les ai réalisées quand j’étais encore à l’école !

Si je comprends bien, cette histoire vous la traînez depuis un moment.
Pas tant que ça. Depuis deux ans. Si je compte tout le travail mis bout à bout, ça m’a pris neuf mois de réaliser cet album… avec 120 planches réalisées sur les trois derniers mois.
Les cinq premières planches sont muettes.
J’ai essayé de placer des séquences d’acrobatie, de suspendre le moment un instant, plusieurs fois dans le récit et d’être dans l’expressivité la plus totale du dessin.

Avez-vous rencontré des difficultés ?
Tout est plus facile après le découpage, je n’ai pas eu de difficulté majeure. Après, il a fallu caser toute la vie de mon personnage qui vieillit au fil des planches, sélectionner. Certaines choses ont du être coupées, ou plutôt induites en n’apparaissant par le dessin, en se servant des ellipses.
L’évolution des personnages :
Votre histoire est troublante. Je n’arrive pas à déterminer face à du fantastique ou du réalisme…
(Il esquisse un sourire) On est clairement dans le fantastique. Un homme qui vit un jour sur deux et partage son temps d’existence avec une autre personnalité. À ce point, ça n’existe pas. Ce trouble n’est pas rythmé de manière aussi redoutable. Cela dit, j’y ai apposé un traitement réaliste, j’ai vraiment été voir des psychologues pour les mettre face à la situation que j’avais imaginée. Une manière de rationaliser ce qui arrive à Lubin.

Jusqu’au moment où cet ennemi intime va prendre de plus en plus d’espace et de temps, avec ce tournant. Dans votre scénario, comment l’avez-vous situé ?
C’est toute une structure, il fallait rythmer l’histoire mais aussi la relancer avec ce moment fatidique où l’autre va parvenir à annihiler la personnalité de notre héros. Ainsi, j’avais prévu que le milieu de l’album amène cette rupture, cette disparation.
Et vous, vous auriez réagi comment ?
Sans doute aurais-je été plus combattif que Lubin qui va, lui, chercher toutes les manières de se venger de l’autre, de l’anéantir mais va aussi vite se résigner.


Jusqu’à la fin inévitable et pourtant inattendue.
C’est difficile de trouver une fin. J’essaie toujours de déjouer les attentes des lecteurs. J’aime trop en tant que spectateur affronter une fin à laquelle je ne m’attends pas.
Le tout au bout de 190 planches. Vous ne faites jamais court ?
Disons que j’adore avoir de la place pour raconter.

Enfin, j’imagine que petit, vos albums faits main étaient plus court, non ?
Hé bien, même pas. Je me souviens d’un album confectionné qui faisait 160 planches. Un autre de 80 pages. J’ai dû apprendre à synthétiser aux Beaux-Arts quand j’ai été mis au défi de réaliser un récit sur… quatre planches. Je ne savais pas comment m’y prendre mais j’ai appris à raconter l’essentiel.
Mais, aujourd’hui, j’adapte le nombre de pages à l’histoire que je veux raconter. Pour faire un 48 ou un 54-planches, il faudra que ce soit le parti pris qui sous-tendra l’histoire. Le prochain sera un peu moins long, 140 planches.
Et ça racontera…
La rencontre d’une psychologue de 49 ans, victime d’un syndrome post-traumatique, qui va se retrouver avec un garçon comme patient qui est le seul rescapé d’un massacre familial perpétré par sa soeur. Après quoi, il est resté dans le coma durant de longues années. Entre les deux, une grande complicité va se nouer, la psychologue va le créer, échanger, être son Pygmalion… jusqu’à en tomber amoureuse. Ce récit revêtira une atmosphère polar, la psychologue va hypnotiser le garçon pour qu’il puisse se souvenir de ce qu’il s’est passé le jour où tout a basculé et il va se rendre compter que sa soeur n’était pas toute seule, ce jour-là…
Ça promet ! Merci beaucoup Timothé et belle continuation dans ces beaux jours qui apparaissent.
Titre : Ces jours qui disparaissent
Scénario, dessin et couleurs : Timothé Le Boucher
Genre : Fantastique, Thriller Psychologique
Éditeur : Glénat
Nbre de pages : 192
Prix : 22,50€
Date de sortie : le 13/09/2017
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