Dans la série Comic book is the new novel, les Éditions Jungle, et plus largement le groupe Steinkis (dont l’éditeur Philéas vient de sortir ses deux premiers albums adaptés de Michel Bussi et Franck Thilliez, nous y reviendrons), ont pleinement investi le champ des adaptations de romans et d’histoires bien connues en art séquentiel. Au fil des saisons, de nouveaux flots de bandes dessinées aux personnages inspirés de faits fictifs mais sans images jusque-là font leur apparition dans les rayons des libraires. Chez Jungle, dans la collection pépites notamment, la part belle est faite à la jeunesse, souvent accompagnée en fin d’ouvrage par un dossier didactique et ludique. L’un des derniers exemples en date: L’homme qui a séduit le Soleil, né de la plume de Jean-Côme Noguès et mis en scènes et cases par Maxe L’Hermenier et l’intense Éric Liberge.

Résumé de l’éditeur : Chaque matin, Gabriel quitte le misérable réduit qu’il occupe sur les bords de la Seine et retrouve l’effervescence du Pont-Neuf. Là, parmi les bonimenteurs et les vendeuses de fleurs, il improvise quelques scènes de commedia dell’arte pour gagner de quoi se nourrir. À l’écart, Molière l’observe… Et décide de l’engager dans sa compagnie. Désormais, le rêve le plus fou de Gabriel semble possible : jouer avec Molière devant le Roi-Soleil.

Il y avait en fait deux Soleils. L’un par la passion, l’autre par le pouvoir. L’un qui prend la vie comme elle vient, l’autre qui la prend comme on règne, selon le protocole et les devoirs, plus que les droits. De Louis XIV ou de Gabriel, qui est le plus prisonnier de sa condition, entre n’avoir rien mais pouvoir tout et avoir tout et ne pouvoir rien en dehors de la ligne de conduite qui est tracée.

Le rêve artistique est vieux comme le monde et si les artistes ont de plus en plus de mal à s’en sortir, il fut un temps, des temps même, où quand on venait du petit peuple qui s’échine à gagner sa croûte, chanter ou faire l’acteur n’était pas un pari plus risqué que d’aller au champ ou de faire la manche parmi les misérables de Paris. Gagner sa vie s’acquérait de haute lutte. Dans son roman de 2008, Jean-Côme Noguès racontait à la jeunesse la vie dans le Paris de la deuxième moitié du XVIIe siècle et à travers le destin d’un jeune orphelin qui se révélerait en bête de scène. Et le choc du monde que cela peut provoquer quand la misère s’approche du soleil, qu’elle ne s’y brûle pas mais s’y réchauffe le coeur et y intensifie ses ardeurs. Car, malgré l’entourage féminin et jaloux de son protecteur, Gabriel va être pris sous l’aile d’un certain Jean-Baptiste Poquelin, alias Molière.

Du pont de l’île de la cité au château de Vaux-le-Vicomte, du soleil levant à la Lune qui fait croire aux rêves les plus fous, dans la symbolique et les détails historiques, on a l’impression que Maxe L’Hermenier se laisse porter par l’histoire de Noguès, sans y mettre sa patte et en faire une vraie BD qui existe en tant que telle. C’est un peu dommage alors que le romancier avait livré une jolie histoire de ne pas avoir poussé un poil plus loin la folie et l’excitation de cette plongée dans l’histoire via le destin d’un jeune héros qui n’a rien à perdre. Après un début mou, heureusement, tout se décante et Éric Liberge engage toute sa grâce et sa voltige. Son amour.

Peu habitué aux exercices visant un public plus jeune, Liberge ne cherche pourtant pas à s’adapter mais fait ressentir toute la vie de ses matières, de ses détails, entre l’histoire inventée et les coulisses du pouvoir, cette guerre d’influence entre Nicolas Fouquet et Sa Majesté. Ça fait plaisir de voir Liberge dans un registre moins averti. De l’ombre à la lumière, du morne au multicolore et aux feux d’artifice, le dessinateur livre une partition une nouvelle fois haut de gamme. Dommage que le scénario soit donc un peu dans la retenue pour pleinement embarquer les premiers lecteurs. Pour le reste, plus de 450 ans après les faits racontés, si la société s’est modernisée, les thèmes présents ici sont bien universels et ne manqueront pas de faire écho dans les têtes des (pré)adolescents.

Titre : L’homme qui a séduit le Soleil
Récit complet
D’après le roman de Jean-Côme Noguès
Scénario : Maxe L’Hermenier
Dessin et couleurs : Éric Liberge
Genre : Drame, Histoire, Jeunesse
Éditeur : Jungle
Collection : Pépites
Nbre de pages : 56
Prix : 14,95€
Date de sortie : le 22/10/2020
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