Après avoir fait la part belle à l’ours, Jean-Claude Servais se réattaque au loup (après Lova, il y a quasiment trente ans). S’attaque? Non, s’attache. Dans Le loup m’a dit, précipitant le livre de la jungle et de la forêt dans la ville des hommes, l’Ardennais livre le portrait de trois humains et un loup, immuables, dans un monde qui change à vitesse grand V, incontrôlable même s’il fait sourire les industriels. Dans la perte de repère et de sens qu’il convoie sur la ligne du temps qu’il remonte, Jean-Claude Servais bâtit un manifeste, un essai pour retrouver le loup qui est en nous, adulé puis haï, exterminé. Et si on retrouvait le goût de la nature ?
Si, en Belgique, le maintien de l’ouverture des librairies est prévu lors de ce deuxième confinement; en France, les nouvelles mesures ont acté leur fermeture. Alors, pensez au click & collect 🙂

Résumé de l’éditeur : Dans les yeux d’Ambre, une enfant qui grandit de la Préhistoire au monde moderne, la vieille Loba creuse le temps pour raconter l’histoire du loup dans un album presque chamanique, qui relie le conte à la réalité documentaire, le réel à l’imaginaire.

Tout commence dans les temps immémoriaux, du moins pour l’humain. Car la nature, comme l’eau, se souvient. La pierre et l’herbe sont à mémoire de forme, d’esprit. Et dans la prairie, avec un pagne cousu dans le tout-venant, c’est un petit peuple qui se lève, agite ses sagaies pour trouver de quoi subsister. Le plus vieux des hommes parle avec la voix de la sagesse, le respect de la faune, qu’elle soit victime ou prédatrice, pour que chacun trouve sa place, sans empiéter sur l’espace de l’autre. Corbeaux, loups, chevreuils, etc. C’est là qu’émergent Louis, Charles et Ambre, le personnage-fil rouge de cette histoire.


Ambre, fille du Monde Vert qui va devoir se faire sa place dans le « nouveau » monde qui peu à peu s’installe, entre les hommes qui ont les moyens de l’attirer ou les charmes de la séduire. Le feeling contre l’argent. Il faudra du temps, des siècles pour qu’elles s’épanouissent, trouve le mari idéal, celui-là qui acceptera la présence d’un loup dans sa maison.

C’est un album médit’actif que livre Jean-Claude Servais dans ces 64 planches, contemplatif aussi jusqu’à un certain point. Ainsi, chemin faisant, défilent les temps, de la préhistoire à nos jours (sur le seuil de la cabane de l’énigmatique Loba, à la Roche à l’Appel, près de Florenville), en passant par les Gaulois et les grandes guerres. Ou comment l’homme, plus que s’y adapter, a rendu son environnement esclave de ses envies, des folies surtout, de sa quête du pouvoir et de la puissance, de la richesse et du contrôle des masses. Avec le sourire qui dit: « allez viens, laisse-toi faire, ce sera bien ».

Si bien que des figures auparavant vénérables, élevées au rang de dieu et d’ami-collègue (du loup descend le chien qui a fait entrer l’homme dans la génération des éleveurs), sont passées du côté obscur de la force, par la seule imagination humaine, qui a créé de nouvelles croyances pour discréditer le compagnon d’autrefois et mieux avancer sans regret dans l’ère de la toute-puissance technologique. Les reliquats du monde sauvage? Au zoo ou sous les balles !



L’urbanisation galopant, Servais trouve pourtant toujours un coin pour se rappeler au vert, aux prairies, sous les couleurs tellement vivantes et vivaces de Guy Raives. Au fil des pages, c’est à un exercice de vulgarisateur synthétique que Servais se livre, à un essai croisant histoire et aspects sociaux sans oublier d’investir toutes ses émotions, ses ressentis, sa colère (beaucoup) et ses espoirs (pour peu qu’on leur laisse place). Se révélant un peu plus en grand mystique connecté à sa terre, l’auteur humaniste surprend quand – à l’heure de rencontrer l’énigmatique Loba, à notre époque, la boucle étant bouclée – il met fin à ce qui était en fait la première partie d’un récit dont on se demande ce que racontera la seconde partie.

En tout cas, dans cet album, dans cette manière de relativiser notre place dans l’univers et sur notre Terre, on s’est trouvé comme dans un cocon, bien. Parce que Servais a ce don incroyable de capter aussi bien les attitudes et physionomies des animaux mais aussi des humains, même s’il a appris à les aimer un peu moins.

Titre : Le loup m’a dit
Partie : 1/2
Scénario et dessin : Jean-Claude Servais
Couleurs : Raives
Genre: Drame, Histoire, Réflexion
Éditeur: Dupuis
Collection : Aire Libre
Nbre de pages: 80
Prix: 17,50€
Date de sortie: le 23/10/2020
Extraits :