On veut des légendes, s’époumonaient Eddy et Johnny. La BD vous en donne sur la mer et fait flotter de plus belle le Jolly Roger au pays du Neuvième Art. Alors que Raven et Matthieu Lauffray avait ouvert le bal, que 300 grammes l’a poursuivi, voilà que les plus célèbres barbes de la flibusterie refont surface. Barbe Rouge, d’un côté, pour de nouvelles aventures sous les auspices de Jean-Charles Kraehn et Stefano Carloni, et Barbe Noire, de l’autre, sans le vieux Nick et sans un pet d’humour mais avec la maestria de Jean-Yves Delitte. En attendant le gros pavé dans la mer que préparent Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat.

À en croire les titres de ces eux premiers tomes que voilà, la BD compte bien soumettre à rude épreuve ses brigands des mers. Ça ne s’invente pas: voilà Barbe-Rouge « Pendu haut et court ! » et Black Beard sous le poids de l’injonction « Pendez-les haut et court ! » On a déjà vu plus imaginatif mais, passons, cela en dit long sur les intentions meurtrières des auteurs à la barre.
Barbe-Rouge, de nouvelles aventures qui pourraient s’avérer bien courtes, au bout d’une corde

Résumé de l’éditeur : À présent corsaires du Roy, Barbe-Rouge, Éric, Baba et Triple-Pattes partent en chasse du «Spectre», un mystérieux pirate qui rançonne les planteurs de Pamticoe Sound. Une course mortelle s’engage contre un adversaire machiavélique…

Seize ans après le dernier album de Barbe-Rouge concocté par Christian Perrissin et Marc Bourgne, Kraehn et Carloni (ça fait nom de pirates, non ? Mais ils ont été castés pour bien d’autres qualités) embarquent donc le célèbre héros de Charlier et Hubinon pour de nouvelles aventures… pas très loin des anciennes. Avec ce premier tome, c’est moins le renouveau que la continuité renouvelée que visent les deux auteurs. En effet, jetant l’ancre dans un univers dont ils ne bousculent pas les codes, c’est bien dans la prolongation des enjeux de deux épisodes publiés au milieu des années 80 (L’or maudit de Huacapac et La cité de la mort, tous deux dessinés par Christian Gaty) que mouillent le nouveau duo d’auteurs.

L’histoire n’était pas finie et elle ne fait même que commencer pour le démon des Caraïbes, même si elle risque de tourner court. C’est sur la potence, corde au cou, que débute cet album, naturellement suivi d’un flash-back qui va permettre de mieux comprendre comment Barbe-Rouge a bien pu en arriver à tourner de l’oeil (l’autre ayant déjà été pris au gré des aventures violentes que notre héros a vécu). Et force est de constater qu’il a vieilli et n’a jamais aussi mal choisi ses alliés.

Il faut dire que plus que jamais, le corsaire est pris entre deux feux; qu’il est devenu, sans sacrifier son impétuosité, une marionnette dans les mains de pouvoirs auquel il est bien utile (notamment, dans les no men’s sea) même si viendra bien le jour de s’en débarrasser. Sans compter le nombre de flibustiers que notre navigateur flamboyant s’est mis à dos au fil de ses escapades. C’est dans un bon gros panier de crabe qu’il s’est fourré.

Cette fois, l’ennemi est désormais à la fois sur l’île sur laquelle Barbe-Rouge doit débusquer le Spectre et sur son propre bateau. Décimé, l’équipage a dû être regonflé et certains ont saisi l’opportunité pour y placer des pions. Entre espionnage et grande épopée qui pourrait bien déjà faire passer du monde par-dessus le bastingage, Kraehn et Carloni ont la bonne idée de dispatcher les troupes, d’envoyer Éric et Baba en repérage à Pamticoe Sound et de laisser Barbe-Rouge vaquer à d’autres occupations, pendant que le piège se referme. Comme la mâchoire des crocodiles qui va faire pression sur le forban.


Utilisant plutôt bien (et c’est surprenant) la thématique du cauchemar pour générer l’adrénaline chez le lecteur, la nouvelle paire de capitaines réussit un album dur et fort, résistant au manichéisme pour voler dans les plumes du Faucon Noir et de la canaille mythique qui le dirige et est soumis à rude épreuve. Et au trait féroce d’un Stefano Carloni dans une forme olympique. Pourvu que ça dure.

Black Beard se délite sous Delitte

Résumé de l’éditeur : Dans les premières décennies du XVIIIe, le romancier Daniel Defoe se déplace de prison en prison pour s’entretenir avec des criminels marins. Ils sont à ses yeux une source inestimable d’informations. De plus, fort de sa notoriété, l’écrivain anglais use aussi de ses relations pour dénoncer si nécessaire des méprises dans des temps où la justice est trop souvent expéditive, n’hésitant pas à conduire à l’échafaud des innocents. C’est le cas semble-t-il en ce mois de décembre 1721, dans l’humidité des geôles londoniennes de Marshalsea. Un homme crie son innocence tout en affirmant que, si effectivement il a côtoyé le tristement célèbre Edward Teach plus connu sous le nom de Blackbeard, leur relation n’était pas celle qu’on prétend. Il était une victime et non le complice de l’un des plus terrifiants pirates de l’histoire. Mais tout cela est-il vérité ?

Du côté de Black Beard, on prend un peu plus le grand large en compagnie d’un orfèvre des imposants navires maritimes. Quand il hisse la voile, qu’il fait souquer ferme son crayon, Jean-Yves Delitte ne fait pas dans la gondole, pas dans le frêle esquif (trois fameuses double-pages en attestent dans ce nouveau cru). Il faut dire que sur les océans que ratisse le pirate tatoué et effrayant, la mer démontée peut avoir raison des plus forts trois-mâts. Là aussi, l’auteur n’épargnera pas son équipage et ses créations. Mais pas que.

Plutôt que la vie et l’oeuvre de son célèbre bonhomme, Jean-Yves Delitte explore ses dernières heures. Comme dans l’album dont nous vous parlions plus haut, Black Beard, ou est-ce son sosie, se retrouve emprisonné, promis à un avenir court et mortel. Comment en est-on arrivé là, c’est ce que va tenter de savoir l’homme de lettres et d’aventures Daniel Defoe ? Et on remonte le temps ou plutôt les courants. Car, là encore, le vent a changé de camp et Barbe-Noire va être victime d’une machination. Que sa sévérité et sa tendance à exécuter des hommes pour en faire des exemples vont crédibiliser.

Entre enlèvements et chasse aux trésors qui lui tombe dans le bec sans le moindre effort, Black Beard a son expérience qui parle pour lui, une stature légendaire, et peut-être est-ce qui va causer sa perte. Souffrant de transitions parfois abruptes entre les scènes et les actions, cette première partie de diptyque se bat entre le noir et blanc des bords de planches pour éclairer des trognes qu’on souhaite ne croiser que sur papier. Jean-Yves Delitte utilise toute sa maestria pour donner du souffle à cette ultime épopée. N’hésitant pas nous gâter de pages sans texte, où seul le trait et les couleurs de Douchka Delitte (tellement reposantes et agréables dans l’enfer qui se joue) s’expriment, l’atmosphère, l’auteur réussit surtout à nous plonger dans une histoire sans héros, face à un personnage principal auquel il est très difficile de s’attacher.

Naïvement, au moment d’entamer la lecture de ces deux albums, je pensais qu’un boucanier prendrait le dessus sur l’autre. Il n’en est rien. Par leurs qualités et cette envie de réenchanter la passion autour de deux figures emblématiques de la BD et des autres mers, ces deux retours tiennent leurs promesses et la suite s’annonce pas piquée des vers!

Pourquoi s’arrêter en si bons chemins, après avoir proposé Raven, Dargaud a mis sur le coup l’un des tandems les plus incisifs et combatifs de cette dernière décennie : Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat. Le duo laisse Ira Dei (dont le quatrième tome sort le 12 février prochain) au repos le temps de proposer un one-shot de 200 pages intitulés La République du Crâne. Il y sera également question de la mort de Barbe Noire, entre autres abordages et coups de canons. Aperçu donné par Ronan Toulhoat sur sa Page Facebook.
Série : Les nouvelles aventures de Barbe-Rouge
Tome : 1 – Pendu haut et court !
D’après l’oeuvre de Jean-Michel Charlier et Victor Hubinon
Scénario : Jean-Charles Krahn
Dessin et couleurs : Stefano Carloni
Genre : Aventure
Éditeur : Dargaud
Nbre de pages : 56
Prix : 15€
Date de sortie : le 28/08/2020
Extraits :
Série : Black Beard
Tome : 1/2 – Pendez les haut et court !
Scénario et dessin : Jean-Yves Delitte
Couleurs : Douchka Delitte
Genre : Aventure
Éditeur : Glénat
Nbre de pages : 48
Prix : 13,90 €
Date de sortie : le 07/10/2020
Extraits :