De Niro en Rastapopoulos, Hugh Jackman en Haddock, Jean Schultheis en Tournesol: le vrai faux film Tintin rêvé par Ludo Rodriguez

Plus de nonante ans après sa naissance sous l’inspiration et les crayons d’Hergé, Tintin trouve toujours son chemin pour ne jamais être sous le feu des projecteurs. Ainsi, en 2020, deux adaptations cinéma, comme autant de monstres du Loch… Lomond, semblent être en chantier : une probable adaptation du Sceptre d’Otokar par Peter Jackson et une incursion à Moulinsart de Patrice Leconte dans Les bijoux de la Castafiore. Le chemin jusqu’au grand écran peut être long et semé d’embûches… mais l’imagination, elle, est sans limite. Sans attendre que les dieux du cinéma décident du sort du jeune reporter de la Rue du Labrador, Ludo Rodriguez, artiste visuel pluridisciplinaire, a casté pour de faux (qu’on dirait vrai) une série de personnalités issues de différents mondes (Gérard Jugnot, Hugh Jackman ou encore Jean Schultheis) qui pourrait intégrer son film rêvé pour le héros à la houppette. Une activité de photomontage qui prend du temps et à laquelle le confinement fut propice. Interview.

© Ludo Rodriguez

Bonjour Ludo. Dites-moi, je croyais ne pas vous connaître mais j’avais déjà croisé votre patte, non ? Vous aviez gagné un concours Retour vers le Futur aux Éditions Flamival, puis signé une fresque synthétiques des univers que propose cet éditeur. D’autres projets chez eux ? The Timeliner ? Qu’est-ce que ça raconterait ? C’est votre bébé ?

Bonjour. Effectivement, en 2017, lors de la sortie du ComicBook ‘Retour vers le Futur, Vol.2’ (publié par Ed.Flamival, donc), j’ai eu la chance ─ moi qui suis un très grand fan de la saga ─ d’y voir publier l’une de mes illustration, représentant Marty, Doc et la Delorean, illustration « validée » en amont par les éditions IDW Publishing (USA).

© Ludo Rodriguez chez Ed.Flamival

Par la suite, la direction des éditions Ed. Flamival, séduite par « mon trait », m’a demandé de réaliser un visuel promotionnel pour leur structure. Cette illustration, ambitieuse, reprend les grands thèmes des ouvrages constituant le catalogue de cet éditeur, à ce moment-là, à savoir Retour vers le Futur, Ghostbusters et Z Nation. Nous retrouvions donc un personnage près de sa machine à voyager dans le temps (une Corvet), faisant face à une créature démoniaque,  dans un décors post-apocalyptique. Un travail assez long à réaliser mais qui me laisse un excellent souvenir.

© Ludo Rodriguez pour Ed.Flamival

En ce qui concerne ‘The Timeliners’, c’était un projet que j’avais à l’époque, traitant des voyages dans le temps, mais qui s’est mué en quelque chose de différent aujourd’hui, et qui ne correspond plus vraiment au type d’ouvrage proposé par un éditeur tel que Flamival.

Mais revenons au début : plus que le dessin, qu’est-ce qui a bâti votre passion pour l’image ? Qu’elle soit au crayon, photographiée, fixe ou animée ?

Ma passion de l’image est née très naturellement en réalité. Lorsque j’étais enfant, j’aimais écrire des histoires, créer des univers. Et je n’arrivais pas à concevoir que ces récits puissent ne pas être accompagnés d’un visuel qui les rendrait un peu plus concrets. Alors, au début, je dessinais, selon le support souhaité pour mon histoire, ces couvertures ou affiches. Et puis est arrivé, à la maison, notre premier ordinateur. Cette nouvelle technologie m’a permis, avec des logiciels très sommaires, d’aborder sans le savoir ce que serait mon futur métier : l’infographie. J’avais ce besoin en moi d’élaborer ces identités visuelles au projets que je rêvais. J’avais envie d’univers graphiques élaborés. Des univers dans lesquels on peut plonger, même s’il ne s’agit que d’une seule et unique image.

Quelle image, œuvre a marqué votre enfance au point de toujours vous suivre aujourd’hui ?

Au départ, j’étais fasciné par les photographies créatives de Storm Thorgerson, dont je voyais le travail sur les jaquettes des disques de Pink Floyd que nous avions à la maison. Le travail de Thorgerson m’a beaucoup influencé par la suite, et lorsque j’étais musicien (chant/basse/piano/auteur/compositeur), je réalisais moi-même les visuels des CD de mon groupe, toujours dans cet esprit d’y raconter quelque chose, même si cette chose restait mystérieuse.

© Ludo Rodriguez

À partir de quand avez-vous voulu en faire votre métier ? Et avec des maîtres ?

En y réfléchissant bien, je crois que j’ai toujours eu ça en moi. Je m’amusais déjà « à être graphiste » avant même de savoir que c’était un « vrai » métier (rire). Mais j’ai toujours su que je me dirigerais vers le domaine de l’image, j’ai ça en moi, je ne peux pas dire mieux.

En parcourant votre site, on voit que les influences sont multiples : comics ou BD franco-belge, impossible de choisir ? Pourquoi ?

En réalité, je ne me suis même pas posé la question d’un choix éventuel. de la BD franco-belge aux comics, je vois plus ça comme un parcours naturel, plus que comme des choix.

J’ai été attiré par la bande dessinée depuis tout jeune. Je passais la plupart de mon temps à dessiner, à reproduire les différents personnages dont je pouvais lire les aventures : de Corto Maltese à Tintin, en passant par Astérix. À cette époque, mes lectures se tournaient plus vers la bande dessinée franco-belge que vers les super-héros américains, et c’est mon père qui m’aidera, indirectement, à faire la transition.

© Ludo Rodriguez

Il avait été, lui-même, bercé par des séries de «comics européens», comme « Blek le Roc », « Zembla », « Captain Swing » et également par des magazines comme « Strange » qui narraient les aventures de super-héros allant des X-Men à Spiderman en passant par Daredevil, le Silver Surfer et d’autres.

C’est certainement en évoquant ces aventures qui avaient accompagné son enfance, voire même son adolescence, qu’une petite flamme s’est allumée quelque part en moi, qui a timidement brûlé jusqu’à ce que je devienne moi-même dessinateur de comics.

© Ludo Rodriguez

Avec quels personnages avez-vous grandi ?

C’est une question pour laquelle je n’ai même pas besoin de réfléchir : TINTIN. J’avais déjà quelques vieux albums de mon père, chez moi. Les Aventures de Tintin ont littéralement bercé mon enfance. C’est inspiré par les personnages de Hergé que, vers l’âge de 12 ans, j’ai commencé à créer divers personnages, dont les aventures sont toujours restées inachevées. Mon premier personnage était un enquêteur marseillais qui s’appelait Charlie Renard. Il était toujours accompagné d’un petit capucin. L’ambiance hergéenne était clairement palpable, autant dans l’atmosphère que dans le style de dessin (rire).

J’étais aussi très attaché à l’univers d’Astérix. Quand j’étais enfant, j’ai eu la chance de pouvoir participer à des fouilles archéologiques sur un site qui datait du Second âge du fer. Il y avait ces vestiges d’anciennes habitations celtes, ces objets que l’on déterrait, des pointes de lances, des amphores, des bijoux. J’avais l’impression de toucher du doigt la réalité de l’univers fictif d’Astérix. Comme pour Tintin, Astérix possède donc à sa façon, une saveur particulière pour moi.

Et puis, sans en être un très grand connaisseur, j’étais également très attiré par Corto Maltese. L’univers de Hugo Pratt était si singulier, autant que le personnage de Corto à qui je trouvais une allure particulièrement belle.

© Ludo Rodriguez

Mais les grandes fresques cinématographiques ou télévisuelles nourrissent aussi votre créativité. Vous êtes cinéphile ?

La réponse est clairement oui ! Mon enfance a été bercé par les plus grandes franchises du cinéma, que ce soit Indiana Jones, Retour vers le Futur ou Jurassic Park. Ces univers iconiques ont grandement participé à construire, à nourrir mon esprit créatif. En grandissant, en mûrissant, je me suis tourné vers les séries, que je dévore les unes après les autres. Code Quantum, Lost, Dexter, The Walking Dead, Kaamelott ! Demandez-moi, je suis incollable (rires!). Je me suis d’ailleurs amusé à créer une série de photos appelée New Dawn, hommage à Jurassic Park, qui imagine la cohabitation entre le Dinosaure et l’Homme.

Série Creative New Dawn © Ludo Rodriguez
Série Creative New Dawn © Ludo Rodriguez

Je me suis laissé dire, et pas que moi d’ailleurs, certains grands pontes du comics ont commenté cette facette de votre art, que votre encrage y était pour beaucoup dans la vivacité de vos dessins, pourquoi ? Y consacreriez-vous la majeure partie de votre attention ? C’est quoi un bon encrage ?

L’encrage c’était ma faiblesse au départ. Je me souviens que, lorsque j’ai commencé dans le monde du comics, un auteur m’avait conseillé, de façon très bienveillante, de me consacrer au dessin, mais de laisser l’encrage à quelqu’un d’autre. Dans le comics, cette compartimentation a beaucoup cours. Il y a souvent, sur un seul et même projet, un dessinateur, un encreur, un coloriste, et parfois même un artiste qui ne s’occupe que de poser les niveaux de gris.

La remarque de cet artiste m’a fait réfléchir et je me suis dit que, si ça semblait effectivement être une bonne solution pour améliorer le rendu final, peut-être que la facilité elle-même n’était pas la solution. J’ai essayé beaucoup de techniques différentes, j’ai beaucoup regardé ce que faisaient d’autres artistes, mais surtout comme ils faisaient. Et puis mon attention s’est arrêtée sur le travail de Olivier Coipel et celui de Sean Gordon Murphy. Ce sont mes influences principales. J’ai appris avec eux que, un bon encrage, c’est un encrage dans lequel on ressent un certain dynamisme, une énergie qui rend le dessin vivant, chaleureux. Et cet aspect énergique, je l’ai trouvé en utilisant un pinceau et de l’encre de chine, et en essayant de maîtriser le chaos, parce que le secret d’un bel encrage, c’est aussi quand il n’est pas synonyme de perfection. C’est accepter les petits défauts laissés, voire créer, par les mouvements aléatoires de chaque poil du pinceau.

© Ludo Rodriguez

Bon, cela dit, cette fois, c’est dans le domaine de la photo et des montages que vous vous révélez un peu plus. Vous avez imaginé votre casting rêvé pour un Tintin en live-action. Mais comment vous est venue cette idée folle ?

Lorsque j’ai fait mes études en Communication Visuelle, le directeur de la section, lors de notre journée d’intégration, nous a dit des mots qui sont restés gravés. Il nous a dit que durant notre formation, nous allions apprendre à devenir des « Gloutons Visuels », que nous allions acquérir ce réflexe de regarder au-delà des images qui se présentent devant notre regard.

Et c’est ce qu’il s’est passé ici. Alors que je cherchais l’inspiration pour un prochain dessin, je suis tombé sur une photo de Hugh Jackman dans Logan, et une chose m’a frappé, cette ressemblance avec le Capitaine Haddock. Non loin de mon bureau, j’ai une casquette de marin qui appartenait à mon grand-père et, sur mon bureau, j’ai mon fidèle compagnon: un Canon EOS 5D. Je me suis dit : « Et si je faisais quelques photos de cette casquette ? Je pourrais faire un montage rapide, pour le fun, et transformer Hugh Jackman en Haddock. » Et je me suis lancé. Le résultat étant plus intéressant que ce que je pensais, ça m’a donné envie d’en faire plus et de me lancer plus largement dans la création des autres personnages de l’univers de Hergé.

Il y a quelques années, vous aviez déjà réalisé une fausse couverture d’un Tintin adapté en comics. En aviez-vous fait des planches ? Ça marcherait, pensez-vous ?

J’avais effectivement fait ce dessin pour l’anniversaire de mon père. J’ai fait une autre représentation des personnages de Tintin et Milou, à temps perdu, mais je ne suis jamais allé plus loin.

Fausse couverture de comic book © Ludo Rodriguez
Hommage © Ludo Rodriguez

Regrettez-vous le fait que Tintin n’ait plus connu d’autres aventures avec la mort d’Hergé ? Qui auriez-vous vu reprendre le flambeau ? Dans un style ligne claire ? Et dans un style plus personnel ?

Je sais que le souhait d’Hergé était qu’il n’y ait plus de nouvelle aventure de Tintin après sa disparition, je le respecte, le comprends, mais je trouve cela dommage. Déjà, il y avait Bob de Moor qui aurait pu prendre la suite. Collaborateur et ami de Hergé pendant de nombreuses années, non seulement son style était plus que similaire au style d’origine, mais en plus il avait « l’esprit Tintin » qui aurait pu éviter que l’essence même de cet univers soit trahie. Tintin aurait mérité de continuer je crois. Mais sans parler de style ou d’esprit similaire, il est toujours possible de faire quelque chose de bien, même si cela devient « différent ». Tome & Janry ont, par exemple, fait un travail exceptionnel avec Spirou et Fantasio. Je pense que ça pourrait fonctionner, et que ça trouverait son public sans aucun problème.

Tintin, il a toujours son mot à dire en 2020 ?

Je ne sais pas vraiment. Ce qui est intéressant avec Tintin, c’est ce qu’il pouvait raconter sur son époque. Je pense qu’il pourrait toujours avoir son mot à dire sur notre époque actuelle, mais il faut se faire une raison, il n’est plus là. Je crois que Tintin est un peu comme un grand-père disparu, dont on pourrait se rappeler certaines paroles, s’en servir parfois comme exemple, comme morale. C’est parfois « démodé », d’un autre temps, mais il faut savoir faire le tri en regard de notre époque. Les grand-père ne donnent pas forcément que des bons conseils non plus, ils sont comme tout le monde, ils se trompent parfois (rire).

Tom Holland en Tintin © Ludo Rodriguez

Naturellement, de vraies adaptations cinématographiques de Tintin ont précédé votre rêve. Laquelle avez-vous préférée ? Et la pire à vos yeux ? Pourquoi ?

Les deux films avec Jean-Pierre Talbot (‘Le Mystère de la Toison d’Or’ et ‘Les Oranges Bleue’) sont de bonnes adaptations Live. Evidemment, ces longs-métrages ont vieilli, mais j’imagine que, dans les années 60, c’étaient de bonnes productions. Il y a la fraîcheur des BD. Bien que ce ne soit pas des adaptations d’albums existant, ça en a la saveur.

Le film de Spielberg est intéressant également. Visuellement, il est très beau et puis il redonne une certaine modernité à Tintin. Alors oui, pour un fan, un puriste, il peut être un peu déroutant. Il manque des personnages, des événements importants que l’on aurait apprécié voir retranscrit sur grand écran… Mais c’est Tintin à la sauce Indiana Jones. J’aurai préféré une adaptation Live-Action, mais force est de constater que c’est moderne et que ça fonctionne.

Pour moi les « pires » adaptations de Tintin sont les épisodes de la série animée produite par Belvision. Les dessins ne sont pas très beaux, ni les couleurs.

Ce ne sont pas des épisodes que je regarde avec plaisir, contrairement à la série animée produite en 91 par Ellipse/Nelvana.

Selon vous, quelle est la meilleure manière d’adapter Tintin en images qui bougent ? En live-action ou en animation ?

Nous avons déjà eu la version live-action en 1961, nous avons eu 2 séries animées, l’une ancienne, l’autre plus moderne, et enfin, un film récent en images de synthèse. Pour boucler la boucle, très personnellement, j’aimerai vraiment voir une adaptation moderne en live action. Je ne sais pas si c’est la meilleure manière d’adapter Tintin, mais c’est ce que j’ai le plus envie de voir en tout cas !

Comment avez-vous donc fait votre casting ? Aviez-vous retenu d’autres candidats pour le même rôle ?

Souvent, lorsque je regarde un film ou une série, je ne peux m’empêcher de me faire certaines réflexion comme : « tiens, cet acteur pourrait jouer tel ou tel autre personnage ». Lorsque j’étais enfant et que je voyais un film avec Gérard Jugnot, je n’arrivais pas à voir autre chose qu’un des deux Dupondt. Dans mon esprit, depuis toujours, Gérard Jugnot était l’acteur idéal pour ces personnages. J’aurai rêvé le voir dans ce rôle au cinéma. Aujourd’hui, il est un peu trop vieux pour ça je pense mais, d’une certaine manière, je fais aujourd’hui en sorte de donner vie à ce vieux rêve avec ce casting fictif.

Gérard Jugnot en Dupont et Dupond © Ludo Rodriguez

Marianne James s’est également imposée sans réfléchir pour le rôle de Bianca Castafiore. Comme pour Jugnot, elle m’a toujours fait penser à la cantatrice, bien avant que je songe à faire cette petite série de personnages réalistes.

Pour d’autres personnages (déjà faits ou à venir), le choix a été moins évident. Certains acteurs, aujourd’hui disparus, auraient été parfaits, mais j’ai préféré me concentrer sur des acteurs / actrices / artistes vivants, comme si ça participait à rendre l’existence de ce projet plus « crédible », plus réaliste, bien que probablement très difficilement réalisable, haha !

Comment êtes vous arrivé à transformer les photos de ces vedettes de tous horizons en personnages d’Hergé ? Quel a été le processus ?

C’est un travail, aussi amusant que complexe. Si nous prenons pour exemple la photo représentant Milou, trouver une photo en HD d’un fox terrier est vraiment le cadet des problématiques. Ce qu’il faut savoir c’est que, pour cette photo, il m’a fallu fabriquer (réellement) tous les objets qui entourent notre ami canin. Tous ses objets existent bien, maintenant. Je me suis même permis de « moderniser » un peu l’étiquette de Loch Lomond.

Matérialisation d’objets de l’univers de Tintin © Ludo Rodriguez

En ce qui concerne les vêtements, en général, je ne prends en photo avec des vêtements qui correspondent un maximum au résultat souhaité, et « il me suffit » d’associer mon corps au visage de l’acteur choisi pour tel ou tel personnage. Pour le Général Alcazar, la tenue que portait Oscar Isaac sur la photo d’origine était convenable, je me suis donc « contenté » d’ajouter une casquette, un cigarillo, et de modifier la teinte de ses vêtements. En revanche, en ce qui concerne Nestor, cela n’a pas été aussi simple. J’ai tenté d’utiliser une photo de moi, portant un simple gilet noir, en projetant d’ajouter les bandes jaunes numériquement, mais ce n’était pas convaincant. J’ai pris mon gilet, et y ai collé des bandes de ruban adhésif. Après quelques manipulations graphiques pour que le rendu soit parfaitement propre, j’avais enfin le gilet rayé de Nestor !

© Ludo Rodriguez

Pour les visages, comme souvent au cinéma, il y a parfois un travail de « maquillage » nécessaire pour que les personnalités ressemblent bien plus aux personnages. Robert De Niro se voit affublé d’un monocle, d’une moustache et d’un appendice nasal imposant. Le menton d’Oscar Isaac est plus carré et il gagne une moustache. Jean Schultheis, aminci, se voit aussi allégé de pas mal de cheveux. Gérard Jugnot rajeunit d’une bonne dizaine d’années. Marianne James voit son nez s’allonger et, évidemment, Tom Holland porte maintenant une houppette.

On pourrait croire qu’il puisse s’agir d’un assemblage rapide et facile de plusieurs clichés, mais en réalité, il y a plus de 10h de travail par portrait.

Vous nous faites les présentations ? Pourquoi tel acteur dans la peau de tel personnage ? 

➔ Tom Holland en Tintin : Il s’est imposé naturellement. Ce côté juvénile, ce visage « rond ». Je l’ai visualisé tout de suite en Tintin.

Hugh Jackman en Capitaine Haddock : Comme évoqué précédemment, c’est de lui que vient l’idée. Un hasard. Une évidence. Au départ j’avais utilisé une autre photo. Ce n’était qu’un jeu. Mais après avoir commencé à réaliser d’autres personnages, il y a une mise en forme qui s’est imposée, avec un fond coloré etc. etc., et la première version réalisée ne collait pas au reste de la série. J’en ai donc fait une seconde version, plus en adéquation avec le reste.

Hugh Jackman en Capitaine Archibald Haddock © Ludo Rodriguez

Gérard Jugnot en Dupondt :  Comme je le disais, lorsque j’étais enfant et que je voyais un film avec Gérard Jugnot, je n’arrivais pas à voir autre chose qu’un des deux Dupondt. Dans mon esprit, depuis toujours, Gérard Jugnot était l’acteur idéal pour ces personnages.

➔ Jean Schultheis en Tournesol : Au départ, je comptais utiliser Christopher Lloyd. Mais c’était un peu redondant avec son rôle d’Emmett Brown. Et puis mon père m’a soufflé l’idée de Jean Schultheis, et il était parfait, tout simplement.

Jean Schultheis en Professeur Tournesol © Ludo Rodriguez

NB : au final, Ludo a revu sa copie pour proposer un Tournesol encore plus vrai que nature sous les traits de Tony Shalhoub:

Marianne James en Castafiore : Je crois que Marianne James est déjà, pour beaucoup, la personnalité qui ressemble le plus à la Castafiore. Ce n’est pas la première fois que je l’entends, et de ce fait, le choix à été aussi évident que pour Gérard Jugnot en Dupondt.

Marianne James en Bianca Castafiore © Ludo Rodriguez

Robert De Niro en Rastapopoulos : J’adore Robert De Niro. Je trouve qu’il a un charisme fou. Il était particulièrement convaincant en Capone dans les Incorruptibles, et je crois que c’est cette image-là qui m’a convaincu d’en faire un Rastapopoulos.

Un homme d’affaire, un peu mafieux, avec une aura exceptionnelle. À mon sens, ça lui allait parfaitement.

Robert De Niro en Rastapopoulos © Ludo Rodriguez

Oscar Isaac en Alcazar : Bien que plus jeune que dans la BD, il y a quelque chose qui m’a sauté aux yeux. J’ai visualisé le général Alcazar assez facilement. Je savais que ça nécessiterait un peu de « make up », mais je ne doutais pas du fait qu’il puisse être convaincant.

Oscar Isaac en Général Alcazar © Ludo Rodriguez
J’ai longtemps hésité à utiliser Jimmy Smits (Miguel Prado dans Dexter), mais je suis revenu sur ma première intuition, Oscar Isaac.
David Koechner en Nestor : Il y a eu une première version. J’avais utilisé le visage de Jonathan Pryce (Pirates des Caraïbes, Games of Throne, Les Deux Papes), mais après avoir finalisé mon visuel, quelque chose me gênait. Il ne m’apparaissait pas assez sympathique, pas assez rondouillard, un peu trop raide. J’ai décidé de recommencer avec quelqu’un d’autre. Sur un groupe dédié à Tintin, sur un célèbre réseau social, une personne m’avait suggérer le nom de David Koechner dans le rôle de Nestor. J’avais un peu mis de côté cet acteur, mon choix étant déjà arrêté sur Jonathan Pryce, mais lorsque j’ai décidé de changer d’acteur, je me suis tourné vers Koechner. Il y a eu besoin de plus de « modifications » que les autres, notamment au niveau du nez et du menton, mais au final, on s’approche de quelque chose de plutôt convaincant je crois.
David Koechner en Nestor © Ludo Rodriguez
Jean Dujardin en Muskar XII : Lorsque je me suis lancé sur le personnage royal du Sceptre d’Ottokar, je me suis souvenu de Jean Dujardin et de sa petite moustache dans The Artist. Je me suis également remémoré ses rôles en uniformes dans ‘Le Retour du Héros’ et ‘J’accuse’. Je crois que mon esprit a instantanément fait son petit mélange, et Muskar XII m’est apparu !
Jean Dujardin en Muskar XII © Ludo Rodriguez

Qui d’autres peut-on attendre ?

Sans dévoiler qui sera qui, j’ai déjà commencé la création de quelques autres personnages, comme Philémon Siclone, Piotre Szut, Professeur Alambic, Frank Wolff ou Allan Thompson.

Toby Jones en Frank Wolff © Ludo Rodriguez

Je me suis fait une petite liste d’acteurs dont le physique pourrait correspondre à des personnages de l’univers de Tintin, et ça va de Tony Shalhoub à Mathew Perry, en passant par Bob Odenkirk, Geoffrey Rush, Eric Lange, Kevin Pollack, etc etc.

Matthew Perry en Allan © Ludo Rodriguez

Au fond, quel est votre épisode préféré de Tintin ? Et celui qui conviendrait le mieux au cinéma ?

Les doubles épisodes Le Secret de la Licorne’/’Le Trésor de Rackham le Rouge‘, et ‘Objectif Lune’/’On a marché sur la Lune’ sont définitivement mes préférés. Si l’on part du principe que nous avons déjà eu une adaptation du premier duo d’épisode, et que je suis passionné d’astronomie depuis tout petit, une adaptation ‘spatiale’ me plairait beaucoup et conviendrait plutôt bien au grand écran.

En ce moment, deux projets sont encore plus ou moins à flot : un épisode syldave par Peter Jackson-Spielberg et, plus surprenant, Les bijoux de la Castafiore par Patrice Leconte. Lequel vous hype le plus ?

Avec le projet Jackson/Spielberg, nous savons à peu près ce vers quoi nous nous dirigeons. Sans « surprise », je ne pense pas que ce sera décevant.

En revanche, je reste très curieux quant à ce que pourrait proposer Patrice Leconte. J’ai très envie de découvrir une version Live-Action moderne. Parallèlement, je suis tout de même un peu inquiet. Pour être très honnête, les « récentes » adaptations ciné de Gaston Lagaffe, Lucky Luke ou même Spirou étaient, de mon point de vue, très mauvaises. Allez, on va dire que Lucky Luke s’en sort un peu mieux que les autres, mais Spirou était une catastrophe avec des acteurs qui, bien que talentueux, ne collaient absolument pas aux personnages des BD (Christian Clavier en Champignac et Thomas Solivéres en Spirou, accompagné d’un Fantasio plus petit que lui, ça ne le fait définitivement pas !)

Aujourd’hui, quel genre d’aventures pourrait vivre Tintin ? Il peut rivaliser avec les super-héros ?

Tintin a vécu tellement d’aventures diverses et variées que, je ne sais vraiment pas vers quels horizons nous pourrions l’envoyer. Tome et Janry ont exploré l’aspect science-fiction avec Spirou dans « Machine qui Rêve » et aussi inattendu que cela pu être, j’ai trouvé ça plutôt intéressant. Alors, je ne sais pas, peut-être que nous pourrions le retrouver dans un environnement aussi inattendu que cet épisode de Spirou.

Quant à rivaliser avec les super-héros, je pense que Tintin et les Super-héros sont des univers tellement différents que chacun de ces univers mérite d’exister indépendamment de l’autre. Je pense que ces deux mondes sont trop différents pour pouvoir être mis en concurrence.

Pourquoi, selon vous, le cinéma se nourrit-il autant de bandes dessinées ?

La Bande Dessinée a toujours été accessible, populaire. Un vrai moment de détente à emporter partout. On a tous grandi avec des bandes dessinées. Elles évoquent des souvenirs, des sensations. Pour le cinéma, se nourrir de ces univers, c’est utiliser la nostalgie du spectateur. D’une certaine façon, c’est utiliser ses souvenirs, et c’est le toucher en plein coeur en termes d’émotion.

En-dehors de Tintin, quelle adaptation de BD à l’écran vous a plu ? Et laquelle vous a semblé complètement ratée ? Pourquoi ?

Comme évoqué précédemment, l’adaptation de Spirou et Fantasio était, à mon sens, catastrophique. Les personnages n’étaient que maladresse et bêtise, alors que Spirou est censé être un personnage aussi futé que Tintin. J’ai l’impression que le film avait pris le parti de faire rire coûte que coûte, sans vraiment comprendre le matériau d’origine.

Jusque-là, les meilleures adaptations, pour moi, ont été ‘Astérix et Obélix Mission Cléopatre’, dont l’humour était intelligent, pertinent, sans trahir la BD, et les 2 films Astérix également, par Alexandre Astier. En ce qui concerne ces 2 derniers films, le nom d’Alexandre Astier, servi par le talent de Louis Clichy, sera mon seul argument. J’adore ce gars. Il est drôle, inventif, intelligent, il frappe toujours juste !

D’autres personnages emblématiques de BD dont vous avez identifié les acteurs les plus à même de les incarner ?

Quand j’étais plus jeune, Pierre Tornade était pour moi le Abraracourcix rêvé, mais il va falloir que je me penche plus sur la question parce que, quelque chose me dit que, après l’univers de Tintin, il est possible que je m’attaque à d’autre univers, et je peux d’ores-et-déjà vous dire que Tom Hughes sera mon Corto Maltese, c’est un choix définitif et j’ai déjà la casquette. (Rire). En plus, je crois savoir qu’il avait été envisagé pour endosser le rôle dans le film avorté de Christopher Gans. Ce gars est fait pour être Corto.

Affiche du film abandonné

Vous dessinez Le Garde Républicain depuis quelques années, maintenant. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas (malheur à eux), comment le présenter ? Il pourrait devenir un héros de cinéma ? Sous les traits de qui ?

Le Garde Répiblicain est un personnage créée par Thierry Mornet (Responsable Editorial Comics chez Delcourt). Cette série a pour concept de faire du Garde Républicain non pas un super-héros identifié sur une seule vie, mais sur plusieurs générations. Car oui, Il y a en fait plusieurs générations de Gardes, ce qui permet d’avoir des récits à des époques différentes, dans des styles différents, ce qui justifie quasiment l’intervention de plusieurs dessinateurs pour une seule et même série centrée sur un protagoniste qui est plus un symbole qu’un simple héros. De plus, le garde Républicain est un personnage humain, il ne possède pas de super-pouvoir, mais reste un Homme courageux qui n’en est pas moins vulnérable, jouissant d’une technologie de pointe lui permettant d’agir en tant que véritable Chevalier des temps modernes.

Cette année est d’ailleurs sorti mon dernier épisode en date, un épisode de 32 pages nommé « EscouadeGR», écrit par Max Mornet. Je conservais un excellent souvenir du travail que nous avions fait avec Thierry en 2015 sur l’épisode #4, avec une véritable liberté artistique et des échanges très constructifs. C’était mon premier projet à l’époque et Thierry m’avait alors permis cette entrée dans le monde de la BD, un pas que je n’aurais peut-être jamais franchi sans lui. J’ai tout de suite été très enthousiaste, mais il fallait trouver la bonne histoire.

© Mornet/Rodriguez chez Hexagon Comics
© Mornet/Rodriguez chez Hexagon Comics

Nous avions évoqué quelques pistes intéressantes et puis, en janvier 2018, j’ai reçu un script par e-mail. Ce script s’éloignait totalement des trajectoires que nous avions envisagées, et c’était en réalité un excellent point. Il y avait quelque chose de plus profond dans cette histoire…plus précisément autour de cette histoire. Ce scénario n’est pas seulement un épisode du Garde, c’est en réalité une véritable histoire d’amitié. Je parle d’une réelle amitié. Bien qu’arrangés pour les besoins du récit, les personnages qui y sont représentés sont basés sur des personnes réelles. Les liens affectifs qui y transparaissent, sont des liens qui existent, ou qui ont existé dans la réalité. Max (Mornet) livre ici un véritable hommage à un ami trop tôt disparu, Lukas, et je me suis instinctivement senti investi de ce devoir de rendre visuellement justice à ce qui est presque une déclaration d’amour d’un ami à un autre. Au final, que ce soit au niveau de l’histoire ou du dessin, c’est un récit doublement personnel, un épisode qui, dans ces différents aspects, est habité d’affects et d’émotions. Il y a de la vie véritable dans ces pages et je suis fier d’avoir pu donner un peu de moi pour raconter un peu des autres.

La suite, pour vous, quelle est-elle ? Quels sont vos projets ?

Aujourd’hui, parallèlement à mes petites expériences de Manipulations Graphiques, je travaille à l’élaboration d’un nouveau projet ayant pour titre de travail Tempus Rerum Imperator, un roman illustré qui racontera les aventures singulières d’un voyageur temporel tout aussi singulier.

Tempus Rerum Imperator © Ludo Rodriguez

Merci beaucoup Ludo et bonne suite d’aventures dans ces univers terriblement haletants.

À voir et à suivre sur la page Facebook de Ludo Rodriguez et son site internet : https://ludodrodriguez.myportfolio.com/

6 commentaires

  1. Super, cette série de portraits imaginaires. On rêve évidemment tous d’une nouvelle adaptation live de Tintin, même si ça ne semble pas pour tout de suite. J’aurais tellement aimé voir se concrétiser le projet de Jaco Van Dormael d’adapter « Tintin au Tibet ». Quant au projet de Leconte, il me semble qu’il a été démenti par Moulinsart.

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