Michel Colline mène l’aventure jeunesse au Charbon : « Une fable écologique, dans un univers sombre et dictatoriale »

Charbon, voilà de quoi annoncer la couleur… ou rester en noir et blanc. Pour sa nouvelle série, Michel Colline s’offre le luxe d’une aventure tout public en deux versions. Couleurs pour les enfants, noir et blanc et limitée pour les lecteurs sans doute plus avertis. Ainsi l’auteur nous emmène-t-il dans un futur pas si lointain puisqu’il fait aussi appel aux spectres douloureux de notre passé : charbonnage, dictature, formatage de la jeunesse pour la faire obéir à point… Mais notre présent et les enjeux de notre futur proche sont aussi bien en phase : où est passée la verdure sous le poids de l’industrialisation galopante ? Voilà un premier tome très réussi et inspiré qui m’a donné envie de poser quelques questions à Michel Colline.

Bonjour Michel, c’est la première fois que j’ai l’occasion de vous interviewer. Alors, reprenons depuis le début, comment est née votre passion du dessin ?

J’ai dessiné depuis mon plus jeune âge. J’ai commencé assez vite à créer de petites bandes dessinées.

À partir de quels moments avez-vous eu conscience et voulu en faire votre métier ?

Assez jeune, j’ai voulu m’inscrire dans un métier artistique. N’étant pas très motivé pendant mes dernières années de lycée, j’ai passé le concours des Beaux Arts à 16 ans, époque où l’on pouvait intégrer cette école sans avoir besoin du baccalauréat. J’ai ensuite intégré une école d’art appliqué dans laquelle j ai commencé à travailler sur des projets d’illustration jeunesse, activité que j’exerce toujours aujourd’hui. Je n’ai pas commencé tout de suite par la bande dessinée, peut-être trop admiratif de certains auteurs pour imaginer prendre leur suite. C’est il y a 20 ans, poussé par un ami scénariste, que j ai envoyé des planches au concours Jeune Talent d’Angoulême. Ayant obtenu un deuxième prix, cela m’a permis de rencontrer quelques éditeurs notamment Fréderic Mangé et ses éditions Treize étrange, avec lequel je réaliserais mes premiers albums.

© Colline chez Paquet
© Colline chez Paquet

 Avec quels maîtres et pourquoi ?

Je me souviens encore très bien de l’achat de mon premier Spirou magazine. Tous ces grands auteurs m’ont accompagné dans ma construction artistique. Peyo, Franquin, Will, Tilleux, Hislaire et sa formidable série « Bidouille et Violette », et bien d’autre ont influencé mon amour pour une certaine ligne claire, ce qui m’a amené plus tard à adorer le travail de Chaland, Serge Clerc, Ted Benoit. Et surtout Jijé dont j admire la liberté d’encrage!

Vous souvenez-vous de votre premier coup de cœur BD ?

Autre que mes séries adorées de chez Dupuis, he me souviens avoir était subjugué par la lecture de mes premiers « Blake et Mortimer ».

J’ai aussi adoré une série sans prétention, très peu connue en France, que je trouvais dans un petit supermarché prés de chez ma grand mère: « Gil et JO » (Jomeke) de Jeff Nys.

Ah oui, en tant que Belge, ça me dit quelque chose ! Vous êtes à la fois auteur de BD, illustrateur et peintre. Des arts qui se ressemblent ? Ou se différencient ? Quelles sont les forces et les faiblesses de chacun ?

J’ai toujours aimé pratiquer différentes disciplines artistiques. J’ai même été comédien pendant plus de 10 ans. J’adorais ce travail de troupe, chose difficile à retrouver dans la bande dessinée, qui est un travail plutôt solitaire.

La peinture est aussi une grande passion. L’acte de peindre est formidable pour moi. J‘aime le rapport physique à la toile, les matières, les possibilités de varier les formats, chose moins aisée en bande dessiné puisque la case et le format sont plus contraignants.

© Colline

Comment choisissez-vous le format/média que vous allez utiliser pour tel ou tel sujet/idée ?

Pour la BD, je travaille en général toujours au format A3. Je travaille principalement au feutre.

Vous nous revenez donc avec Charbon, quelle a été la genèse de ce projet ? Comment vous est venue cette idée ?

C’est une idée que j’avais en tête depuis pas mal d’années. Une fable écologique, dans un univers sombre et dictatoriale. Il y a trois ans, j’ai fait une résidence d’artiste en Charente Maritime autour de la BD. J’ai choisi de retravailler ce thème, ce qui m’a permis de le faire évoluer et de pouvoir présenter un projet plus construit pour un éditeur.

Couverture d’une première mouture © Colline
Première mouture du projet © Colline

Avec, je pense que c’est une première dans votre bibliographie, une parution simultanée en grand format noir et blanc et une en couleur et dans un format classique. C’était prévu dès le départ ?

Non. Moi, je partais sur une version couleur. Le noir et blanc, c’est une envie de l’éditeur à la vue des planches en noir et blanc. Il voulait les mettre en valeur dans un tirage limité grand format quasiment au format réel.

Laquelle conseillez-vous, alors ? (J’imagine que ce serait un dilemme, comme choisir entre deux enfants)

Pour moi, la version couleur est celle qui convient le mieux aux enfants. La couleur est importante graphiquement dans l’album surtout pour l’arrivée, dans ce monde assez sombre, des éléments de végétation qui viennent éclairer le récit.

© Colline chez Paquet

Indépendamment de cette double-sortie, vous qui êtes auteur complet et réalisez vous-même vos couleurs, préférez-vous lire en noir et blanc ou en couleurs ? Pourquoi ?

J’aime les deux univers, tout dépend du style de récit abordé. Des auteurs comme Tardi, Pratt, Gotting, David B ou d’autres fonctionnent formidablement en noir et blanc.

Dans Charbon (bien que je n’aie pas lu la version couleur mais j’en ai vu des extraits), j’ai l’impression que le noir et blanc a autant de sens que les couleurs. Pourtant les codes et les significations changent, non ? Les couleurs ne permettent-elles pas, par exemple, de devoir donner moins d’informations par le dessin et même le texte. Lors des scènes de nuit par exemple.

Pour « Charbon », le noir et blanc peut se justifier par l’aspect sombre du contexte. Un monde saturé de pollution. La couleur emmène aussi de la vie, du rythme, une sensibilité qui me semble plus appropriée pour un projet jeunesse.

© Colline chez Paquet

Les deux versions différentes vous ont-elles, du coup, demandé de retravailler certaines choses ?

Non, pas particulièrement. J’ai juste réalisé quelques aquarelles en plus pour le cahier graphique de la version noir et blanc.

Je me trompe ou, quasiment comme à chacun de vos projets, vous avez changé de style ?

Oui, j ai toujours aimé varier les plaisirs. Bien sûr, si cela est justifié par le sujet abordé. Mais, apparemment, même dans mes projets plus adultes, mon dernier album était un polar en noir et blanc, on retrouve une certaine écriture.

Kuzdo © Michel Colline chez Anthracite

Sans nul doute. Cette fois, j’y ai vu un peu du regretté André Geert, c’est possible ?

Je n’y avais pas forcement pensé mais cela me flatte car c’est un auteur que j’adore. Sa série « Jojo » est formidable de poésie et son dessin merveilleux.

Pourquoi ces si grands yeux noirs pour vos personnages ?

Sûrement un hommage à mes lectures de jeunesse.

Au fond, les personnages sont simplifiés au maximum de leur ligne claire. Un peu comme des « Playmobils », qu’il faut habiller ou orner de détails physiques (barbe plus ou moins grande, cicatrices…) pour les différencier, non ? Dans l’apparente facilité, la difficulté n’est-elle pas réelle ?

C’est un choix de garder des visages assez simples, j ai toujours ce souci de lisibilité. Cela permet aussi de garder un côté léger dans le récit, malgré cet univers assez sombre.

© Colline chez Paquet

Cet album ne serait-il pas l’une des BD les plus jeunesse de votre bibliographie (après Pierrot) ? Tout en restant tout public ? Comment s’adresser aux plus jeunes sans perdre les plus grands ? Prenez-vous cette donnée en compte ?

Oui, j’espère que les plus grands trouveront du plaisir à la lecture de « Charbon », comme cela peut être mon cas en relisant des BD jeunesse de mon enfance. J’essaie, à l’écriture d’avoir plusieurs niveaux de lecture, mais ce n’est pas un exercice facile. C’est en effet mon deuxième album vraiment jeunesse même si, depuis 15 ans, je réalise des BD pour la presse jeunesse, notamment la série « Joséphine » pour le magazine « Les petites princesse » chez Fleurus Presse.

Joséphine © Colline

Avec Charbon, vous nous emmenez donc sur une planète inconnue, mais pas si éloignée de notre Histoire pas si lointaine (les mines, les régimes autoritaires, les jeunesses hitlériennes) et de notre futur pas si lointain lui aussi (l’urbanisation galopante, le remplacement de l’homme par la machine). Comment ces éléments se sont-ils assemblés dans votre histoire et ses thématiques fortes, déterminantes ?

Malheureusement, ce sont des sujets qui restent d’actualité depuis pas mal d’années. La destruction du vivant, la course effrénée au profit, souvent au détriment de l’homme même. Le fantasme d’un monde de machines plus obéissantes et moins syndiquées que les travailleurs actuels. Comment résister à tout cela?

Au fond, n’est-ce pas un grand puzzle qu’il faut assembler avec alchimie ? Comment la trouve-t-on cette alchimie ?

Au départ, j’écris le scenario en privilégiant l’élaboration d’une aventure simple, compréhensible, dans laquelle j essaie de distiller des idées, des interrogations plus précises comme celles évoquées précédemment.

© Colline chez Paquet

Comment avez-vous imaginé la planète Charbon, ses hauts buildings, son ciel morne, ses navettes téléphériques. Avez-vous fait une maquette, un plan pour vous y retrouver ?

Cela s’est construit petit à petit avec de nombreuses recherches graphiques .J’ai réalisé plusieurs planches d’essais avant d’arriver à un univers qui me semblait cohérent.

Dans un tel projet, se documente-t-on quand même avant d’emmener toutes les thématiques dans la fiction ou se laisse-t-on aller sur base de la mémoire collective et populaire ?

Je suis parti avec différentes documentations, notamment pour les ambiances de villes de mineurs.

© Colline chez Paquet

J’imagine qu’il ne faut pas trop se laisser piéger par les faits réels, non ?

En effet, j’ai essayé de ne pas faire référence a des choses trop précises, pour créer un univers propre. Bien sûr, on reconnait des stéréotypes de personnages, de situations, dans un esprit caricatural. Je n oublie jamais que je m adresse avant tout à des enfants assez jeunes qui, eux, n’ont pas les mêmes références .Je pense notamment au Charlot des « Temps Modernes » qui, malgré le tragique des situations abordées, reste dans l’absurde, le rire, une forme de légèreté.

J’aurai pu choisir de rendre mon récit plus anxiogène, mais j ai préféré une forme de burlesque dans la façon de traiter les personnages, notamment le vilain empereur Toxico.

© Colline chez Paquet

Votre héros, c’est Apollo, un petit bonhomme téméraire que ses découvertes vont amener à sortir du rang. Comment vous est venu ce prénom ? Et son aspect graphique ?

Le nom m’est venu au fil de la création de l’album. Je trouve qu’il évoque les voyages dans l’espace, cette idée d’un monde futur. Son aspect très simple est une volonté de clarté, d’universalité, un peu comme chez les héros de l’auteur japonais que j’aime beaucoup Tezuka.

Son meilleur allié, c’est un rat, Anthracite. Une manière de réhabiliter ce qu’on voit souvent comme des ignobles créatures ? C’est facile d’animer, d’humaniser une telle bestiole ?

Oui, j aimais bien l’idée de mettre un animal d’habitude décrié comme compagnon du héros. Je voulais aussi être cohérent: peu d’animaux survivent en étant exposés à la pollution mais le rat a pu tirer son épingle du jeu dans un monde aussi dur. Pour ce qui est de l animer, cela m’a demandé quelques recherches mais j espère avoir un peu réussi à le rendre vivant.

© Colline chez Paquet

Ah oui, je vous rassure. Si ce n’est dans sa partie végétale, l’ensemble de cet album semble être taillé dans un bloc de charbon, comment avez-vous renforcé cet aspect ?

C’était ma volonté de créer cet univers très sombre avec un trait plus dense, plus hachuré où seule la couleur jaillirait de la végétation, partie pour laquelle nous avons fait appel au talent de la coloriste Valentina Grassini.

Aussi, il faut amener la lumière sur des pages charbonneuses, des galeries, des mines. Comment trouver la source lumineuse tout en gardant cette atmosphère noire ?

C’est un équilibre à trouver. L’intérêt de la couleur est de pouvoir amener des petites touches de couleurs plus vives qui viennent casser l’aspect sombre de l’ensemble.

© Colline chez Paquet

Charbon, ce titre s’est imposé de lui-même ou y’a-t-il eu d’autres titres de travail ?

Ce titre est arrivé comme une évidence, dès le départ.

La première chose qu’on voit d’un album, c’est sa couverture. Comment avez-vous composé celle-ci ? Là encore, y’a-t-il eu plusieurs recherches ?

Pour la version couleur, cette image d’Apollo qui découvre la végétation est venue très vite puisque c’est un des premiers dessins que j ai réalisés. Pour le format noir et blanc, la couverture est le choix de l’éditeur qui a pris une aquarelle que je lui avais envoyée pour réaliser le carnet graphique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Votre personnage retrouve l’or vert dans votre album. Le réchauffement climatique, la désertification de notre planète vous préoccupe ?

Oui, c’est un sujet qui, comme beaucoup, me préoccupe. Dans l’album, Apollo trouve cette végétation au fin fond du palais. C’est aussi une métaphore sur les trésors cachés que l’on possède chacun au fond de nous et qu’il faudrait essayer de faire remonter à la surface pour tendre vers un monde plus apaisé.

Sur combien de tomes, cette aventure est-elle prévue ? Avez-vous d’autres projets ?

«Charbon» est prévu en deux tomes. Le deuxième devrait sortir en septembre prochain.

Je travaille aussi sur de futurs projets, notamment à l’écriture d’un polar noir. Je rencontre aussi des scénaristes pour d’éventuelles collaborations futures.

© Colline chez Paquet

Enfin, si vous nous emmeniez dans votre atelier/lieu de travail. Qu’y trouve-t-on ? Comment travaillez-vous ? Vous travaillez en musique ?

Beaucoup de Bazar (rires). On y trouve ma table à dessin, quelques ordinateurs et plein d’étagères bien remplies d’albums de bd et de livres d’illustrations. Je travaille mes planches de manière traditionnelle et la couleur est réalisée sur ordinateur. J’écoute de tout en travaillant, selon l’humeur. Pas mal de musique, en effet, mais aussi la radio quand j’ai envie d’entendre des gens parler.

Tiens, quelle BO donneriez-vous à cet album ?

J’imagine bien une orchestration symphonique, intemporelle, tragique, burlesque, lyrique, avec des bruits d’usines, de machines.

On va essayer de dégotter ça dans notre discothèque. Merci beaucoup Michel, et que le meilleur émerge du charbon !

Série : Charbon

Tome : 1 – L’espoir

Scénario, dessin : Michel Colline

Couleurs : Michel Colline (ou version noir et blanc limitée à 300 exemplaires)

Genre : Anticipation, Drame

Éditeur : Paquet

Nbre de pages : 56 / 64

Prix : 14€ / 29 €

Date de sortie : le 21/10/2020 / le 17/09/2020

Extraits : 

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