Comme des fauves en cage. On les imagine bien les auteurs qui devaient revenir en librairies au mois de mars, ou en avril, et qui ont dû attendre quelques semaines, plusieurs mois. Ainsi, à la dernière Foire du Livre de Bruxelles, in extremis, Benoit du Peloux était très heureux de pouvoir nous présenter sa création Tracnar et Faribol, une envie d’anthropomorphe sous influences mais avec de l’originalité et énormément de talent que le dessinateur nourrissait depuis longtemps. Ça sort à la fin de ce mois de septembre. Enfin ! Interview.
Bonjour Benoit, les animaux, vous les dessinez depuis longtemps ?
Depuis toujours. Même quand ils n’étaient plus à la mode. Il y a plus de trente ans, j’avais déjà un projet avec des anthropomorphes que les éditeurs m’avaient renvoyé. Cet album était finalement paru chez un éditeur qui avait fait… faillite dans la foulée. Cela s’appelait L’oiseau qui fait la pluie et le beau temps.
Aujourd’hui, la seconde chance est belle. Même si vous n’avez jamais cessé de dessiner les animaux. Et que votre série phare fait la part belle aux chevaux à l’état sauvage : Triple Galop.
Oui, c’est vrai. Avec Blacksad, les animaux sont vraiment revenus en tant que vedettes de BD. La série de Canales et Guarnido fut un vrai craton. Les éditeurs ont changé d’avis quant aux histoires d’animaux. Mais, dans les faits, ce n’est si simple à éditer, je crois.
Tracnar et Faribol, j’avais tellement envie de le faire, en couleurs directes en plus. J’ai travaillé dans la publicité, je suis donc habitué à changer de style. Je crois même qu’il est important d’adapter le style du dessin à l’histoire. Parfois, je pense même que le texte est plus vivant que les personnages. La BD, ça tient un peu du théâtre, et il se peut que les personnages ne jouent pas bien la comédie.
D’où vous vient cet amour des animaux ?
J’ai toujours vécu à la campagne. Près des chiens, des chevaux et tous les autres. Je les observais beaucoup. Dans la façon dont les animaux bougent, on comprend beaucoup de chose. Du croquis sur nature, on peut ensuite rajouter un supplément d’art, jouer sur les attitudes, la position. D’y mettre un code.

Mais cet épisode inaugure-t-il une série ?
Pour moi, c’est plutôt une collection. Parce que je ne veux pas me coincer avec les mêmes personnages. D’où le sur-titre « Vagabondages en contrées imaginaires ». Mais les épisodes suivants seront dans la même veine.
Ici, il s’agit de deux personnages obligés de s’associer, le renard et le loup. Le loup est plutôt du genre à profiter de l’aubaine. Ils se connaissent, font des méfaits ensemble ou sont ennemis, il y a des associations de circonstances.

Dans le prochain album, je ne suis pas sûr que Tracnar aura un rôle, ou alors dans le camp des ennemis. Faribol, lui, sera un personnage principal. J’aime l’idée de procéder un peu comme dans le Roman de Renart, qui passe son temps à faire des mauvais coups au loup.
Tracnar et Faribol ?
Ça sonne bien comme jeu de mot, non ?

Le médiéval, ça vous parle ?
C’est aussi une influence du Roman de Renart ainsi que des aventures de Gargantua. Rien à faire, j’aime les vieilles pierres. Je dois même avouer être mal à l’aise avec les décors modernes, assez loin de mon univers. Ma manière naturelle de dessiner, c’est de plonger dans le passé.
Mais, dites-moi, n’aviez-vous pas un projet d’adaptation pour le Roman de Renart? Ou plutôt des nouvelles aventures, illustrées sur un texte de Jean-Pierre Joblin ?
C’est vrai, un projet intitulé La corne de Saint-Morphale, pour l’instant en stand-by.
D’où l’idée de faire Tracnar et Faribol ?
Non ce projet autour de Renart est postérieur à Tracnar et Faribol. Mais, lorsque nous l’avons envisagé avec Jean-Pierre, je n’avais pas encore d’éditeur pour mon album… J’ai l’habitude de lancer plusieurs choses en même temps. Toujours est-il qu’avec Jean-Pierre, nous n’avons pas enterré cette idée.

On en trouve d’ailleurs la note d’intention sur votre site. Mais revenons à Tracnar et Faribol. Naturellement, tous les animaux ne sont pas des anthropomorphes.
Hé oui, ça, c’est la magie de la BD qui permet d’insérer des éléments hétéroclites, des poules, des chevaux, des oiseaux qui n’ont pas eu le don reçu par Tracnar, Faribol et quelques autres.
Dans Tracnar et Faribol, on pense notamment à Calvo mais aussi aux Disney.
J’ai fait des recherches en essayant de ne pas recopier Disney. J’ai pris les personnages que je tenais le mieux tout en essayant de trouver des animaux, outre les deux héros, qui n’étaient pas si souvent utilisés. Comme les sangliers qu’on ne voit jamais dans les Disney car il n’en existe pas aux États-Unis. Perfidy, par exemple, je l’ai trouvé dans de gros bouquins en ma possession qui répertorient tous les animaux possibles et imaginables. C’est un chat africain qui m’a servi de modèle, avec des expressions inquiétantes.

En réalité, les animaux qui posent problème, ce sont ceux qui prennent de la place. Le cerf avec ses bois, notamment. J’aime les animaux avec pas trop de choses sur la tête. J’admire Guarnido, capable d’introduire un méchant gavial. Pas évident à manoeuvrer. Je voulais également que cette histoire soit regardable par tout le monde.

Utiliser des animaux, n’est-ce pas une manière d’entrer plus facilement dans le vif du sujet ? On leur a associé des traits de caractère.
C’est vrai, dans l’imaginaire populaire, le renard est rusé, le loup est costaud et acariâtre, peu malin. Les utiliser va de pair avec des obligations, je ne pouvais pas aller à contre-pied et prendre le renard pour un imbécile. Mais c’est vrai, à l’inverse, que le lecteur les connaît déjà presque. Pas besoin de faire les présentations.

Pour vous situer dans ce nouvel univers, avez-vous dessiné un plan ?
Non, je procède à l’instinct. Faire une carte, c’est piégeant. Même dans Triple Galop, je n’ai jamais dessiné le club hippique dans sa totalité. Le lecteur voudrait le conceptualiser, il n’y comprendrait rien.
Cela dit, je me souviens de François Bourgeon qui dans un épisode des Passagers du vent avait maquettisé un camp en Afrique. Tellement précis. Mais ce n’est pas mon truc. Je pense que, dans mes récits, le lecteur n’a pas besoin de savoir tout ça.
C’est facile de cohabiter dans deux séries ?
Quand Olivier Sulpice a accepté mon projet, je l’ai rassuré: « Tu auras ton Triple Galop tous les ans ».
J’ai presque hésité à prendre un pseudonyme. En littérature, ils sont rares les écrivains à varier autour du même sujet. C’est compliqué de faire vivre une série, de nos jours, c’est même suicidaire. Beaucoup ont été abandonnées en cours de route. Loisel y arrive, par exemple, et avec quel succès. Cette fois, je voulais écrire 3 ou 4 albums qui ne seraient pas tellement dans les moeurs de la BD. Après une vingtaine d’albums Triple Galop, Zoé & Pataclop ou Eden, le globe-trotteur, ainsi que des mini-romans, il fallait me laisser une respiration. J’ai demandé à Olivier de me laisser partir dans un autre univers.

C’est facile justement de créer un nouvel univers après tant d’années à dessiner une même série ?
Il y a eu un peu de flottement, j’ai crayonné beaucoup, recherché des décors, me suis servi d’ambiances de films. Une taverne sombre, par exemple, comme dans le Seigneur des Anneaux ou Le Hobbit. Pas de dessin animé par contre, car le travail d’interprétation est déjà fait. Moi, j’ai besoin au minimum de photos que je puisse interpréter.
Le dessin animé, ça aurait pu vous intéresser ?
Je me verrais plus comme créateurs de décors mais on n’est vite cantonné à être une petite main. On me l’a proposé, mais j’étais trop novice à l’époque.

Et l’histoire, comment est-elle venue ?
Je ne voulais pas d’une histoire qu’on connaîtrait déjà mais que le lecteur ait l’impression d’entrer dans un univers familier. J’ai un peu d’orgueil quand même, je pense que cette histoire Perrault et Grimm auraient aimé l’écrire. Je les revendique en tant qu’influence, mais je n’ai pas voulu prendre les mêmes ingrédients.
D’autres références aussi. La cigale et de la fourmi, notamment.
Oui, il y a des références dans tous les sens. Vous savez, j’ai été frappé en lisant L’île au trésor d’apprendre que les pirates, après le déjeuner, brûlaient tout. Ils n’avaient pas la notion de se préserver pour le lendemain. Je lis beaucoup, parfois je flashe sur des passages.

Dans Tracnar et Faribol, il y a aussi un peu de Molière et de son Malade Imaginaire.
Médiéval et fantasy, votre récit utilise un sortilège. Et un personnage se retrouve dans le corps d’un autre. Pas si évident à matérialiser dans le dessin.
C’est vrai, j’ai un peu hésité mais c’est finalement venu assez vite. Avec une voix off et de quoi jouer sur le décalage des mondes. Une petite-fille gâtée impertinente qui se retrouve dans une position où elle devrait plutôt caresser ses « sauveurs » dans le sens du poil. Elle devrait se taire mais…

Autre actualité, une réédition de Tableaux de chasse.
Oui, une nouvelle couverture, seize pages supplémentaires, une nouvelle maquette. À l’époque, la première édition avait eu son succès chez Album Michel. Qui a depuis arrêté la BD. Cet album hybride ressortira chez un petit éditeur spécialisé dans la chasse, les chevaux, Montbel. En septembre.
L’idée était de raconter la chasse à travers les âges et les différentes pratiques. À proprement parler, ce n’est pas de la BD, c’est un texte off sérieux sur lequel rebondit un dessin humoristique. Le tout en couleurs directes sépias.
D’autres projets ?
Oui, un nouveau projet sur l’Arche de Noé, dans une vision un peu particulière et humoristique. Si une telle Arche avait réellement été construite, elle n’aurait pu abriter que très peu d’animaux. Un jour, j’ai lu un article sur des gens qui croient dur comme fer que c’est une réalité. Ils fouillent le Mont Ararat sur lequel elle se serait posée. J’ai fait des recherches sur internet et me suis pris au jeu. À la fin de cet album, il y aura un cahier explicatif sur cette légende qui appartient désormais à une sorte de mémoire collective. Comment une telle histoire, par le bouche-à-oreille, survit des dizaines de milliers d’années.
En réalité, il y a bien eu une immense inondation, le canal du Bosphore a été percé et a occasionné un raz-de-marée dans la Mer Noire. Il y eut des survivants qui ont permis de connaître ce qu’il s’était passé. Puis, la tectonique des plaques a aussi joué son jeu. Ainsi a-t-on retrouvé des fossiles de coquillages à des milliers de mètres d’altitude.
Titre : Tracnar et Faribol
Récit complet
Scénario, dessin et couleurs : Benoit du Peloux
Genre : Anthropomorphisme, Aventure, Cape et épée, Fantasy
Éditeur : Bamboo
Collection : Vagabondage en contrées légendaires
Nbre de pages : 56
Prix : 14,90€
Date de sortie : le 30/09/2020
Extraits :
les films et les dessins animés https://french-stream.video/animation/ enseignent l’utilité, il y a une différence qui est sage et qui est essentiellement sage.