On connaissait les Karamazov, les Bogdanoff ou les Fréro Delavega, voilà les frères Brunschwig. Ou plutôt les Rubinstein. Partant d’une histoire inventée mais la nourrissant de la relation qui le lie à son frère, de leurs caractères, Luc Brunschwig revient chez Delcourt avec l’ambition d’une série en neuf tomes. C’est en doublette qu’Étienne Le Roux et Loïc Chevallier oeuvrent à la destinée dessinée de cette histoire voyageant entre France, Amérique et camps de l’horreur, le premier aux personnages et le second aux décors, tandis qu’Elvire De Cock fait résonner un peu plus les époques dans ses couleurs.


Résumé de l’éditeur : De 1927 à 1948, la vie de deux frères juifs d’origine polonaise, nés pauvres dans un coron du Nord de la France. Salomon, l’aîné, débrouillard et hâbleur, rêve de cinéma. Moïse, le cadet, intelligent et timide, réussit brillamment son parcours scolaire. Peu soucieux de leur identité religieuse, les événements en feront d’abord une bénédiction avant d’entraîner Moïse au-delà des portes de l’enfer…
Deux frères, trois époques: les corons laissant peu de chances de se hisser sur les hauts échelons sociaux, le rêve américain et, entre les deux, l’horreur de la déportation. C’est dans le cahot d’un wagon surpeuplé que se dessine d’ailleurs la première séquence, sombre. « Est-ce que y a quelqu’un parmi vous qu’a déjà mis un bébé au monde…??? Personne ?!? » Aux portes de la mort, la vie n’est plus une fête. Le bruit est une tempête. Dans les yeux de Moïse Rubinstein, passent mille émotions. La peur, la résignation, l’obstination. Il est brillant, Moïse, sans doute bien plus que son frère Salomon, qui lui est débrouillard, mais comme quoi ces qualités ne suffisent pas quand un oppresseur veut vous barrer la route, pour une idéologie, un racisme, des rumeurs…

Mais ça, dans la France des corons, MoÏse l’avait déjà expérimenté. Pas facile de se voir ravir sa place de premier de classe par le fils du patron, bleu blanc rouge, par on-ne-sait (non, c’est pour la blague, on le sait très bien) quel miracle. Et cette victoire immoralement volée va appeler la vengeance, sceller et souder les destins de Salomon et Moïse (les noms hébreux des frères Brunschwig, un clin d’oeil qui ajoute sans doute de la profondeur au récit que Luc va nous conter) dans une suite d’événements horrifiants, brûlant vive l’humanité. Car les démons, quand on est juifs, ne demandent qu’à se réveiller à votre encontre.


À l’encontre de la chronologie, mais avec précision plutôt que dans le capharnaüm, Luc Brunschwig conte son histoire et conforte les premiers enjeux de cette série et de ses époques. Sans aucun doute, si le pari est audacieux, le fait qu’il voie son histoire sur plusieurs cycles directement intégrés dans ce premier tome est un des solides arguments de ce commencement. Sans briser le suspense et les mystères, le scénariste y trouve là un rythme et une variation pour d’emblée emmener ses héros à travers différents décors crédibilisés par Loïc Chevallier et animés par Étienne Le Roux (sans oublier, les couleurs toujours aussi prenantes d’Elvire De Cock).

Les deux auteurs ont déjà travaillé ensemble et font fusion pour le bonheur du lecteur. Plus que trouver, chacun prend sa place et son intensité et, sûrement, cela donne-t-il aussi plus de latitude dans les cadrages et les plans pour que les deux dessinateurs puissent investir la page avec leurs armes.

C’est un début fracassant, déjà cinglant et sanglant pour faire entrer les deux frères, l’un naïf et l’autre se laissant porter par la vie et les plaisirs, dans la dureté de l’âge adulte. Bouleversant et métamorphosant ses héros, le quatuor réussit un album qui donne faim et soif, qui capte l’attention pour mettre la rage aux yeux.

Le tome 2 (Le coiffeur de Sobibor) sortira déjà (mais le tome 1, avant confinement, avait volonté à sortir en avril) le 14 octobre. Et le tome 3 (Le mariage Bensoussan) est en bonne voie. Aperçus comme en donne à voir la page Facebook de la série.
Série : Les frères Rubinstein
Tome : 1 – Shabbat Shalom
Scénario : Luc Brunschwig
Dessin : Etienne Le Roux et Loïc Chevallier
Couleurs : Elvire De Cock
Genre : Drame
Éditeur : Delcourt
Collection : Histoire et histoires
Nbre de pages : 72
Prix : 15,95€
Date de sortie : le 26/08/2020
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