Malgré une année BD amputée de quelques mois, Philippe Pelaez aura réussi à tirer son épingle du jeu, à monter en puissance. Ayant trouvé sa place dans la famille élargie de Bamboo (chez Grand Angle et Drakoo), l’auteur désormais bien en vue se réinvente dans des genres et des tons très différents. Pour les vacances, en compagnie de Francis Porcel et de Laval NG, le scénariste voyage entre odyssées criminelle et spatiales. Deux petits bijoux : Dans mon village, on mangeait les chats et Alter qui est la réédition dans un nouveau package de Parallèle, précédemment éditée chez feu Sandawe.
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Dans mon village, on mangeait les chats… avant de bouffer du lion

Résumé de l’éditeur : Jacques et Lily surprennent Charon, le boucher-maire, dans le bois en train de capturer des chats, matière première de ses fameux pâtés que tout le monde s’arrache. Lorsque Charon s’aperçoit que sa recette est éventée, il décide tout simplement d’éliminer les enfants qui pourraient trahir son secret. Jacques se défend et tue le boucher. En rentrant chez lui, le garçon s’interpose entre son père ivre et sa petite sœur et tue le tyran. Devenu meurtrier pour sa survie, et parricide par accident, Jacques est envoyé cinq ans en institut d’éducation surveillé pour en sortir chef de bande.

Une couverture noire par excellence, un titre glauque écrit comme aurait pu l’écrire Omar (qu’on a tuer) et fait penser à Jacques Brel et à ces gens-là. « J’ai jamais tué de chat, ou alors y a longtemps, ou bien j’ai oublié, ou ils sentaient pas bon ». Jacques, un autre, lui, n’est pas prêt d’oublier ce jour qui a fait son succès puis sa descente en enfer, toujours à deux pas de la violence, si pas à pieds joints dedans.

Le jour où il a vu Charon, le boucher surpuissant de Saix, maire et grand propriétaire également, empoisonner des minous pour en faire le pâté qui régale tant ses administrés. Un terrible secret scellé dans le sang et le dégoût de Jacques, qui n’a pas appris à aimer les humains, tous plus décadents les uns que les autres dans son entourage si ce n’est sa petite soeur, mais défend les bêtes. Et entend bien faire flipper celui qui jongle avec les tripes. Et entend bien faire le coup du lap… chaton à ce jeune énergumène qui vient désormais le narguer. Dans la mêlée, Charon sera la première victime de Jacques qui y perdra sa naïveté et y gagnera un appétit criminel. Dans sa vie misérable, rien n’est gratuit, il prendra ce qu’il lui faut, pour vivre non pas raisonnablement mais de manière indécente. Quitte à se faire des ennemis dans le milieu.

Pouah, quel album, mes amis ! Si Philippe Pelaez n’est désormais plus un inconnu (Un peu de tarte aux épinards, Maudit sois-tu, Puisqu’il faut des hommes, et toute une série d’albums très attendus à venir), 2020, on le disait, sera son année. Par le nombre de ses publications au programme mais aussi par la diversité des genres envisagés. Ce n’est pas parce qu’on fait de la BD que le texte doit se reposer sur ses lauriers, être paresseux et laisser faire le boulot (sale ici, en l’occurrence, quand on voit l’histoire dans laquelle le duo nous entraîne). Pelaez en donne ici le parfait exemple, en jouant le jeu et le rôle, en rentrant dans la peau, viscéralement de son personnage, en usant de son phrasé juteux, répétitif et, du coup, encore plus percutant et divertissant. Abusant de récitatifs, non pas en assommant le lecteur mais en le fascinant.

Sur deux époques, compilant les coups durs, les coups bas mais aussi les sursauts d’orgueil et la revanche sur la vie, et les morts; Pelaez a trouvé le bon associé en empruntant Francis Porcel à Zidrou. Si on savait l’Espagnol habile à explorer les différentes facettes, souvent obscures, de son style et ses traits, il trouve ici, sous des couleurs ultra-polar, une naïveté surprenante. Pour lui aussi faire corps avec les sensations et les paradoxes de cet enfant trop vite projeté dans la violence de la vie.

De ces 54 planches, le tandem aurait pu tirer une saga criminelle avec son lot de rebondissements. Heureusement, il ne l’a pas fait, de quoi donner du rythme, à 200 à l’heure, à cet album qui s’attarde sur l’essentiel et se révèle bien senti dans ses dérapages, les traces de freinage ou d’accélération, et les traînées de sang. Voilà un album qui marque les esprits durablement.

La relation entre Pelaez et Porcel sera, elle aussi, durable, puisque le duo planche sur un autre album, Pinard de Guerre:
Alter : échos d’un autre monde

Résumé de l’éditeur : 2082. Une planète inconnue, un climat glaciaire, une atmosphère viable, mais un environnement hostile. Alors que deux de ses hommes viennent de disparaître, victimes d’êtres monstrueux à l’aspect vaguement humain, le commandant Sylan Kassidy ne peut que se rendre à l’évidence : l’Hybris ne peut pas repartir. Assailli par les créatures qui trouvent le moyen de pénétrer dans le vaisseau minier, faisant une victime supplémentaire, l’équipage est obligé de s’enfuir à bord d’une navette de secours. Depuis le début de leur mésaventure, les hommes et les femmes de la mission Orus restent en contact radio avec la terre. Leur interlocuteur privilégié ? Le président des États-Unis, Ashton Saint-John, qui voit d’ailleurs dans l’épopée du commandant Kassidy une formidable opportunité pour l’humanité, sur Terre. Car celle-ci se meurt, victime de la folie des hommes qui n’ont eu de cesse de s’entretuer depuis des décennies, depuis 2070, lorsque le président Lyndon Cooper, opposé à l’alliance sino-russe, a fait le choix de la guerre bactériologique et chimique, de la guerre nucléaire. Le choix de l’holocauste.

Initialement parue chez Sandawe, il y a quelques années, la série Parallèle profite du feu de Drakoo pour renaître de ses cendres sous un nouveau nom : Alter. Un nom nettement plus ambigu, qui met moins la puce à l’oreille et cultive plus le mystère, au-dessus d’un format réinventé. En lieu et place des quatre tomes initiaux, place à deux mini-intégrales, mieux fournies et collant sans doute plus au rythme et à la capacité à résoudre ses énigmes de la série.
Fini le plancher des vaches et des chats, avec Laval NG aux commandes, Philippe Pelaez gagne le vaste espace dans une mission périlleuse. Sylan Kassidy était le seul espoir du monde resté sur Terre dans le chaos, auquel il est encore relié de manière bien ténue grâce à une radio. Mais l’espoir s’est effiloché depuis que le commandant et son équipe se sont rendu compte que la planète sur laquelle ils ont échoué était habité par une espèce vaguement humaine et très vorace. Les zombies de la planète inconnue. Vu comme ça, ça fait un peu série Z distrayante mais passable.

Il n’en est rien. Pelaez est un fou malade qui va jusqu’au bout de ses idées, quitte à complexifier le langage pour bien rendre la réalité d’un vaisseau spatial sophistiqué, par exemple. Plus loin que ça, dans ces 92 premières planches (complétées par un dossier bonus qui mettra encore un peu plus le lecteur dans le grand bain spatial), le scénariste nous entraîne à bout de souffle entre un paysage glacé et l’Amérique dévastée restée en bas de l’infini et l’au-delà. Ça ne rigole pas, c’est du sérieux, Laval NG répercute la tension dans les visages émaciés, les mouvements effrénés, avec son lot de fuites, d’arrachage de peau et de tôles froissées. Sans compter les blessures intérieures, intersidérales qui changent les mentalités des hommes meurtris. Même quand on semble être l’unique espoir d’un monde pas si loin que ça et pourtant à des années-lumière.

Dans ce qui reste l’une de ses premières bandes dessinées, Pelaez dressait son CV de risque-tout, exploitant au mieux le format du Neuvième Art. Quitte à brûler ses cartouches et l’espace-temps en répétant durant six planches les mêmes scènes, à quelques ajustements près. Sur des albums de 46 planches, à l’époque, c’était de la folie. Pourtant, c’était la seule façon de comprendre le mystère et la puissance de l’univers mis sous les doigts intergalactiques de Laval NG et de son acolyte Florent Daniel aux couleurs. Dans cet impressionnant maelstrom d’émotions et de genres (science-fiction, horreur, drame humain, thriller politique…), Alter tire clairement son épingle du jeu. Sa bonne étoile, sa deuxième chance, chez Drakoo, pourrait bien la faire exploser (et lui permettre une suite ?) un peu plus. C’est tout le mal qu’on souhaite à cette mini-série déboussolante.

Titre : Dans mon village, on mangeait des chats
Récit complet
Scénario : Philippe Pelaez
Dessin et couleurs : Francis Porcel
Genre : Crime, Drame, Polar
Éditeur : Grand Angle
Nbre de pages : 56
Prix : 15,90€
Date de sortie : le 10/06/2020
Extraits :
Série : Alter (ex-Parallèle)
Tome: 1 – Ceux qui partent
Scénario : Philippe Pelaez
Dessin : Laval NG
Couleurs : Florent Daniel
Genre : Drame, Horreur, Science-fiction
Éditeur : Drakoo
Nbre de pages : 96 (+ 8 pages de cahier bonus)
Prix : 19,90€
Date de sortie : le 10/06/2020
Extraits :