C’est plus musclé que du Poelvoorde, après le confinement, les Convoyeurs de la bande dessinée attendaient leur heure. Depuis que les éditeurs ont repris un semblant d’activité normale, un flot de nouveautés a été délivré, libéré, et parmi elles, des points communs émergent donnant parfois lieu à des albums qui se ressemblent ou qui partent dans des directions totalement différentes. C’est le cas avec Le convoyeur de Tristan Roulot et Dimitri Armand ainsi qu’avec Le culte de Mars de Mobidic.

Dans ces deux albums en mouvement, road-trip plus ou moins éloignés, il est ainsi question de passeurs dans notre monde qui est le nôtre mais dans un futur plus ou moins proche. D’un côté, sous ses lunettes rouges et sa barbe, le look post-apocalyptique dans un décor médiéval, il y a Convoyeur, énigmatique et qu’il ne faut pas chercher. Il transporte du concret, et n’a pas le droit de refuser les marchandises qu’on lui soumet. De l’autre côté, avec ses longs cheveux flottants au vent et sa tenue faite avec les moyens du bord, médiévaux presque là encore, il y a Hermès. Son « précieux » est beaucoup moins tangible : un simple livre dont les pages ne font que se remplir à chaque rencontre. Que peut valoir un livre contre tout l’or du monde ? Pourtant, certains sont prêts à se l’arracher.

Le Convoyeur ne fait pas d’omelette sans passer d’oeufs
Résumé de l’éditeur : Un virus s’est répandu sur la terre. La « Rouille » s’est attaquée au fer, détruisant peu à peu les infrastructures, les véhicules, les outils… Notre civilisation est revenue à l’âge de la pierre. Dans ce monde brutal, le légendaire Convoyeur incarne le seul espoir pour beaucoup de gens. Il accepte de remplir toutes les missions qu’on lui confie, quels qu’en soient les risques. En échange de quoi, les commanditaires doivent simplement manger un oeuf étrange…

Après quelques années western, mise en suspens mais pas forcément finie, Dimitri Armand regoûte à un monde apocalyptique, plus dur et retors que ce qu’il avait expérimenté avec Bob Morane. Pitché par Tristan Roulot, qui a eu une idée de génie en imaginant un monde dont le fer qui en compose tous les éléments (qui nous sont) fondamentaux a été rongé par une épidémie, Armand peut s’en donner à coeur-joie pour dessiner des gueules et jouer badassement du contraste entre paysage moyenâgeux et hommes sortis tout droit du futur. Ici, le monde et ses habitants ont dû évoluer pour survivre, muter sous l’action de ce qu’on a appelé « la rouille ».


Ici, c’est Tchernobyl, les radiations de la Rouille ont déformé les hommes (Mignolia ou Eric Powell se régaleraient). Certains ont eu plus de chances que d’autres, qui ont perdu leur visage et ne sont même plus des hommes, tout juste des esclaves aux mains des puissants qui font régner leur terreur. Cela dit, certains ont été gâtés. Juste, rester un beau gosse, c’est pas mal (même si ça n’aide pas à se défendre dans ce monde plus-que-jamais de brutes), mais, en plus, d’aucuns ont gagné d’étranges pouvoirs. Le plus dangereux, c’est le Convoyeur et les étranges oeufs qu’ils donnent à manger à ceux dont il est obligé d’accepter les missions de transport. Ce qui fait de lui une sorte de Sylar (dans la série Heroes), en gentil. Jusqu’à preuve du contraire.

Entre inquisiteur, créatures démoniaques dignes d’Aliens, cannibales, village dont les hommes ont disparu du jour au lendemain, Convoyeur va trouver sur le chemin de ce premier album de quoi lever le voile sur ce monde devenu cruel et imprévisible. Loin de la série Z, Roulot consacre une intrigue étudiée et intelligente, complexe, pour donner du fond et des surprises au monde horriblement noir que Dimitri Armand révèle de toute sa puissance, burinant les faciès et jamais contre l’idée de fracasser des cranes ou arracher des membres. Voilà un début de série haletant qui se termine sur un cri de désespoir.


Le culte de Mars, il suffira d’un signe et de la magie Mobidic

Résumé de l’éditeur : Les ressources de la Terre sont épuisées. Les plus riches sont partis pour Mars,les plus démunis attendent désespérément qu’on vienne les chercher. Ses survivants ont sombré dans l’obscurantisme. Au beau milieu de ce gâchis, Hermès, tente de consigner tous les anciens savoirs pour les rassembler dans une encyclopédie afin de les partager et aider l’humanité à aller de l’avant, à renaître de ses cendres.

Je dois avouer que parmi les visions hypothétiques qu’on nous ramène du monde de demain ou, soyons optimistes, d’après-demain, celle qui admet un retour en arrière, à l’essentiel, au naturel, n’est pas sans me plaire. Tout reconstruire, de manière plus simple, réapprendre ce qui compte réellement. Le renouveau par le vide et l’effacement, pourquoi pas. Pas sûr pour autant que nous soyons de bons chasseurs-cueilleurs.


C’est un peu dans ce monde-là que nous entraîne Mobidic avec son charme fou. Celui-ci opère dès la couverture, entre un homme des bois, Robinson Crusoë qui n’aurait pas naufragé, et une fusée taillée comme un crayon par quelques troncs et pointé vers le ciel. Le temps a passé, la nature a repris ses droits et les hommes d’ici ont quasiment oublié ceux de l’au-delà. Il y a des siècles, les fortunés ont abandonné la Terre, qu’ils avaient pourrie, et leurs pairs, né sous une autre étoile que celle de Crésus, prétextant qu’ils viendraient les rechercher. Ce qui ne s’est jamais produit.


Le temps s’est écoulé, la tradition oral opérant et sélectionnant ce qu’il faut retenir ou pas, quelques générations de survivalistes plus tard. C’est ainsi qu’est née une nouvelle mythologie, que les ancêtres en fuite ont été élevés au rang de dieux et Mars a catalysé tous les rites. Le savoir technologique lui s’est dilué et perdu dans les limbes à mesure que la planète bleue et désormais plus verte reprenait son souffle. Plus de télé, plus de smartphones, plus d’ondes ni de bâtiments sophistiqués. Mais les instincts primaux sont restés, ceux qui confortent à croire, quitte à sombrer dans le fanatisme.

Recréant le monde à sa superbe façon, Mobidic conte ainsi le voyage initiatique d’Hermès, historien des temps modernes (et pourtant révolus si l’on se fie aux apparences, curieux sentiments) qui, à la manière de l’ami du Verbe Dick Annegarn, parcourt le monde pour saisir les bribes du savoir, multi-culturel, d’antan. Il en fait sa bible, sans choisir son camp, ses dieux. C’est dans ces pages qu’il trouve ainsi la langue des signes qui lui permettra de nouer contact avec une jeune fille sauvage et fumant la pipe d’un air désinvolte. Ces deux-là, il fallait qu’ils se trouvent ! Quelle bonne idée de mettre en BD, la langue visuelle de ces signes, si belle, si universelle.


Quelque part entre Frank Pé et Munuera, avec son dessin qui coule de source, sans esbroufe mais impressionnant, Mobidic livre là l’un des plus beaux et intenses albums de cette première moitié d’année. Quelle évasion, quel amour de l’art et de la Nature, elle confère au travers de ces pages dont on sent la magie se déposer sur nos doigts à mesure qu’on tourne les pages de cette fable guère conventionnelle. C’est magnifique, prenant et parlant.

Série: Le convoyeur
Tome : 1 – Nymphe
Scénario: Tristan Roulot
Dessin et couleurs : Dimitri Armand
Genre: Fantastique, Horreur, Science-Fiction
Éditeur: Le Lombard
Nbre de pages: 56
Prix: 14,45€
Date de sortie: 26/06/2020 (également paru en version noir et blanc)
Extraits:
Titre : Le culte de Mars
Récit complet
Scénario, dessin et couleurs : Mobidic
Genre: Drame, Initiatique, Science-Fiction
Éditeur: Delcourt
Nbre de pages: 100 (+10 pages de carnet de dessins oubliés
Prix: 18,95€
Date de sortie: 17/06/2020
Extraits:
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