Après Foucauld dont s’étaient emparés Jean Dufaux et Martin Jamar, voilà l’histoire, toujours en BD, d’un autre homme d’église au milieu du désert: Emile Sontag. Un homme au coeur vaillant et dont la conception religieuse se vivait dans la multiculturalité, dans l’ouverture plutôt que dans l’imperméabilité. Il faut dire qu’en ces temps-là, la Perse, et notamment la région d’Ourmiah dans l’Azerbaïdjan iranien, était lézardée de violence. Avec cette oeuvre de dialogue, Blanche Lancezeur et Mathias Gally (à ne pas confondre avec la blogueuse à succès) montrent patte blanche, avec subtilité et un humanisme confondant.

Résumé de l’éditeur : Ourmiah, 1918. Depuis quatre ans, l’Azerbaïdjan iranien est le théâtre de drames répétés, au gré des occupations et des incursions russes, ottomanes et kurdes, dans un contexte de délitement de l’autorité persane. Un homme seul doit prendre des décisions difficiles, abandonné des gouvernants des grandes puissances déjà engagées dans la Première Guerre mondiale, mais peut-être pas de son Dieu. Cet homme, c’est monseigneur Emile Sontag, le délégué apostolique à la tête de la Mission des lazaristes. Ce soir, il hésite à accueillir quatre demandeurs d’asile… L’Histoire nous dira si les actes de solidarité, mis bout à bout, peuvent enrayer le cycle des violences.

La mosaïque est ébréchée, en première page, le drame va se jouer et il n’y aura pas de faux suspense. Dans la deuxième planche, un pistolet, un homme gît dans la cour que la nuit avait habillée d’ombre mais dont un rai de lumière met en scène le sinistre spectacle. Un homme est mort, on ne voit que lui, les yeux ouverts, le regard plongé vers le ciel, la croix désarticulée. Mais comment cette scène violente à l’égard d’un homme pacifiste a-t-elle pu prendre lieu dans cette mission qui semblait forte face à la tentation de la haine ?

Encerclée par le désert et ses serpents qui revêtent diverses apparences, des coups ébranlent la lourde porte qui protège la mission. C’est la nuit, quatre voyageurs demandent l’asile, un danger de mort pèse sur leur tête. Ce sont des Kurdes, dont les combats émaillent l’actualité d’alors, avec souvent des cibles chrétiennes. La demande de protection est mal venue. Pourtant, envers et contre tout, y compris sa première intuition, l’archevêque (que certains pensent allemand mais qui est bel et bien alsacien) tend la main. De la folie pour certains de ses ouailles, le loup serait-il entré dans la bergerie ? Une bergerie qui brille par la diversité de ceux qu’elle abrite. Le prêtre et son équipe, du moins ceux qui le suivent, ont réussi à en faire un havre de paix opposant le dialogue aux idées qu’enseignent les agitateurs de la mort et de la haine. Pourtant l’oasis est menacée et n’est pas sans ignorer les tourments, politico-religieux, qui agitent la région, arrivés à un point critique.

Dans ce melting-pot parfois délétère, au bout de ce capharnaüm régit par l’intolérance de quelques-uns qui font tache d’huile, Blanche Lancezeur (qui, sauf erreur, fait ses premiers pas avec beauté, tolérance et ténacité en BD) et Mathias Gally s’en tirent plus qu’avec les honneurs pour faire comprendre l’incompréhensible. Sous sa couverture magnifique et pourtant sanglante, Ourmiah Requiem a bénéficié de la relecture d’historiens, pour renaître au plus près des faits. Il s’agit moins ici de convictions et de religions que d’histoire. Celle, trop souvent militaire et combattante, trop teigneuse par rapport aux différences, qui régit les rapports entre le monde et ses populations, depuis que l’homme est l’homme.

Mathias Gally donne le ton de la violence dès le départ mais a le bon goût de ne pas faire dans la surenchère, faisant rayonner le jour, illuminant les visages tant qu’ils peuvent, tant que la folie ne les a pas noircis. Et, s’il y a des doutes, de l’abattement, dans ce huis clos imposé par la mort qui frappe extra-muros, Gally a l’élégance d’être près de ses personnages, quoi qu’il se passe, quoi qu’il en coûte. Sous les couleurs d’Anne-Sophie Schlick, justes et trouvant les bons moyens pour éclairer la nuit funeste, le dessinateur ne se dérobe pas à l’élégance de son trait réaliste, même quand la tyrannie prend le dessus.

La violence, sanglante, reste soft, mais Mathias Gally a trouvé la justesse de la rendre impressionnante, insupportable face à l’histoire qu’on a découverte. Et qui a changé des vies, comme en témoigne l’épilogue, bien à sa place. De la haine, on peut toujours s’en sortir, mais sans doute faut-il un peu de courage. Celui de Sontag, qui a scellé sa mort, est inspirant. Moins dans la foi, je ne crois pas, que dans l’idéal de tolérance.

La suite pour ce tandem ? Blanche Lancezeur ne s’arrête pas en si bonne route puisque, courant de cet été (le 1er septembre), elle sortira un autre album aux Éditions Félès, en compagnie d’Efix et totalement différent d’Ourmiah Requiem. Intitulé La case vide, ce projet reste un mystère dont le résumé donne quelques indices de la teneur créative. « La première case de cette bande dessinée est vide. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de début à cette histoire. Il n’y a pas de fin non plus. Les personnages principaux n’existent pas. C’est peut-être parce que le scénariste est mort d’une crise cardiaque. Ajoutons que le dessinateur avait un emploi du temps qui ne lui permettait pas d’accepter ce projet. De toute façon, l’éditrice n’avait aucunement l’intention de le publier. Alors, si vous l’achetez, ne venez pas vous plaindre. On vous aura prévenu. »
Blanche Lancezeur sera aussi au générique de Le Mpoue, dessiné par Ngola et prévu pour novembre. « L’éminent professeur Jacques Mékamgang présente les résultats de ses derniers travaux dans le grand amphithéâtre de la Faculté de Physique des Matériaux de Lausanne. Devant un parterre de confrères venus de toute la planète, il parle avec passion des alliages de métaux à mémoire de forme. Soudain, il est pris de tremblements et cherche sa respiration en ouvrant le col de sa chemise. L’assistance s’inquiète des pauses dans le flux de son discours. Alors que des projecteurs l’éblouissent, le regard fiévreux de Jacques scrute le fond de l’amphithéâtre. Là-bas, dans la pénombre, l’espace d’un instant, il a vu une silhouette étrange aux yeux rouges incandescents qui le fixaient. La chose porte un grand manteau orné de coquillages, peaux de léopard et tissus traditionnels africains. C’est le Mpoue. »
Quant à lui, Mathias travaille sur des illustrations historiques de très grand format (1m20 sur 60 cm), des images très documentées… et très longues à réaliser. Après quoi, il s’attaquera à d’autres images didactiques (un format encore plus grand). Ces illustrations serviront de signalétique à divers itinéraires dans la région. Enfin, le dessinateur doit réaliser des planches de BD pour une revue avant un autre album de commande. Tout en espérant, l’année prochaine, avoir le temps de pouvoir développer quelque chose de plus personnel.
Titre : Ourmiah Requiem
Récit complet
Scénario : Blanche Lancezeur
Dessin : Mathias Gally
Couleurs : Anne-Sophie Schlick
Genre : Drame, Guerre
Éditeur : Félès
Nbre de pages : 64
Prix : 19€
Date de sortie : le 22/06/2020