Pour nous, ils avaient dit qu’ils seraient Gérard Depardieu… Mais ils sont surtout restés Mauvais et c’est pour ça qu’on les aime. Quatre ans plus tard, le groupe de Christophe Enclin réenchante le jukebox avec douze autres chansons pour proclamer, et c’est une gageure par les temps qui courent, que tout va bien. En vert comme en rouge, sur l’artwork de Steve Michiels, des délégations syndicales nourrissent les bravo et les calicos portent les « Tout va bien », « Wij zijn blij ». Pourtant, chassez le naturel, il revient au galop. Encore plus quand il se prénomme Mauvais. Couteaux entre les dents.
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Quand on sort un deuxième album, c’est sûr, on veut faire mieux que le précédent. Y compris, paradoxalement, quand on est Mauvais. Bon sang ne peut mentir, Christophe Enclin (aux paroles et au chant) et l’imparable guitariste Calogero Marotta (aux compositions) ont retrouvé Patrick Schouters (batteries, synthés) et ont élargi l’équipe au fil des morceaux pour intégrer France Cartigny, Jean-Pol Steffens, Hervé Borbé et quelques guests de taille, aux côtés de ces as des as. Réunis pour 55’59 », rien de moins, de bonheur musical.
D’emblée, ça commence comme un générique, comme ceux qu’on entendait dans les films français de gangsters ou de policiers retors, pas tout nets, ni blanc ni noir. Constantin a disparu. Mauvais ne le cherche pas mais évoque ce nouveau jour sans Constantin. Michel, de son prénom. Une gueule à laquelle une musique bien troussée et des mots sont gracieux, cultivant le mystère et la poésie des moments de bravoure devant et hors caméra. En plus, cerise sur le gâteau, un petit extrait nous ramène au bon temps de Laisse aller, c’est une valse.
De films de bandits mais aussi d’histoires d’amour, il en est question pour que le groupe se dédouane de n’être pas si mauvais sur un tempo dépaysant, ensoleillé, sous sombrero. Un joyeux contre-pied qui met le coeur en fête et dans lequel Christophe Enclin provoque un décalage assez fun, refusant d’être tout à fait gentil. Lui, il est Mauvais, et il aime ça. Et c’est aussi ce qu’on aime chez cette formation, sa schizophrénie et cette envie de ne pas se prendre au sérieux en le faisant très sérieusement.
Troisième morceau, Vieux Bandit, comme ceux qui ne s’interdisent rien. Christophe s’amuse avec la technique (et même un numéro anglais anti-suicide!), voyageant entre Daft Punk et Arthur H. La musique est contagieuse, le texte fourni, maniant les cocasseries et ménageant les surprises qui font qu’on ne se lasse pas d’écouter ces morceaux. Puis, boom, comme si la voiture de la Bande à Bonnot avait loupé le virage, que les vilains avaient été arrêtés, Enclin se fait Gabin dans un monologue sur une musique dramatique, solennelles: On a connu pire (comme dirait le Commandant Turbo), répété un nombre incalculable de fois, sans lasser. Ça ne va nulle part mais ça dit beaucoup de choses, sans terminer une seule phrase.
Nouvelle variation et nous voilà jeté dans le bain de la vie, suivant l’évolution d’un petit bonhomme à travers les étapes cruciales et compétitives de celle-ci. Un sucré-salé, qui rentre vite en tête, et ne s’empêche pas d’être piquant entre les lignes et les couloirs. Plus calme et à deux voix (celle de France Cartigny), comme en miroir, l’heure est venue de Dormir ici, l’atmosphère est cosy, ça résonne bien, la musique est langoureuse, les arrangements généreux.
Après quoi, pour J’ai trahi, le beatbox de Patrick Schouter prend le dessus avec les sifflements de Christophe Enclin. Ça bidouille ferme dans cette chanson conçue en boucles et, à certains moments, comme un canon. C’est la chanson la plus mystérieuse, la plus secouante de cet album. Dans les trahisons, on ne sait pas toujours le fond des choses, cette chanson y ajoute son grain de sel, directe tout en gardant en distance et se terminant en véritable jam.
Nouveau rôle pour le chanteur qui change de mood comme de micro et campe un excellent Schtroumpf grognon dans Compliqué. Variation autour du « je t’aime moi non plus » sur une instrumentation musclée. Rires et chansons, dans une ambiance tamisée, cosy, joue encore sur le registre des paradoxes, de la dichotomie des sentiments entre l’idée joviale que fait passer le titre et l’imposante solitude qui envahit l’espace.
Paradoxe aussi entre tous les savoirs et les fiertés qu’on peut avoir dans une vie, et ne sont rien d’essentiels à côté d’un sourire sur un terril de Charleroi. Rien de plus beau et un vrai sentiment de feria sur cette chanson sur laquelle Christophe garde sa réserve, ses airs de pince-sans-rire, ce décalage qui fait mouche depuis qu’on a fait la connaissance de Mauvais.
Les deux derniers titres de cette deuxième galette sont encore plus bruts, plus démo. Avec Je voyage en OVNI, d’abord, balade dans le ciel que ne renierait pas un Benjamin Schoos et dans laquelle Christophe Enclin continue de jouer la carte Mauvais. Parce que quand on porte ce nom-là, on ose tout, sans limite, à commencer par une rime aussi facile qu’un yéti devenu ET. Fallait y penser et le fait de répéter à l’envi cette trouvaille entraîne cette chanson spatio-spéciale dans une dynamique lorgnant vers le foutage de gueule (ben oui qu’est-ce qu’on en entend des chansons faciles à la radio) tellement assumé qu’il en est salvateur.
Après les OVNI, c’est en mode Zombie (oui oui, façon Cranberries), que Fantôme conclut cet album hors-norme, un peu à la manière d’une chanson d’enfant (France Cartigny force sa voix enfantine d’ailleurs, tandis que Christophe use de sa voix de crooner façon Dassin). Tandis que la musique sort d’en dessous du lit pour mener la fin du morceau et conclure en beauté.
Avec son charisme de cinéma, une interprétation-incarnation entre récitation et chant, entre la foule sentimentale de sa pochette (mondaine et peinte sur le vif avant le Covid, de toutes façons les acteurs sont tous morts) et de vraies piste pour la défoulade musicale de cette sacrée bande de musicien, Mauvais livre un deuxième album dans la lignée du premier, entraînant et parfois un peu triste, avec une identité qui n’appartient qu’à lui et un sacré bagout.
Mauvais
Tout va bien
Chanson française
Label : Anorak Supersport
Sorti le 1er avril 2020