Alors on regardait les bateaux
On suçait des glaces à l’eau
Les palaces, les restaurants
On ne faisait que passer d’vant
Et on regardait les bateaux
Le matin on se réveillait tôt
Sur la plage pendant des heures
On prenait de belles couleurs(Pierre Grosz/Michel Jonasz)

Au vu des circonstances, nous n’irons certainement pas à Kingdom Fields, petite ville côtière imaginaire et sauvage peuplée de mouettes, de corbeaux et de touristes, cet été. Tant pis. Pour nous mettre du baume au coeur, l’Anglais Jon McNaught a fait le voyage et nous en a ramené la teneur, la splendeur, la lenteur, la langueur formidables. Dans l’art de ne rien raconter et de raconter tout à la fois.

Résumé de l’éditeur : Une famille part pour un séjour dans un camp de bungalows sur la côte britannique. Les décors familiers à tout à chacun défilent : autoroute, stations-services, falaises sur la mer, musées décrépits, boutiques pour touristes, absence de réseau, visite à la lointaine famille, amitiés estivales. Jon McNaught met des mots et des images sublimes sur le rythme de la nature, le temps qui passe, l’adolescence, l’ennui et la beauté des vacances d’été avec un talent unique : transformer l’ordinaire en extraordinaire.

35 cases sur une page plus petite que le format classique, tel est le gaufrier dont Jon McNaught use à certains moments du rendez-vous estival qu’il nous fixe. C’est dire l’aventure graphique, immobile mais sensitive qui nous attend en compagnie de Suzie, Andy et leur maman. Ça se mérite, avant d’atteindre le lieu de villégiature, il faut se farcir la route et ses colonies de voitures, le fast-food, le soleil et puis la pluie. Heureusement, Andy a sa console et les bornes d’arcade qu’il trouve sur l’aire de repos. Parce qu’on va vite le voir, la côte, la mer, les couchers de soleil et la vie en trio familial, ce n’est pas sa tasse de thé.

Lui, ses rêves sont portés sur l’action, les balles sifflantes et tonnantes, la violence sur les écrans… Andy est perdu dans ce monde où la nature a su garder le dessus sur le paysage de cartes postales envahis de plaisanciers. Sa soeur et sa maman feront ce que bon leur semble, Andy, lui, va vagabonder, jouer les sniper visant, pour de faux, les amoureux de la playa. Il faut tuer le temps.

Cet album de BD aurait pu faire facilement le double de sa pagination, 104 pages, tant Jon McNaught y amène une quantité d’images et de tableaux folle. C’est comme ça qu’il joue sur le rythme de lecture, sans l’étouffer de texte (finalement peu présent et balançant entre passages en anglais et d’autres traduits, pour ne pas désacraliser cette oeuvre forte en sensations), allant chercher les détails, et jouant, au coeur du gaufrier on ne peut plus classique, avec la grandeur des cases.

L’été à Kingdom Fields, c’est comme un clip qui aurait été découpé image par image et mis sur la table, découpant les mouvements et optant pour des couleurs tranchantes, des aplats doux et d’autres des éclairs zébrant le papier. À l’heure où l’enfance grandit et ne sait plus trop où aller avec une connexion internet ramollie, où la distance s’installe avec les autres membres de la famille, Jon McNaught prend le temps de la réflexion et de l’exploration, des souvenirs, de la tendresse, de la rudesse, des aspirations et des inspirations. Avec toujours la mer pour rappeler le terrain « vagues » qu’il faut nourrir de projets, se laissant porter par le courant ou y résistant. L’oeuvre de McNaught est totale tout en restant incomplète pour mieux laisser le lecteur y mettre ses envies, ses émotions, ses ressentis.
Titre: L’été à Kingdom Fields
Récit complet
Scénario, dessin et couleurs : Jon McNaught
Traduction : Nora Bouazzouni
Genre : Drame intimiste, Roman graphique
Éditeur: Dargaud
Éditeur VO : Nobrow
Nbre de pages : 104
Date de sortie : le 31/01/2020
Extraits :